Cinq morts par jour en moyenne en 2011 aux frontières européennes: le réseau Migreurop livre jeudi pour la première fois un bilan de ce qu'elle appelle "la guerre aux migrants" livrée par l'Union européenne.
Au moins 2.000 personnes ont péri l'année dernière en essayant de gagner l'UE, selon ce réseau d'une quarantaine d'associations européennes et africaines militant pour la libre circulation des personnes.
Ce chiffre, lié aux opérations militaires en Libye, est largement supérieur au bilan de 2010 (environ 320) mais proche du record de 2006, selon les données publiées dans l'Atlas des Migrants en Europe.
Au total, au moins 16.250 migrants sont morts - par noyade, asphyxie, faim, froid ou suicide - aux frontières de l'Europe au cours des 20 dernières années, peut-on lire dans cet Atlas.
Près de 13.000 d'entre eux ont disparu en mer sur le flanc sud de l'UE: environ 6.000 dans le golfe de Sicile, 2.500 vers Gibraltar et près de 3.000 au large des Iles Canaries.
"La frontière verte séparant, en pleine zone forestière, l'Ukraine de la Pologne, est un autre des axes meurtriers", précise l'ouvrage, qui donne l'exemple de trois fillettes tchétchènes mortes après s'être perdues dans les montagnes polonaises en septembre 2007.
Ce décompte s'appuie sur "une liste des morts" établie par l'association United for intercultural action, basée à Amsterdam, sur la base d'articles de presse ou d'informations d'acteurs de terrain.
Cette liste actualisée, transmise à l'AFP, fait état de 722 morts du 1er janvier au 25 octobre 2012. Au cours des quinze derniers jours, 90 personnes supplémentaires sont décédées en Méditerranée, ont indiqué à l'AFP des sources marocaines.
Parmi les dernières victimes figurent un bébé africain noyé au large de Melilla, un jeune Angolais tombé d'un avion en route vers Londres, deux Somaliens morts de faim lors de la dérive de leur embarcation...
Une hécatombe ignorée
Le bilan, souligne Migreurop n'est qu'une "représentation a minima d'une hécatombe ignorée", car la liste est fondée sur le décompte des corps retrouvés ou les témoignages des survivants de naufrage, ce qui occulte notamment les embarcations qui disparaissent au large sans rescapés.
Le réseau justifie ce "décompte macabre", "loin d'être exempt de biais", par la nécessité de "donner de la lisibilité à une situation trop souvent réduite à la fatalité et au fait-divers".
"Il s'agit aussi d'un hommage à rendre aux victimes", écrivent les auteurs de l'Atlas qui incriminent "les politiques migratoires restrictives" de l'UE.
"Le renforcement des contrôles aux frontières n'a pas jugulé les flux d'immigration irrégulière mais il a multiplié les prises de risques", écrivent-ils, en évoquant une "guerre aux migrants".
Pour eux, "les lignes de front" ne se cantonnent pas à l'UE: frontière mexicano-américaine, eaux territoriales australiennes, Golfe d'Aden... Les migrants y tombent rarement sous les balles des garde-frontières mais sont "livrés par le cadenassage des routes sûres aux éléments naturels".
Plus grave, estiment-ils, les Européens sont coupables de "non assistance à personne en danger". "Pendant l'intervention en Libye, il y avait un grand nombre d'yeux en Méditerranée", a déclaré Violaine Carrère en conférence de presse.
Selon elle, les navires militaires de l'Otan et des pays engagés avaient tous les moyens de repérer les embarcations en souffrance. "Il y a eu une dérive vers l'enfer sous les yeux de nos militaires", dit-elle.
8/11/2012
Source : L’Express/AFP