La rétention de 16 heures censée remplacer la garde à vue des sans-papiers est très critiquée par la Commission nationale consultative des droits de l'homme.
Un peu moins longue qu'une garde à vue et en apparence plus respectueuse des droits : la "retenue pour vérification du droit au séjour", comme l'a appelée Manuel Valls, a pour premier mérite de plaire aux policiers. Ils y voient enfin la possibilité de faire convenablement leur travail. Au début de l'été, la Cour de cassation décide de la suppression de la garde à vue sur le seul motif qu'un étranger est en séjour irrégulier. Colère des policiers, qui ne disposent plus que de quatre heures pour mener à bien les vérifications d'identité. Un délai totalement insuffisant, jugent-ils alors. Afin de répondre à l'urgence, Manuel Valls rassure et affirme qu'une "retenue" supplémentaire de 12 heures sera proposée dès cet automne dans un projet de loi. Ce sera finalement une retenue de 16 heures.
Les parlementaires, eux aussi, applaudissent. Lorsque Manuel Valls vient présenter, le 8 novembre dernier, son projet de loi au Sénat, la Chambre haute lui réserve un accueil chaleureux. Le sénateur PS Jean-Pierre Michel y va de son commentaire : "Ce mécanisme constitue un progrès à plusieurs titres. D'abord, sa durée est inférieure à celle de la garde à vue. Ensuite, les protections qui l'entourent sont plus importantes que celles de la vérification d'identité. Enfin, son contrôle s'effectue sous le contrôle de l'autorité judiciaire."
Une garde à vue "bis"
La Commission nationale consultative des droits de l'homme (CNCDH) ne l'entend pas de cette oreille. Selon elle, cette "retenue" a tout d'une garde à vue bis. Dans son avis voté jeudi après-midi, elle estime que la retenue doit être "la plus brève et aussi protectrice que possible" et rester "dans le cadre de la procédure de vérification d'identité", à savoir quatre heures. "La rétention de 16 heures, c'est juste un moyen de retenir un sans-papiers toute la nuit, dans l'attente d'une réponse de la préfecture le lendemain matin", témoigne une source proche du dossier. D'où la proposition de créer "une permanence de nuit à la préfecture" pour accélérer les procédures sans porter atteinte aux droits des retenus.
Mais les critiques de la CNCDH ne s'arrêtent pas là. Elle note : "Si le projet de loi s'inspire manifestement de la garde à vue lorsqu'il reconnaît des droits au retenu, il est moins protecteur concernant le droit à un avocat, le droit à un interprète ainsi que le droit au silence." Vincent Nioré, avocat parisien et membre de la commission libertés et droits de l'homme du Conseil national des barreaux (CNB), s'insurge : "Mon avis personnel est que ce projet est inadmissible et insuffisant. L'avocat ne peut s'entretenir avec son client qu'une demi-heure au début de la retenue." Insuffisant, d'autant que le contrôle de la procédure est exercé par le procureur de la République. "Sans même évoquer le problème de l'indépendance du ministère public, un tel contrôle est relativement illusoire en raison de la surcharge des parquets", souligne la CNCDH.
Pas de rupture avec la loi Besson ?
En décidant cette "retenue pour vérification du droit au séjour", Manuel Valls semble avoir fait le choix de l'efficacité du travail des policiers, au détriment de certains droits des personnes retenues. Il avait d'ailleurs affirmé, dès le mois de juillet, que cette forme de rétention administrative était essentielle à "notre politique d'éloignement". Le ministre de l'Intérieur a affirmé, à de multiples reprises, ne pas vouloir faire de "politique du chiffre". D'après un rapport publié mardi par 5 associations, 64 000 étrangers ont été reconduits aux frontières de la France en 2011. Un bilan qui ne sera pas forcément moins élevé durant l'ère Valls. En 2012, "le gouvernement n'a pas infléchi sa politique en termes de placement en rétention et de mesures d'éloignement", souligne David Rohi, un des responsables de la Cimade, une association de défense des migrants.
Manuel Valls a surtout pris des mesures en faveur d'une meilleure intégration des immigrés déjà présents sur le territoire. En juillet, il rétablit, par la suppression de la circulaire Guéant, l'accès au travail des étrangers ayant étudié en France. Puis il affirme dans la foulée vouloir assouplir les règles de naturalisation en les dotant de critères objectifs. Mais, concernant les nouveaux arrivants, il y a fort à parier que sa politique ne différera pas de celle menée par le précédent gouvernement.
22/11/2012, Alexandre Borde
Source : Le Point.fr