dimanche 24 novembre 2024 10:08

L’internationalisation des recrutements dans les ONG de solidarité internationale

Depuis quelques années, on observe un phénomène très peu étudié: l’internationalisation des recrutements des volontaires et des salariés dans les ONG de solidarité internationale. Cette dynamique, qui a déjà commencé dans les ONG dites d’urgence, se diffuse également dans les ONG de développement.

En effet, les ONG d’urgence, telles que Médecins sans Frontières ou encore Action Contre la Faim, ont diversifié les sources de recrutement des volontaires et des salariés dans les pays européens et nord-américains. Ces dernières ont ainsi pu mutualiser les ressources humaines et les compétences de leurs réseaux et faire face au turnover auquel elles sont confrontées. De même, parfois, il arrive que les ONG internationales du Nord proposent des formations (Bioforce, IFAID…) et des postes de volontaire ou de salarié à l’international aux membres de leur personnel local. Ce type de mobilité internationale proposé au personnel local pour le fidéliser, reste rare mais contribue à la circulation des acteurs associatifs à l’international. Ce phénomène d’internationalisation des recrutements dans les ONG de solidarité internationale ne concerne qu’un nombre limité de recrutements, le plus souvent en provenance des pays du Nord, et rares sont ceux en provenance des pays du Sud.

En ce qui concerne les ONG de solidarité internationale dits de développement, elles commencent également à diversifier les recrutements et ce notamment dans le cadre du volontariat. Cependant, elles doivent faire face à des difficultés assez importantes pour concrétiser l’accueil de ces volontaires extra-communautaires dans les ONG du Nord.

Le principe limité de réciprocité d’accueil des volontaires du Sud dans les ONG du Nord

Depuis quelques années, il est à noter que certains pays du Sud tels que le Togo, le Niger, le Burkina Faso ou encore le Maroc développent des politiques publiques de bénévolat et de volontariat, souvent encouragées par les ONG de solidarité internationale et les financements publics issus des pays du Nord.

Ces derniers ne cessent de militer pour que le principe de réciprocité soit effectif et que les ONG du Sud recevant des volontaires et des salariés originaires du Nord puissent également envoyer des jeunes qui s’engageraient dans les pays européens.

Cette problématique liée à la difficulté de circulation des ressortissants non européens en Europe est souvent évoquée lors des rencontres et des débats. Il convient de rappeler que le statut de volontaire de la solidarité internationale (VSI), défini par la loi du 23 février 2005, peut être attribué à toute personne majeure, sans conditions de nationalité et que par ailleurs, depuis 2010, le service civique permet théoriquement l’accueil en France des volontaires non européens.

Pourtant, les difficultés sont réelles quant à la circulation des volontaires extracommunautaires, pour qui l’obtention d’un visa dans ce cadre relève du parcours du combattant, et ce malgré l’appui des ONG et des institutions partenaires du Nord. C’est ainsi qu’en juin dernier, l’Union Européenne a procédé à une consultation relative aux directives « sur l’entrée et le séjour au sein de l’Union européenne des chercheurs, étudiants, élèves, stagiaires non rémunérés et volontaires extra-communautaires» pour tenter de résoudre la question. Consultation relayée par les associations de solidarité internationale et notamment par France Volontaires qui met l’accent sur les obstacles rencontrés dans le cadre de la réciprocité des échanges et les limites qui s’ensuivent de la mobilité des volontaires originaires des pays tiers.

Les volontaires/salariés originaires du Sud dans les ONG du Nord (en mission au Maroc)

Parallèlement à cette dynamique d’accueil sur le sol européen des volontaires issus des pays du Sud que je viens d’évoquer, j’ai pu observer, dans le cadre de la thèse que je suis en train de réaliser, un autre phénomène à savoir la présence au Maroc d’expatriés originaires du Sud en mission pour des ONG du Nord.

En effet, pour analyser le processus de l’engagement-travail des acteurs associatifs, leurs parcours et leurs trajectoires d’engagement, j’ai réalisé 69 entretiens avec des volontaires, des salariés, des bénévoles et des stagiaires travaillant au Maroc dans des ONG de solidarité internationale de nationalité française, italienne, espagnole et canadienne (entre 2008 et 2012).

A cette occasion, j’ai rencontré des acteurs associatifs originaires du Niger, de la Côte-d’Ivoire et du Sénégal (soit 4,4 % de l’échantillon) engagés sous statut de volontaire (2) et salarié (1) dans des ONG de solidarité internationale du Nord.

Ces travailleurs humanitaires, originaires du Sud travaillant dans un pays du Sud pour une ONG du Nord, ont entre 29 et 41 ans et sont tous titulaires d’un diplôme bac +5.

2 personnes avaient déjà une expérience dans l’associatif dans le pays d’origine (1 an à 10 ans d’expérience de bénévolat et de salariat) et la troisième a découvert l’associatif au Maroc pendant ses études. 2 personnes ont été recrutées sur place au Maroc (l’une a suivi son conjoint (e) et l’autre a eu une bourse d’études) et la troisième dans le pays d’origine. Pour une personne, le contrat au Maroc, constitue le 3e contrat en tant qu’expatrié international (6 ans d’expérience) ; tandis que pour les deux autres c’était leur premier poste d’expatrié volontaire. En ce qui concerne l’engagement, une seule personne évoque son engagement total dans la carrière humanitaire alors que les deux autres travailleurs humanitaires considèrent leur mission plutôt comme un emploi et une expérience professionnelle supplémentaire utiles pour l’avenir.

Enfin, tous mentionnent le choc culturel subi :

« J’ai l’habitude d’être en maison. C’était la première fois en appartement. J’ai dû changer mes habitudes. Je n’avais pas de contact avec les voisins la première année. J’ai l’habitude de manger du poisson et du riz. Mes habitudes alimentaires ont été un peu perturbées. La deuxième année j’ai trouvé mes repères. »

« J’ai souffert du dépaysement et de l’éloignement. Quand on est étrangers on vit en communauté et les rapports sont assez limités avec les Marocains. Perception du racisme car pays d’immigrés clandestins, les noirs n’ont pas une bonne image alors qu’au sein de l’établissement d’excellentes relations avec les collègues mais quand on sortait… »

En plus des travailleurs humanitaires originaires des pays du Sud, j’ai également mené des entretiens avec des binationaux que j’ai rencontrés dans les ONG de solidarité internationale choisies dans le cadre de la thèse: maroco-français (8,7%) et algéro-français (4,4%), chilien-canadiens (1,5%). Ces entretiens, dont l’analyse n’est pas finalisée, donneront des éléments supplémentaires de compréhension quant à la trajectoire professionnelle et au processus d’engagement des acteurs humanitaires.

 

Pour conclure, il est à noter qu’environ 18,9% des acteurs associatifs, rencontrés dans le cadre de ma thèse, sont des personnes issues d’un pays du Sud ou binationales, ce qui confirme le processus en cours à savoir : la diversité dans les recrutements dans les ONG de développement. De même, il est à noter également que les ONG internationales rencontrées au Maroc recrutent des personnes de nationalité autre que celle de l’ONG. Ainsi, au sein d’une ONG, les volontaires et salariés peuvent être de nationalité française, italienne, espagnole voire sénégalaise ce qui démontre le mouvement d’internationalisation des recrutements dans les ONG de développement à l’instar des ONG d’urgence.

Chadia Boudarssa

2/9/2012

Source : grotius.fr

 

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