On peut voir de deux manières cette multiculturalisation de l’échiquier politique communal.
C’est sans conteste une des lignes de faîte de ces élections communales : du nord au sud, en passant - surtout - par le centre du pays, les partis ont veillé à "colorer" particulièrement leurs listes de manière communautaire s’entend, c’est-à-dire en les ouvrant à un nombre jamais vu de candidat(e)s issu(e)s de l’immigration et de cultures religieuses ou spirituelles très diverses. Autre phénomène émergent : la présence de candidats issus de l’ex-bloc soviétique dont nombre de ressortissants ont l’espoir souvent déçu de trouver l’Eldorado dans nos contrées.
Mieux, désormais, les grandes familles politiques n’ont plus peur de confier la direction de leur liste à ces candidats. A Bruxelles, ils étaient deux à être dans ce cas il y a six ans, voilà qu’ils sont déjà sept et ce n’est sans doute pas fini !
Du côté wallon, l’on enregistre au moins quatre cas de potentiels bourgmestres non autochtones alors qu’en Flandre, qui est bien plus exigeante sur le terrain de "l’inburgering", l’on constate que près de dix pour cent des candidats sont issus de la multiculturalité (lire en page 6).
On peut voir de deux manières cette multiculturalisation de l’échiquier politique communal. De manière positive, bien évidemment, comme la politologue liégeoise Fatima Zibouh.
Selon cette dernière, "la participation politique des étrangers et Belges d’origine étrangère se caractérise avant tout par une grande hétérogénéité. L’appartenance communautaire et/ou nationale y a moins d’importance que les trajets individuels, l’appartenance professionnelle ou socio-économique. Surtout, la relation entre vie politique et origine ethnique ou communautaire doit être vue comme une relation dynamique en constante évolution" .
En clair : les candidats étrangers ne se considèrent plus comme les Marocains ou Turcs "de service", ou comme des faire-valoir de telle ou telle religion. Et ils n’hésitent plus à se profiler de manière autonome par rapport à leur monde d’origine.
Cela, c’est la vision généreuse et optimiste Selon certains observateurs plus critiques comme Sfia Bouarfa, qui connaît mieux que quiconque le sérail et pour cause, il semble bien que tous les partis confondus n’ont pas nécessairement été très regardants en recrutant leurs candidats. Et ont la fâcheuse tendance d’avoir fait appel à des personnalités qui n’ont pas toujours intégré les valeurs démocratiques telles qu’on les pratique chez nous.
Conséquence : l’on connaît plusieurs exemples de transfuges de telle ou telle origine qui passent de la gauche à la droite, ou l’inverse, avec une facilité déconcertante. Sans doute, nombre d’électeurs n’y voient-ils nul mal ou ne s’en aperçoivent pas réellement, mais on peut se poser de sérieuses questions sur le bagage politico-idéologique de ces "ramasse-voix".
Au-delà de ce mercato, les directions politiques ne "screenent" pas toujours les candidats aussi sérieusement qu’il le faudrait. Avec la conséquence qu’ils se retrouvent, par exemple, avec des candidates qui tiennent absolument à garder le foulard islamique.
Il y avait le précédent de Mahinur Özdemir à Saint-Josse pour le CDH aux élections régionales de 2009, qui n’a jamais enlevé son voile, mais les autres partis traditionnels ont aussi des candidates aussi déterminées : c’est le cas de Derya Aliç (Schaerbeek) et de Farida Tahar (Molenbeek) pour le PS, alors qu’au MR, on s’est distancié de la liste tennoodoise des "Bleus de Saint-Josse" où figure la cousine d’Emir Kir, Canan. Une problématique qui n’est pas résolue car quid en cas d’élection ? La pression identitaire ne l’emportera-t-elle pas sur l’adhésion partisane ? S’ajoutent à cela des dimensions non moins interpellantes puisqu’elles touchent au négationnisme des génocides du XXe siècle. Nombre de candidats d’origine turque adoptent une posture plus qu’ambiguë par rapport au génocide arménien et il faut souvent passer par les médias turcs pour connaître leur point de vue.
Enfin, si l’appartenance catholique ne joue plus, à quelques exceptions près comme ces candidats du CDH d’Uccle qui osent dire leurs convictions, il y a un vote évangélique africain qui ne manque pas d’être pris en compte au sein du parti de Benoît Lutgen, mais qui s’est surtout imposé sous la présidence de Joëlle Milquet.
06/10/2012, Christian Laporte
Source : Lalibre.be