Après avoir tout quitté au Maghreb, famille et patrie, pour s’installer et trouver du travail en France, de nombreux immigrés maghrébins arrivés dans les années 50 dans l’hexagone sont aujourd’hui atteints de la maladie d’Alzheimer. Des chercheurs et des spécialistes en gériatrie français ont décidé de mener une expérience sur certains d’entre eux pour savoir s’ils ont oublié le français, la langue de leur pays d’accueil.
Alibi - Alzheimer, immigration et bilinguisme -, c’est le nom du programme scientifique lancé il y a un an en France par une dizaine de chercheurs et spécialistes en gériatrie et en langues, un programme qui n’a pas fait hélas grand écho dans la presse. Objectif : voir si des personnes immigrées dans les années 50 en France ont perdu leur connaissance de la langue française.
Un français aux oubliettes
La directrice de ce programme est le Docteur Mélissa Barkat-Defradas, franco-algérienne et chargée de Recherches au CNRS à l’Université de Montpellier, un travail mené sous l'égide de l'Institut des Sciences de l'Homme de Lyon. L’idée de ce programme lui est venue en 2005. « C’est suite au décès de ma grand-mère atteinte de la maladie d’Alzheimer que j’ai décidé de m’intéresser de près aux effets de cette pathologie sur la population immigrée. Avant sa mort, ma grand-mère ne parlait plus du tout le français, langue qu’elle connaissait pourtant, elle ne s’exprimait plus qu’en arabe dialectale », explique Mélissa Barkat-Defradas.
Durant deux ans, des linguistes, des neuropsychologues, un socio-démographe, des gériatres et des gérontologues vont étudier les effets de la maladie d’Alzheimer sur un échantillon de 15 personnes immigrées d’origine maghrébines, des Marocains, Algériens et Tunisiens atteintes de la maladie d’Alzheimer à différents stades. Ces immigrés sont issus de la première génération, arrivés en France dans les années 50 pour trouver du travail. Elles sont âgées aujourd’hui entre 70 à 80 ans. Ce sont également des personnes qui n’ont été ni scolarisées en France ni dans leur pays d’origine. Elles sont bilingues parlant l’arabe et le français, langue qu’elles ont apprise lors de leur arrivée en France. Néanmoins, aucune d’entre elles n’est trilingue et ne parlent le berbère, tient à préciser notre chercheuse.
« L’une des particularités de l’Alzheimer est que les malades perdent et oublient les choses qu’ils ont acquises tardivement dans la vie. Celle qui ont été acquises beaucoup plus tôt résistent plus à la pathologie », poursuit-elle.
Des test neuropsychologiques inadaptés
Par conséquent, un problème de poids se pose. Celui de la prise en charge de ces malades en milieu hospitalier. Comment les médecins ou les infirmières peuvent-elles communiquer avec des gens qui ne parlent plus le français et ne comprennent que l’arabe ? De plus, comme le souligne Mélissa Barkat-Defradas, il existe en France très peu d’aides-soignants formés qui savent parler l’arabe.
Autre problème posé : celui du diagnostic de la maladie. Pour mieux savoir si le patient est en phase 1, 2 ou 3 de la maladie, les médecins utilisent des tests neuropsychologiques. Comment évaluer la gravité de la maladie d’un patient immigré si ce dernier a passé un test en français, alors qu’il ne comprend plus la langue ? Il risque d’être classé dans une phase 3 alors que son état pourrait être beaucoup moins grave. Par ailleurs, Malika déplore qu’il n’existe pas des tests neuropsychologiques équivalents en langue arabe et qui soient adaptés à la culture du patient immigré. « Je vous donne un exemple. Lors de ces tests, on montre parfois des photos d’animaux pour savoir si le patient se souvient du nom de cet animal. Mais si on lui montre l’image d’un cochon, comment peut-il se souvenir du nom de cet animal, s’il n’a jamais vu un cochon de sa vie », lance-t-elle.
Malika et son équipe ont donc été obligées de créer des tests spécialement pour s’adapter à la culture et aux connaissances des personnes de l’échantillon. Des entretiens filmés, durant lesquels ces patients devront raconter certains passages de leur vie afin de mesurer si ces personnes maîtrisent toujours le français, sont également prévu dans le cadre du programme Alibi.
28.09.2012, Hanane Jazouani
Source : Yabiladi