Ce jeudi, Angela Merkel a convoqué un grand sommet sur la démographie. Une urgence, explique Reiner Klingholz, directeur de l'institut berlinois pour la population et le développement. INTERVIEW
L’Allemagne découvre-t-elle seulement aujourd'hui l’ampleur de son problème démographique ?
Non. Depuis quarante ans, nous voyons où nous allons. En quatre décennies, le nombre annuel des naissances a diminué de plus de la moitié et l’espérance de vie a augmenté de dix ans. Cette évolution était prévisible
Les conséquences pour le marché de l'emploi et le financement des retraites semblent particulièrement alarmantes...
Les entreprises vont devoir s’organiser, d’ici à 2030, avec 6,3 millions d’actifs en moins sur le marché du travail, tout en restant assez productives pour que la société puisse financer une augmentation de 5,5 millions du nombre de personnes âgées de plus de 64 ans. Et cette tendance se poursuivra au-delà de 2030 : d’ici à 2050, nous aurons, par rapport à aujourd’hui, 12,7 millions de personnes arrivant à l’âge de la retraite de plus que de jeunes gens qui entreront dans la vie active.
Quels sont les moyens d’inverser cette tendance ?
Etant donné les circonstances, il faut activer trois leviers en même temps : la politique familiale, la politique de formation et la politique d’immigration. Le gouvernement doit lancer une vraie politique globale, cohérente et courageuse. Par exemple, pour gérer la pénurie de population qui existe déjà dans certaines régions d’Allemagne, et pas seulement dans les parties orientales du pays, mais aussi à l’Ouest. Les jeunes les ont désertées parce qu’ils n’y trouvent pas de travail. Nos dirigeants feignent d’ignorer le problème, au lieu d’agir.
Sur la politique familiale, Angela Merkel a mis beaucoup d’argent dans l’accueil à la petite enfance, mais apparemment avec un succès limité. Comment expliquez-vous ce résultat ?
La politique familiale de ces dernières années a, en effet, peu apporté. Il faut bien comprendre que les tendances démographiques à la baisse datent d’une quarantaine d’années, soit plus d’une génération. Beaucoup de femmes en âge de procréer ont grandi avec en tête un modèle de famille restreinte. 1,4 enfant par femme, c'est aujourd'hui la norme sociale. Et la famille de 3 enfants, l’exception. De plus, en Allemagne, la politique familiale est toujours vue avec défiance. Contrairement à la France, le sujet reste connoté politiquement.
Face à la pénurie, les milieux d’affaires allemands souhaitent faire appel l’immigration. La loi le permet-elle ?
Nous avons besoin de main d’œuvre étrangère pour combler les besoins. Il y a déjà des secteurs entiers du marché du travail en manque et, en 2020, tous seront en pénurie. Pour l’heure, la loi ne permet pas cette immigration, si ce n’est par le biais d’une série d’exceptions, qui ne cesse de s’allonger.
Les Allemands doivent-ils se réjouir de l’arrivée de jeunes diplômés de Grèce et d’Espagne ?
A court terme, oui. Ces jeunes comblent nos besoins et échappent à la crise chez eux. Mais à moyen terme, non. Ils sont la force vive de pays, qui ont besoin d’eux. De plus, nous savons qu’avec leur passeport européen, ils ne demanderont pas la nationalité allemande et ne s’installeront pas définitivement. L’Allemagne a besoin de main d’œuvre du tiers monde, qui s’ancre durablement chez elle, sur le modèle de ce qui se fait au Canada.
03-10-2012, Sabine Syfuss-Arnaud
Source : Challenges.fr