dimanche 24 novembre 2024 12:11

Le gouvernement français et le casse-tête de la rétention des enfants de migrants

Pour les associations d'aide aux migrants, c'est un cas d'école prévisible et inacceptable. Pour le ministère de l'intérieur, un casse-tête. Comment expulser une famille avec des enfants mineurs lorsqu'elle refuse de quitter le territoire de son plein gré, alors que le président de la République s'est engagé à mettre fin "à la rétention des enfants et donc des familles avec enfants" ? Une pratique pour laquelle la France avait été condamnée en janvier par la Cour européenne des droits de l'homme.

La situation s'est présentée au Mans, vendredi 28 septembre, pour la première fois depuis le changement de majorité. La famille Khoja, un couple d'Afghans et leurs deux enfants, âgés respectivement de 3 ans et 2 mois et demi, rentrée illégalement en France le 3 avril, a été enfermée une nuit au centre de rétention administrative du Mesnil-Amelot (Seine-et-Marne) pour s'être soustraite à une obligation de pointage.

Si François Hollande avait annoncé en février que "la protection de l'intérêt supérieur des enfants" devait "primer", le ministère de l'intérieur avait précisé dans une circulaire datée du 6juillet qu'"en cas de non respect des conditions de l'assignation à résidence, en cas de fuite d'un ou plusieurs membres de la famille ou en cas de refus d'embarquement", la rétention d'enfants mineurs restait possible.

L'interprétation de cette circulaire est le premier point de désaccord entre la préfecture de la Sarthe et les associations. L'une avance des "violations" à l'assignation de résidence, la Cimade et Education sans frontières (RESF) parlent d'une seule absence à un pointage, le jour où la famille aurait due être expulsée vers la Hongrie. C'est dans ce pays que les Khoja ont déposé leur première demande d'asile, et en vertu de la procédure dite Dublin 2, c'est dans ce pays que devrait être examinée leur demande.

L'état des enfants est "incompatible avec la rétention"

Mais pour Yves Cottereau, membre de RESF dans la Sarthe, "les renvoyer en Hongrie, c'est les renvoyer en Afghanistan". Il rappelle que ce pays de l'Union européenne a été critiqué en avril par le Haut-commissariat aux réfugiés de l'ONU pour avoir l'habitude d'expulser les demandeurs d'asile renvoyés vers elle depuis d'autres pays européens sans même leur laisser le temps de déposer une nouvelle demande. "Son père et son frère ont été assassinés, M.Khoja est persuadé qu'il va connaître le même sort en Afghanistan", ajoute M. Cottereau.

Deuxième point de désaccord: le sort des Khoja. Après l'intervention d'un médecin jugeant l'état des enfants "incompatible avec la rétention", la famille a été assignée samedi soir à résidence sous surveillance dans un hôtel de Noisiel (Seine-et-Marne) où d'importants moyens policiers ont été déployés. "C'était comme dans les films américains", raconte Bruno Vinay, l'avocat de la famille, qui rapporte la présence de trois voitures de police et d'une dizaine d'agents de la police nationale et de la police de l'air et des frontières à l'entrée et dans le couloir de l'hôtel. "Ils ne peuvent pas sortir de cette chambre, même pour prendre l'air sur le parking. Ils ne peuvent pas non plus recevoir de visites d'associations d'aide médicale ou juridictionnelle comme dans un centre de rétention. On m'a fait comprendre que toute tentative de sortie entraînerait une interpellation", assure Me Vinay.

David Rohi, responsable de la commission éloignement de la Cimade, met en garde contre "toute mise en place d'un système de rétention bis". Pour lui, les membres de cette famille, "gardés par la police 24 heures sur 24 sont privés de liberté en dehors de tout cadre légal". Du côté du Défenseur des droits, saisi par la Cimade, on dit "espérer que cette nouvelle forme d'assignation à résidence ne va pas se généraliser car cela pourrait aboutir à des situations ubuesques". Après signification d'une nouvelle assignation à résidence de 30 jours, la surveillance policière a été levée lundi soir.

02.10.2012, François Béguin

Source : Le Monde.fr

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