Au "'t Hoekje Winkel" (le "magasin du coin"), dans un des quartiers les plus pauvres de La Haye, Ibrahim prépare des kebabs pour ses clients, un léger sourire aux lèvres : la déconfiture du parti islamophobe et europhobe de Geert Wilders aux législatives de mercredi réjouit tout le quartier.
"Hier, quand on a annoncé les résultats, tout le monde s'est envoyé des messages, ils étaient contents, c'était une bonne nouvelle", assure à l'AFP le jeune homme d'origine turque, installé aux Pays-Bas depuis une dizaine d'années.
Dans le petit magasin sont vendues des préparations turques, des pains et des pâtisseries, qui côtoient du fromage néerlandais ou des portes-clés en forme de petits sabots.
"Je suis fière des Néerlandais qui n'ont pas voté pour lui : je suis marocaine mais aussi néerlandaise", assure Karima, 20 ans, tout en recoiffant ses longs cheveux bouclés face à la vitrine du magasin où travaille Ibrahim.
Mercredi, le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders qui, tout en proposant l'interdiction du Coran, avait troqué sa rhétorique anti-islam pour un discours europhobe, n'a récolté que 15 sièges, contre 24 aux législatives de 2010.
Le scrutin a été remporté par le parti du libéral Mark Rutte, le Premier ministre sortant, dont le parti a obtenu 41 sièges, suivi de près par les travaillistes de Diederik Samsom, avec 39 sièges.
Le PVV reste la troisième force politique du pays, ex-aequo avec la gauche "dure" d'Emile Roemer, avec 15 sièges de députés sur les 150 disponibles à la chambre basse du parlement néerlandais.
Le patron d'Ibrahim, Nurritin, également d'origine turque et à La Haye depuis 23 ans, roule une cigarette d'un air pensif : "je suis content, comprenez-moi bien, mais je crois que l'important pour les gens n'était plus la religion ou l'immigration, c'était l'argent".
Beaucoup dans le quartier estiment que le budget de rigueur proposé par le libéral Mark Rutte - pressenti pour être reconduit comme  Premier ministre - pour ramener le déficit public du pays sous la limite des 3%, signifie moins d'allocations sociales et des augmentations d'impôts.
"Les gens sont inquiets et s'interrogent sur les économies que Rutte veut faire et les impôts, ils n'ont que ce mot-là à la bouche : ++impôts, impôts, impôts++", assure Nurritin en ce lendemain d'élections.
"C'est pas facile, ici, vous savez", ajoute un collègue d'Ibrahim et de Nurritin, également turc : "on s'inquiète, on se demande si on va devoir payer plus".
Dans le Schilderswijk (quartier "des peintres"), serré entre un large canal et des voies ferroviaires, le chômage est deux fois plus élevé que la moyenne de la ville de La Haye et 70% des habitants ne disposent que d'un bas revenu.
Turcs et Marocains représentent ensemble près de 50% de la population du quartier, quatre fois plus que la moyenne de 12,6% sur l'ensemble de la municipalité.
"Bon appétit", lance Nurritin à un client, un comptable de 26 ans, qui vient d'entamer un dí¼rí¼m.
"Je suis content du résultat mais je crois que c'est encore possible qu'il (Wilders, ndlr) revienne", assure Ramazan Erdogan.
Détenteur de la nationalité néerlandaise, le jeune travailleur s'inquiète lui aussi de la coalition à venir dans le pays et d'un budget de rigueur qui sera bientôt présenté au parlement.
Quelques rues plus loin, Sebahattin Erbas, 46 ans, prend quelques instants de repos devant son magasin "Erbas Food" avant une longue journée de travail.
"Je crois que les gens se sont rendus compte que c'était quelqu'un qui parlait beaucoup mais ne faisait pas grand chose", dit-il en parlant de Geert Wilders: "il ne lui font plus confiance".
"Par contre, si les libéraux et les travaillistes forment une coalition, ils sont tellement différents que c'est possible que le gouvernement chute très vite et là, les déçus se retourneront vers Wilders et son discours facile", assure M. Erbas.
Au même moment, Jasemin, une infirmière d'origine marocaine, rentre de sa garde de nuit : "qu'il vienne!", défie-t-elle à l'attention de M. Wilders. Voilée d'un foulard dont les bords sont recouverts de perles argentées, elle affirme "je n'ai pas peur de lui"!
13 sept 2012
Source : AFP