Park Jeong-hun était heureuse au Japon. Cette Coréenne de la deuxième génération vit à Nagoya et s'entend parfaitement avec ses voisins. Mais aujourd'hui son visage trahit tristesse et inquiétude car il flotte comme un parfum de nationalisme sur les rivages de mer de Chine.
Depuis qu'elle a voulu monter avec quelques bénévoles un spectacle de danse traditionnelle coréenne, elle n'a cessé de recevoir des coups de téléphone anonymes lui "conseillant" fortement d'abandonner l'idée "en cette période sensible" entre les deux pays.
Le Japon et la Corée du Sud sont en effet à couteaux tirés depuis quelques mois à cause d'une petite île administrée par Séoul mais que Tokyo revendique. Et immanquablement ce différend sur l'île Dokdo (Takeshima pour les Japonais) a réveillé de vieilles haines recuites: l'occupation japonaise de la péninsule coréenne, les "femmes de réconfort" coréennes au service sexuel des soldats japonais, etc.
Tokyo est aussi en délicatesse avec la Chine, également pour une histoire d'îles. Il n'en a pas fallu plus pour faire remonter à la surface le passé militariste et impérial du Japon.
"Ma fille m'a dit que si on danse avec notre coeur, ils comprendront. Mais j'ai préféré annuler pour la sécurité des enfants", dit Park à l'AFP.
"Ils", ce sont les Japonais, poursuit Park, inquiète au point de ne pas donner son vrai nom. "Ils" lui ont dit qu'elle et les Coréens "n'avaient rien à faire ici, au Japon".
Traduction brutale, sur la porte d'un restaurant de Tokyo, le propriétaire a mis une petite pancarte: "pas de Chinois, pas de Coréens".
Selon des observateurs, le patriotisme bon teint de certains Japonais s'est insensiblement mué en un nationalisme plus agressif au point qu'aujourd'hui la droite japonaise, qui prépare son retour aux affaires, doit compter avec ce sentiment diffus.
Ce sont des ministres qui se rendent au sanctuaire de Yasukuni, symbole dans toute l'Asie du Japon fasciste. C'est le maire de Nagoya qui nie le sac et les massacres de Nankin par les troupes japonaises en 1937, c'est encore le flamboyant ex-gouverneur de Tokyo qui dit que jamais le Japon ne devrait s'excuser pour le passé, etc...
Bien qu'il n'existe pas de parti d'extrême droite proprement dit au Japon, à la différence de plusieurs pays européens, les autorités surveillent les mouvements de cette obédience. A la tête de l'Agence de la police nationale Takuji Norikane garde un oeil sur ces extrémistes potentiels.
Avant, explique-t-il, ils étaient facilement repérables: uniformes militaires et paramilitaires, défilés avec musique martiale à bord de camions noirs hérissés de drapeaux du Japon impérial, en vociférant des slogans relayés par une sono assourdissante.
Ce "folklore" nationaliste existe toujours mais beaucoup se sont fondus dans la masse, en partie grâce à l'internet. "Des groupes de civils qui partagent cette idéologie nationaliste et xénophobe sont actifs dans plusieurs régions du pays, et leur nombre ne cesse d'augmenter", affirme Norikane à l'AFP: environ 10.000 personnes contre 900 il y a dix ans.
Pour le journaliste Koichi Yasuda, ces "nationalistes de la toile" sont difficiles à repérer et sont "de même nature que les néo-nazis en Europe".
"Leurs forums sont pleins d'appels à chasser les immigrés", dit ce journaliste auteur d'un livre intitulé "Internet et patriotisme".
L'un de ces groupes, Zatokukai, utilise le net pour organiser des manifestations où les gens déversent leur haine sur les "cafards", les immigrants.
Cela a de quoi étonner quand on songe que le Japon est l'un des pays où l'immigration est la plus faible au monde: environ 1,7% de la population totale.
Mais le pays vieillit et traverse une crise économique aiguë propice à l'exaltation de la grandeur passée et au repli sur soi.
Avec près de 675.000 personnes, les Chinois constituent la plus grosse communauté étrangère, suivis des Coréens, environ 545.000 et dont beaucoup descendent des migrants et travailleurs forcés envoyés au Japon de 1910 à 1945 du temps de l'occupation nippone de la Corée.
Le nationaliste mâtiné de xénophobe serait donc parfois Monsieur Tout le monde, comme cet habitant de Nagoya en complet veston venu protester à la mairie contre le projet de spectacle de Park, et qu'on entend sur internet déverser un torrent d'insultes racistes.
A l'heure où le Japon vit des heures tendues avec ses voisins qui à la première occasion lui jettent son passé à la figure, ces militants d'un nouveau genre sont loin de faire l'unanimité au sein même des "rangs patriotes".
"Quand ils font du vacarme avec leurs slogans racistes ils ne font qu'alimenter le sentiment anti-japonais en Chine et en Corée", explique à l'AFP Daisuke Hariya, chef d'un petit groupe quasi militaire, le Toitsusensen Giyugun, qui prône l'"indépendance", en fait l'émancipation du Japon par rapport aux Etats-unis.
L'anti-américanisme: autre carburant du nationalisme radical attisé par certains milieux et politiciens, notamment l'ex-gouverneur de Tokyo Shintaro Ishihara. Ce dernier a réclamé dernièrement la refonte de la constitution rédigée et imposée par les Etats-Unis au Japon en 1947 et dont l'article 9 lui interdit de faire la guerre.
Il n'en faut pas plus à certains milieux japonais pour s'inquiéter du possible et probable retour à la tête du pays de Shinzo Abe, considéré comme un "faucon" qui veut lui aussi biffer l'"infamant" article 9.
14 nov 2012,
Source : AFP