La flambée des loyers à Berlin menace de faire voler en éclat la vitrine cosmopolite de Kreuzberg, fief d'une importante communauté turque, poussée de plus en plus à quitter ce "petit Istanbul" pour la banlieue.
Les classes populaires de ce quartier de l'ancien Berlin-ouest à l'histoire et au paysage profondément marqués par l'immigration turque depuis les années 1960, subissent depuis quelques années un rattrapage brutal de leurs loyers.
La hausse moyenne du bail à la relocation, dans cet arrondissement populaire mais réputé branché, a atteint 11% en 2011, l'une des plus fortes dans la capitale allemande, notamment à cause de l'afflux d'étudiants et de jeunes couples.
La flambée de l'immobilier est un phénomène général à Berlin, où des experts craignent la formation d'une bulle spéculative.
Mais Kreuzberg, qui compte 280.000 habitants, est d'autant plus touché qu'après la chute du Mur en 1989 et la réunification des deux parties de la ville, la municipalité a vendu en masse des dizaines de milliers de logements sociaux à des groupes immobiliers privés qui peuvent augmenter les loyers à leur guise. Parallèlement, cette partie de Berlin-ouest coincée contre le mur, s'est retrouvée en plein centre de la cité.
Aujourd'hui encore, beaucoup de ces logements sociaux sont occupés par des familles turques.
Attachées à leur quartier, certaines ont décidé de rejoindre un mouvement de protestation local. Depuis juin, une centaine d'habitants gravitent ainsi autour d'un campement permanent installé à "Kottbusser Tor" pour réclamer un plafonnement des loyers.
"Nous resterons ici jusqu'à ce que les loyers aient baissé", prévient Detlev Kretschmann, 63 ans, un des piliers du mouvement. "Arriverons-nous à tenir ? C'est une autre question", ajoute ce musicien en sirotant un café devant une assiette de pâtisseries turques.
Selon lui, des familles ont déjà été contraintes de déménager. Il évoque notamment cet ancien habitant, parti vivre en banlieue, qui a pleuré récemment en venant soutenir le campement, ému de retrouver son quartier.
Autour de ce carrefour, dominé par les barres d'immeubles et emblématique du Kreuzberg "multikulti", grouille toute une activité autour des épiceries, étals de fruits et légumes à prix cassés, restaurants rapides, locaux associatifs, turcs pour la plupart. Et, à un jet de pierre, une mosquée flambant neuve.
Signe que l'embourgeoisement avance, des magasins bio, inabordables pour la plupart des familles vivant ici, ont commencé à pousser comme des champignons.
"Hors de question que je parte" en banlieue, "là-bas il n'y a aucun bus, tout est mort", lâche une femme turque, sous couvert d'anonymat.
Fatih Ulutürk, un étudiant de 21 ans dont la famille vit ici depuis plus de deux générations, accuse la municipalité de vouloir "sortir les Turcs de Berlin". "Nous avons construit notre vie ici. Mais si les loyers continuent de grimper il est fort probable que nous devrons déménager", regrette-t-il.
Le jeune homme, qui paie 600 euros par mois pour son deux-pièces, craint la casse du "vivre ensemble" avec "des minorités parquées en périphérie, sur le modèle de Paris".
Le maire du quartier, Franz Schulz, fait parfois un saut au campement pour déposer des petits pains. Mais il ne partage pas les revendications des manifestants. Selon l'élu écologiste, plafonner les loyers ne serait pas réaliste. "Cela ne concernerait que le logement social et obligerait Berlin déjà lourdement endetté à verser des sommes colossales aux bailleurs" pour les dédommager du manque à gagner.
En attendant, plusieurs groupes immobiliers ont concédé aux manifestants des baisses de charges et la garantie que personne ne sera expulsé en cas d'impayé. Et la ville promet la construction de 30.000 logements sociaux par an pour accueillir des familles modestes.
Par Laurent GESLIN
28/8/2012
Source : AFP / La nouvelle République