L’Académie Hassan II des sciences et techniques devrait bientôt publier un rapport très attendu : «Comment relancer la recherche scientifique au Maroc ?»
Les 26 et 27 novembre dernier, à Paris, les Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche, qui ont eu lieu au Collège de France, ont rassemblé les acteurs des territoires, de nombreux ministres et le premier ministre lui-même, Jean-Marc Ayrault, qui a prononcé un discours remarqué sur l’importance de la recherche et sa corrélation avec la compétitivité d’un pays. Autre discours fondateur, celui de Serge Haroche, Prix Nobel 2012 de physique, natif de Casablanca, celui de Françoise Barré-Senoussi, Prix Nobel de médecine 2008, qui préside les Assisses, et celui de Mme Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, qui a effectué une visite de travail en octobre dernier au Maroc. Les interventions ont également mis en évidence les liens entre la société de la connaissance et la démocratie. Comme l’a souligné le rapporteur général des Assisses, Vincent Berger, président de l’Université de Paris Diderot, en rappelant dans une remarquable intervention que l’on pourra lire sur Internet : «La recherche et l’enseignement supérieur préparent la démocratie de demain et construisent la société de la connaissance. L’importance accordée à ce secteur permet à une Nation d’affirmer un cap de civilisation». Nous avons, en marge de ces Assises, à Paris, rencontré un chercheur marocain, Mohamed Najim, directeur d’un laboratoire de recherche de Bordeaux. Il est lui-même auteur d’un rapport publié en 2008 où il tirait certaines conclusions qui restent d’actualité. Entretien.
Le Matin : Vous êtes l’auteur d’un rapport sur la situation de la recherche et développement au Maroc. Quelles sont les conclusions auxquelles vous aboutissez ?
Mohamed Najim : Ce rapport a été nourri par une approche comparative, puisque j’ai eu l’opportunité de me déplacer dans le cadre de la coopération dans la recherche et le développement dans de nombreux pays comme l’Afrique du Sud, l’Inde, le Mexique, le Brésil, Cuba, mais aussi dans des pays voisins comme l’Algérie, la Tunisie ou des pays de l’Union européenne. Dans cette constellation de pays, j’ai essayé de voir ce qui peut faire la force ou la faiblesse du système marocain et de faire des recommandations. Lors des Assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche de Paris que j’ai suivies, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault s’est adressé aux chercheurs qui représentent, dit-il, «la pointe avancée de notre intelligence collective. Nous devons, dit-il encore, faire de l’élévation du niveau de formation et des progrès de la recherche un formidable levier de croissance et de développement au service du redressement de notre pays.»
Que représente la recherche scientifique ?
La recherche scientifique, tous domaines confondus, permet d’augmenter le patrimoine de connaissance au niveau fondamental et au niveau abstrait. C’est un instrument de développement. L’innovation et la recherche ont été identifiées parmi les axes prioritaires sur lesquels un pays doit agir pour accélérer son processus de rattrapage technologique. Mais pour que la RD soit un levier, il y a des prérequis. Il faut un système d’éducation performant, un système de formation professionnelle en adéquation avec les besoins et un environnement propice à la créativité et à l’entrepreneuriat.
Il existe au Maroc plusieurs structures de recherche scientifique, des structures rattachées à des universités, à des départements ministériels, au Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST) et à l’Académie des sciences Hassan II… Il reste cependant difficile de faire un diagnostic global de ce secteur ?
Il y a effectivement un très grand nombre d’opérateurs dans la recherche, mais sans réelle coordination sur les thématiques prioritaires. Concernant le diagnostic, il y a des indicateurs qui permettent d’évaluer la RD. Je pense au nombre de publications, au nombre de brevets déposés, au nombre de chercheurs, à la part du PNB qui est allouée à la recherche et développement ; ces indicateurs n’ont pas de valeur dans l’absolu, mais ils nous permettent de déterminer le degré de mobilisation de la communauté scientifique.
Qu’en est-il au Maroc des indicateurs comme le nombre de publications et de brevets ?
Chaque chercheur partage ses travaux en publiant dans les revues scientifiques. C’est la contribution de chacun dans le monde qui fait avancer la recherche dans les différents domaines. Jusqu’en 2011, en Tunisie, le nombre de publications est 6 fois plus élevé qu’au Maroc où l’on a assisté à une baisse des publications. Les chercheurs marocains sont d’un bon niveau, mais ce différentiel avec la Tunisie peut s’expliquer par le fait que l’argent consacré à la recherche est mieux utilisé et qu’il y a une plus grande stimulation de la communauté scientifique tunisienne.
Vous venez d’effectuer un séjour en Algérie, à Tlemcen. Quelle est la situation de la recherche scientifique dans ce pays voisin ?
L’Algérie a mené des réformes importantes qu’il faut mettre au crédit d’Abdelhafid Aourag, directeur général de l’enseignement et de la recherche. Il a pris des mesures fortes pour mobiliser la communauté scientifique algérienne, encourager les projets, restructurer le panorama académique. Aujourd’hui, le seul opérateur, c’est la Direction de l’enseignement supérieur et de la recherche qui porte une politique volontariste, en accord avec le gouvernement, qui donnera à court terme des résultats.
Qu’en est-il de la part du PNB allouée à la R&D ?
Au Maroc, la part du PNB consacrée à la R&D est de 0,7%. En Tunisie, elle est de l’ordre de 1,1%. En Corée, et à titre de comparaison, elle est de 6%. Les pays européens se sont fixés comme objectif dans la conférence de Lisbonne en 2000 d’atteindre, en 2010, 3%. Ce taux a été atteint par l’Allemagne et en France nous sommes à 2,2%.
Compte tenu de ces indicateurs, à quelle conclusion arrivez-vous ?
Si on fait une analyse macroscopique, on peut conclure qu’il y a dispersion et non-stimulation de la communauté scientifique.
La Chine a réalisé un saut qualitatif dans la recherche. Comment est-elle parvenue à ces résultats ?
Dans tous les pays dits de l’Est, il y avait un opérateur unique de la recherche scientifique, qui est l’Académie des sciences. En Chine, où je me rends régulièrement, je me suis rendu compte du rôle majeur de l’Académie des sciences qui intervient dans tous les domaines : santé, science, transport… et dont l’assemblée générale est suivie par le Président chinois lui-même. La Chine a une progression annuelle de deux chiffres grâce à sa production scientifique dans des domaines aussi stratégiques que la défense, l’informatique, l’ingénierie et les sciences du vivant.
Vous évoquez souvent l’exigence de l’excellence. Qu’entendez-vous par là ?
Si on veut développer la recherche scientifique pour qu’elle devienne un levier de développement, il y a lieu de cultiver l’excellence.
Cela veut dire que les meilleurs, qui y dédient leurs vies et leurs activités de recherche, doivent être encouragés, d’autant que la compétition internationale est très forte.
Or il n’y a pas d’excellence sans évaluation. Cela veut dire qu’il faut gratifier ceux qui mènent des actions exceptionnelles. Aujourd’hui, c’est le corps des enseignants de l’enseignement supérieur qui fait de la recherche, mais c’est le système à l’ancienneté qui imprime les carrières. Il n’apporte pas les encouragements suffisants à ceux qui veulent valoriser le domaine de la recherche.
Quelles recommandations faites-vous dans ce sens ?
J’ai fait des recommandations sur la manière de répartir les fonds, sur la base de projets et d’appels d’offres. L’autre recommandation, c’est la création de centres d’excellence dans des domaines qui ne sont pas défrichés. Dans celui des plantes médicinales, par exemple.
Il existe déjà un institut à Taounate, dans la région de Fès...
Il faut l’inscrire dans une dynamique plus forte. L’environnement marocain apporte une corrosion particulière liée au fait qu’une partie du Maroc se trouve dans des zones désertiques.
Il y a des domaines spécifiques pour lesquelles on peut décider une réflexion, je pense à la chimie des minerais, les huiles spécifiques, la protection de l’environnement, les énergies alternatives, la pharmacologie, la mer et ses richesses, la modélisation épidémiologique pour des maladies latentes… aux mathématiques, car nous avons une communauté de mathématiciens qui ont été formés à un haut niveau et qui sont de grande qualité. Il y a également lieu de donner une place aux sciences humaines et sociales ainsi qu’aux sciences économiques, qui sont indissociables du développement économique. La localisation de ces centres d’excellence peut faire l’objet d’appels d’offres mettant en concurrence différentes régions du pays qui disposent d’un vivier de matière grise, de doctorants, de chercheurs d’université et de relations avec la diaspora marocaine qui dispose de chercheurs de qualité.
5 Décembre 2012, Farida Moha
Source : LE MATIN