La décision du journal belge néerlandophone "De Morgen" de ne plus utiliser le mot "allochtone" pour désigner les personnes d'origine étrangère, terme qu'il juge "stigmatisant" et "excluant", a suscité un vif débat en Belgique, notamment au sein des médias qui se demandent si ce mot était nécessairement teinté d'esprit négatif, et s'accordant à dire que ce n'est pas un changement sémantique qui apportera les solutions aux problèmes du racisme et des discriminations.
Jeudi dernier, le quotidien flamand à grand tirage De Morgen (centre gauche) annonçait à la une sa décision de ne plus employer sur ses colonnes le terme "allochtone" (allochtoon), un terme qui "stigmatise sans nuance tout un groupe de personnes", selon son rédacteur en chef Wouter Verschelden.
"C'est dans les faits un mot codé pour remplacer d'autres qualificatifs: musulman, peu éduqué, pauvre, arabe, nord-africain ou non-européen", indique-t-il.
"Alors qu'il désigne en principe ceux qui ne sont +pas d'ici+, nous ne l'utilisons jamais pour un Français, un Néerlandais ou un Allemand", ajoute-t-il.
Pour Wouter Verschelden, ce mot est certes "pratique", mais ce terme est "stigmatisant" et "excluant", et selon lui, son côté pratique ne peut excuser de labelliser ainsi de façon simpliste un groupe de personnes.
La démarche du Morgen a été favorablement accueillie par le chef du gouvernement belge Elio Di Rupo, d'origine italienne, qui a salué une "belle et courageuse initiative". "Personne n'écrit jamais que je suis un Premier ministre allochtone", ajoute M. Di Rupo.
La ministre de l'Intérieur et l'égalité des chances, Joëlle Milquet, a quant à elle, invité l'ensemble des médias belges à suivre l'exemple du Morgen et à supprimer le terme "allochtone" de leur vocabulaire.
Un appel qui ne trouvera pas écho auprès des médias belges, qui estiment que le mot en lui-même "n'est pas choquant" ni "blessant", mais plutôt la façon dont il est utilisé.
"De par sa définition, allochtone est un terme correct", estime Jean-François Dumont, secrétaire général adjoint de l'Association des journalistes professionnels (AJP), qui dit "ne pas être choqué" par ce mot.
Mais, poursuit-il, il faut faire attention à la façon dont on utilise les mots. Il est essentiel que les journalistes s'interrogent sur le sens des mots qu'ils emploient. Dans la presse, beaucoup de mots sont connotés positivement ou négativement", a-t-il ajouté.
Un point de vue que partage le directeur-rédacteur en chef du quotidien "le Soir" Didier Hamann, qui estime que "tous les médias ont un rôle déterminant dans l'élaboration des stéréotypes et qu'ils doivent encourager à susciter une autre perception des minorités ethniques" en Belgique.
"La sémantique participe évidemment à cette construction d'image mais croire qu'elle peut résoudre les exclusions relève du rêve", souligne-t-il.
Pour lui, on peut toujours supprimer le mot allochtones, si l'on veut, mais un autre prendra sa place. "Il ne faut pas changer le lexique, il faut adapter certaines mentalités", poursuit le journaliste.
Et de conclure que le "vivre ensemble" passe par "la reconnaissance des différences" et appeler les choses par leur nom ne nuit pas à la résolution des problèmes. "Ce n'est pas en changeant les mots, en pratiquant la distorsion de la réalité que les journaux résoudront la question de la coexistence de communautés de cultures différentes". La solution, selon lui, "réside dans le traitement éditorial plus que le vocabulaire".
Pour l'éditorialiste de "la Libre Belgique", "le mot Allochtone, qui signifie d'origine étrangère, n'est pas blessant. Et s'il est utilisé, c'est souvent pour éviter d'autres mots qui, eux, peuvent jeter le discrédit sur une race, une religion, une région", estime-t-il.
"Il ne faut pas nier la stigmatisation dont souffrent certaines personnes nées ici, Belges et fiers de l'être, simplement parce qu'elles portent sur leur visage les signes de leur lointaine origine. Penser qu'en supprimant le vocable "allochtone", on va régler le racisme, l'exclusion, la ghettoïsation, c'est très naïf. Il faut renforcer les efforts individuels, collectifs pour intégrer ceux qui souhaitent l'être, pour modifier l'image que l'on a les uns des autres. Il y a un mot pour cela : le respect", écrit l'éditorialiste.
Le rédacteur en chef de "la Dernière heure" a, quant à lui, affirmé qu'il continuera à employer ce mot.
"Nous ne trouvons pas qu'il est choquant. Ce n'est pas en biffant un terme qu'on va résoudre le problème de l'intégration des minorités ethniques dans une société aujourd'hui mondialisée", indique-t-il.
Même son de cloche du côté de la RTBF, (Radio et télévision belge francophone), dont le directeur de l'information Jean-Pierre Jacquemin, ne compte pas interdire l'utilisation du terme "allochtone", et qui insiste sur l'emploi du "mot juste" qui permet au public de comprendre l'information.
"A la RTBF, il n'y aura pas de bannissement. Nous ne sommes pas pour l'interdiction mais pour l'usage de mots et de concepts qui doivent être compris par le plus grand nombre, par tous nos publics", dit-il.
Les médias relèvent par ailleurs que l'annonce du Morgen intervient dans un contexte marqué par des manifestations qui ont eu lieu récemment à Anvers en réaction à la diffusion sur internet d'une vidéo portant atteinte à l'islam. Elle intervient également à trois semaines du scrutin communal du 14 octobre, et en plein campagne électorale où le thème de l'immigration est fortement présent.
26 Sept. 2012, Mahjouba Agouzal
Source : MAP