dimanche 24 novembre 2024 12:13

Aider les migrants de retour au Sénégal à réaliser des profits

Après cinq ans passés à l’étranger, un migrant sur quatre est rentré vivre au Sénégal, selon l’Institut national d’études démographiques (INED) basé en France. Bon nombre d’entre eux ont acquis de nouvelles compétences qui pourraient favoriser le développement, mais la plupart ne reçoivent pas suffisamment d’aide pour réintégrer leur famille ou cibler leurs compétences, ce qui signifie une perte de ressources, indiquent les organisations d’aide aux migrants du Sénégal.
Selon les statistiques les plus récentes, l’Organisation internationale des migrations (OIM) estime que quelque 500 000 Sénégalais travaillent à l’étranger, principalement en Afrique de l’Ouest et en Europe. La plupart des migrants sénégalais s’installent en Gambie et les 45 pour cent restants partent pour la France, l’Italie et l’Espagne.
La moitié des migrants seront de retour dans leur pays d’origine dans un délai de 30 ans, selon les estimations de l’INED.
« Bon nombre de migrants ne sont pas conscients des connaissances qu’ils ont acquises. Ceux qui ont occupé des emplois non qualifiés ont eux-aussi appris des choses, comme le fait de travailler dans une grande entreprise formelle. Ils ont acquis des compétences dans des secteurs comme celui de la construction, qui a besoin de travailleurs qualifiés », a dit Federico Barroeta, coordonnateur du projet migrant en Afrique de l’Ouest de l’Organisation internationale du travail (OIT).
Les compétences acquises par les migrants de retour peuvent stimuler l’économie locale, a noté Mame Mbargane Thiam, représentant national de la fondation CEPAIM, un organisme espagnol qui aide les migrants à préparer et à réussir le retour dans leur pays d’origine. Il a évoqué le cas d’un migrant qui s’est installé à Kaolack, une ville du centre-ouest du Sénégal, pour y ouvrir une usine de production de sel qui emploie jusqu’à 100 personnes. « Mais ils ne reçoivent pas l’aide que le gouvernement sénégalais ou d’autres partenaires devraient leur fournir ».
Les migrants de retour partagent cette opinion et disent se sentir abandonnés par le gouvernement de leur pays d’accueil et par le gouvernement de leur pays d’origine. Tafsir Dia, un migrant âgé d’une quarantaine d’années qui a travaillé en Espagne pendant 16 ans, est aujourd’hui employé par une entreprise espagnole implantée au Sénégal. « C’est injuste, je n’aurais pas dû perdre mes droits en Espagne alors que je participais au développement de l’économie espagnole », a-t-il dit à IRIN, expliquant qu’il n’avait plus le droit d’accéder à l’argent qu’il avait versé au cours des deux dernières décennies pour financer sa retraite, son assurance santé et d’autres services.
À leur retour au Sénégal, la plupart des anciens migrants cherchent du travail dans le secteur informel et créent de petites entreprises. Bon nombre d’entre eux font toutefois face à de graves difficultés financières au cours de la première année, et leurs entreprises sont bien souvent en situation d’échec en raison d’un manque de soutien à la formation, a indiqué M. Barroeta de l’OIT.
Les emplois qui offraient sécurité et avantages sociaux en Europe sont mal rémunérés au Sénégal : ainsi, les ouvriers en bâtiment ne gagnent qu’entre 4 et 6 dollars par jour.
Les migrants qui reviennent de France ont en général une meilleure situation que les migrants qui reviennent d’Espagne, car ils sont souvent plus âgés et plus instruits, ils ont vécu sur place plus longtemps et ont eu davantage de temps pour préparer leur retour, selon M. Barroeta.
La récession qui secoue l’Espagne a mis un habitant sur quatre au chômage et forcé bon nombre de migrants à tenter de rentrer chez eux, bien souvent sans argent. Près de la moitié des demandes adressées à l’OIT par des migrants concernant la façon de rentrer chez eux venaient des Sénégalais qui sont sans emploi en Espagne.

Retours forcés
Il est difficile d’évaluer la proportion de retours forcés et de retours volontaires, car il n’y a pas de définition universelle de ces termes.
La situation des migrants forcés au retour – en général, lorsque leur demande d’asile est rejetée - est plus difficile à gérer, car la plupart d’entre eux sont peu préparés, indique l’OIM. Bon nombre d’entre eux souffrent de dépression et sont rejetés par la société à leur retour chez eux, a ajouté l’OIM.
Plusieurs organisations ou fondations ont lancé des projets, dont l’objectif est d’accorder des prêts et des bourses permettant aux migrants de se réinstaller, mais ils n’atteignent qu’une partie des migrants de retour, et le montant de ces subventions – bien que suffisant pour couvrir les dépenses du quotidien – ne permet pas de créer des entreprises viables, indiquent des critiques.
Le ministère des Sénégalais de l’Extérieur a mis en place un fond d’investissement pour les migrants, baptisé FAISE [Fonds d’appui à l’investissement des Sénégalais de l’Extérieur], qui permet, par exemple, à quelque 30 migrants de retour de bénéficier de prêts de 9 540 dollars chaque année. Le CEPAIM accorde des bourses d’un montant de 1 907 dollars à des migrants sélectionnés qui ont réalisé un plan d’affaires, suivi une formation en gestion financière et signé un document dans lequel ils s’engagent à ne pas retourner en Espagne avant un délai de trois ans.
Mais pour y arriver, les migrants ont besoin de plusieurs dizaines de milliers de dollars, une somme difficile à réunir, car les banques proposent des taux d’intérêt de 8 pour cent et exigent une garantie de 100 pour cent pour les prêts.
La plupart des migrants qui arrivent à leurs fins réussissent en dépit du système de soutien inadéquat et non pas grâce au système. Mor Lo (39 ans) a quitté l’Espagne et est retourné au Sénégal pour une courte période en 2008, lorsque son père est décédé ; l’argent dont il a hérité lui a permis de faire un versement comptant et d’acquérir un magasin avant de repartir en Espagne pour trois ans. Lorsqu’il est revenu s’installer au Sénégal en 2011, le CEPAIM lui a versé 1 900 dollars supplémentaires qui lui ont permis d’acheter des moulins à café et à millet. Aujourd’hui, il réalise 190 dollars de bénéfices par mois. Mais il n’aurait pas pu y arriver sans apport personnel, dit-il.
Information et planification
Si les migrants ont besoin d’argent, ils ont également besoin d’informations et de temps pour préparer et planifier leur retour, indique Guité Diop de l’OIT, directeur des politiques au programme de migration du Sénégal. L’action de l’OIT porte sur une meilleure sensibilisation des migrants aux opportunités de travail dans leur pays d’origine par le biais des réseaux de migrants à l’étranger.
Ils organisent également des ateliers de formation à destination des migrants et de leur famille, car 75 pour cent de l’argent envoyé au Sénégal est consacré à l’achat de produits de consommation quotidiens, a-t-il dit. Si les familles des migrants sont bien informées, elles comprendront les réalités de la migration et elles ne rejetteront par les membres de leur famille qui rentrent au pays, a-t-il dit.
Des migrants ont également dit aux journalistes d’IRIN qu’ils auraient davantage de chances de réussir s’ils pouvaient lancer des projets dans leur pays d’origine tout en continuant de travailler à l’étranger.
Afin de répondre à cette demande, le PAISD [Programme D’appui aux initiatives de solidarité pour le Développement], un programme dont l’objectif est de soutenir les initiatives de développement en France et au Sénégal, fait pression sur les autorités françaises pour qu’elles accordent des « visas de circulation » aux migrants, ce qui leur permettrait de se déplacer d’un pays à l’autre plus facilement pour organiser leur avenir. « De manière générale, … l’idée est d’aider les migrants à jouer un rôle dans le développement de leur pays – que ce soit ici, ou depuis l’étranger », a dit Damien Bachau, conseiller technique du PAISD.
25 novembre 2012
Source : IRIN

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