Dans un camp boueux de l'ouest birman, Rahima laisse éclater son désespoir: "Nous sommes presque déjà morts. Je veux partir dans un autre pays!". Comme elle, des milliers de Rohingyas, musulmans apatrides déplacés par les violences communautaires, ne rêvent plus que d'exil.
"Je n'ai pas assez à manger", poursuit cette femme de 55 ans, dont le mari et le fils de 25 ans ont été tués lors des violences entre musulmans et bouddhistes en juin. "Combien de temps pouvons-nous continuer à vivre ici?".
Ici, c'est le camp de déplacés de Say Thamagyi: des alignements de tentes de toile blanche, d'abris en bambou ou de simples bâches tendues, où survivent près de 10.000 Rohingyas.
Plusieurs dizaines de milliers d'autres ont fui les violences meurtrières de juin entre musulmans et bouddhistes de l'ethnie rakhine. Ils vivent dans des conditions déplorables juste à l'extérieur de Sittwe, capitale de l'Etat Rakhine.
A seulement quelques kilomètres du centre-ville, l'accès à Say Thamagyi est difficile, à travers des rizières inondées par les dernières pluies de mousson.
L'AFP a visité ce camp juste avant que de nouveaux affrontements fin octobre ne fassent des milliers d'autres sans-abri. A l'époque déjà, les déplacés manquaient de tout, nourriture, médicaments, sanitaires.
"C'est un calvaire dans les camps. Quand nous sommes arrivés ici, nous avions dû tout abandonner", raconte Mohammed Ismail, les larmes aux yeux. Mais le jeune homme de 32 ans au petit bouc noir a surtout perdu espoir.
"Dès que la saison des pluies se termine, nous partirons", promet-il, au diapason d'une grande partie de sa communauté. Un dernier recours qui fait craindre à l'ONU et aux ONG des départs massifs de "boat people" dans les prochains mois.
"Il est probable que nous assistions à une augmentation massive du nombre de Rohingyas qui prendront la mer cette année", prédit ainsi Matthew Smith, de Human Rights Watch. Un voyage périlleux qui témoigne du "niveau de désespoir de cette population".
Les 800.000 Rohingyas confinés dans l'Etat Rakhine, apatrides, sont considérés par l'ONU comme une des minorités les plus persécutées de la planète, victimes depuis des décennies de restriction de déplacements, d'accès limité à la santé et à l'éducation, de confiscation de terre et de travail forcé.
Cette situation a poussé par le passé nombre d'entre eux à s'exiler.
Deux vagues d'environ 250.000 réfugiés chacune étaient arrivées ainsi au Bangladesh en 1978 et en 1991-92, suivies de rapatriements. Mais le pays, qui estime accueillir 300.000 Rohingyas sur son sol, ne veut plus de ces réfugiés.
Alors la Malaisie est devenue leur nouvel eldorado.
Entre l'automne 2011 et mai 2012, 7.000 à 8.000 Rohingyas ont quitté l'Etat Rakhine ou le Bangladesh en bateau pour tenter de rejoindre ce pays où vivent déjà officiellement plus de 20.000 d'entre eux, explique Chris Lewa, directrice de l'ONG The Arakan Project, précisant que ce chiffre est le plus important depuis qu'elle suit ces mouvements migratoires depuis 5 ans.
Et cette saison, signe d'un désespoir accru, la migration a commencé avant la fin de la mousson.
Nur Islam, 23 ans, a ainsi quitté Sittwe il y a quelques semaines. "J'étais sur le bateau pendant quinze jours, sans nourriture (...). J'ai cru que j'allais mourir", raconte-t-il à l'AFP à Kuala Lumpur.
"A cause du danger, je suis simplement parti (...). Je ne retournerai jamais là-bas", promet-il, espérant pouvoir faire venir ses parents dont il est sans nouvelles.
Mais les Rohingyas, qui sont des centaines de milliers éparpillés dans le monde, ne sont bienvenus nulle part.
Les nouveaux exilés, plus nombreux, risquent de se frotter à un accueil encore moins chaleureux, même dans des pays musulmans qui ont pris leur défense ces derniers mois.
"La Malaisie et l'OIC (Organisation de la Conférence islamique, ndlr) seront peut-être bienveillants pour les premiers milliers, mais les gouvernements et les habitants vont très vite se lasser et avoir peur de cet exode massif", prévient ainsi Sarnata Reynolds, de Refugee International.
Une perspective qui ne décourage pas les Rohingyas de Birmanie.
"Il n'y a rien à faire ici. Alors c'est naturel d'essayer de trouver mieux", constate Kyaw Hla Aung, un des leaders de la communauté à Sittwe.
Mais pour cet avocat à la retraite, partir est également un déchirement. "Comment pouvons-nous abandonner les mosquées en ville? Comment abandonner notre terre?".
30 oct 2012
Source : AFP