jeudi 4 juillet 2024 18:21

picto infoCette revue de presse ne prétend pas à l'exhaustivité et ne reflète que des commentaires ou analyses parus dans la presse marocaine, internationale et autres publications, qui n'engagent en rien le CCME.

Chansons de l’immigration : un riche patrimoine

Invitée du festival toulousain Origines contrôlées, l’historienne Naïma Yahi explique l’histoire d’un répertoire essentiel dans la culture universelle.

Historienne de la culture de l’immigration maghrébine en France, Naïma Yahi, également directrice de l’association Pangée Network, a participé, comme coauteur et conseillère au niveau historique, à l’édifiant spectacle musical Barbès Café. Le 22novembre, cette intellectuelle de premier plan a participé à la rencontre « Algérie, le temps d’un cinquantenaire », dans le cadre du festival toulousain Origines contrôlées.

Comment la chanson rend-elle compte de l’histoire de l’immigration? De quelle manière aborde-t-elle les conditions de travail de l’immigré?

Naïma Yahi. La chanson de l’immigration maghrébine est à la fois une chronique sociale de l’enracinement, et de l’engagement politique pour l’indépendance à l’époque coloniale. Elle épouse les formes que prennent les flux migratoires au cours du XXe siècle, et offre une place aux chanteuses dès le tournant de la Seconde Guerre mondiale, à l’instar de la féminisation de l’immigration. Poésie de l’intime, la chanson de l’immigration pose des mots, et met en musique l’indicible, pour l’immigré: la nostalgie de la terre natale, les tentations liées à l’exil, mais aussi le racisme et le mal-logement, comme le faisait Mohamed Mazouni dans les années 1970. Au cours de la même décennie, des chanteurs comme Slimane Azem chantent la carte de résidence, tant réclamée par les travailleurs maghrébins, dans le cadre de mouvements sociaux. Cette carte de dix ans n’a été octroyée qu’en 1983, après la marche pour l’égalité et contre le racisme.

Les travailleurs immigrés ont joué un rôle important dans les luttes ouvrières en France. Cela apparaît-il dans les paroles de ces chansons?

Naïma Yahi. Le répertoire ne reflète pas cet engagement des travailleurs maghrébins qui, pourtant, participent après mai 1968 à toutes les mobilisations, notamment celles qui ont eu lieu dans les industries lourdes, comme la sidérurgie, les mines ou l’industrie automobile. Ces travailleurs sont les premières victimes de la crise, dans les bassins d’emploi. Par contre, la chanson aborde le thème du retour au pays, alors qu’il n’y a plus de travail. Les chanteurs n’hésitent pas à recommander à leurs compatriotes de rentrer au pays et ce, dans un contexte où la xénophobie et les actes racistes se multiplient, au cours des années 1970. Ainsi du chanteur Salah Saadaoui, avec son titre Déménagement ou encore, de Mohamed Mazouni, avec Adieu la France, bonjour l’Algérie.

La chanson s’est-elle « engagée» dès le début?

Naïma Yahi. La chanson a accompagné l’émergence du combat nationaliste maghrébin, en particulier algérien. Les premiers artistes à se produire en exil, tels Mahieddine Bachtarzi et Mohamed El Kamel, organisaient des concerts ou des pièces de théâtre lors des réunions de l’Étoile nord-africaine (premier parti nationaliste), afin de sensibiliser leurs coreligionnaires à la nécessité du combat pour l’indépendance. Il s’agissait d’éveiller leur « conscience nationale », disait-on. Pendant la guerre d’Algérie, certains ont composé des chants clairement nationalistes, tels Afagh Ajrad Thamourthiou (Criquet, sors de ma terre) de Slimane Azem, ou Atir el Kafs (Flotte, drapeau) de Hsissen, membre de la troupe artistique du Front de libération nationale (FLN). La liste des chansons est longue. D’abord chantées dans la clandestinité, elles ont été éditées par des maisons de disques françaises, après 1962.

Les artistes algériens, tunisiens et marocains ont-ils tenté de forger une solidarité entre leurs communautés?

Naïma Yahi. Une même famille artistique mêlait les artistes des trois pays. Il est artificiel de préciser la confession des uns ou des autres car, comme aimait à dire Lili Boniche, il était chanteur algérien avant tout. L’arrivée d’artistes de différents pays, de différentes régions… a permis de riches collaborations. Cette réalité s’est traduite par une solidarité durant la guerre, à l’image du juif algérien Blond Blond, qui participait à des galas dont la recette finançait le FLN.

Le disque Origines contrôlées, de Mouss et Hakim, n’a-t-il pas marqué un bond en avant, dans l’exhumation de ce patrimoine?

Naïma Yahi. Mouss et Hakim ont réaffirmé la valeur d’un patrimoine de France: celui de l’immigration, dont ils sont les héritiers, comme ils aiment à le rappeler. Leur album constitue, dans la prise en compte de ce patrimoine par le grand public, un tournant majeur.

Lire Générations, un siècle d’histoire culturelle des Maghrébins en France (Gallimard, 2009), par Naïma Yahi, Yvan Gastaut et Driss El Yazami.

Algérie, 50 ans de musiques Dans la mémoire trouée par les séquelles de la guerre, le coffret de 4 CD Algérie 50 ans de musiques (MLP/Rue Stendhal) est un isthme réunifiant l’hier et l’aujourd’hui de la chanson de lutte et de l’immigration. On y entend le mythique Slimane Azem, Abdelkader Chaou, Reinette l’Oranaise, Cheikha Remitti et les générations suivantes –Aït Menguellet, Nassima en duo avec Idir, Matoub Lounès, Cheb Hasni… Une anthologie riche et émouvante.

23 Novembre 2012,Fara C.

Source : L’Humanité.fr

Google+ Google+