Chafika El Habti, consule générale du Maroc à Orléans en France pour la région Centre, en place depuis 2011 est une diplomate dynamique qui se fait un devoir de se mettre au service de ses concitoyens mais aussi qui s’active à présenter le Maroc sous son meilleur visage. Après un mois de novembre particulièrement chargé avec notamment la Semaine du Maroc (5 au 10 novembre) et un colloque samedi dernier organisé, au succès plus que probant, en partenariat avec le ministère chargé des Marocains résidant à l’étranger et du Consulat du Maroc à Orléans sous le thème « Vivre ensemble avec nos différences », elle livre à travers un entretien accordé à Libé ses impressions.
Elle revient sur la Semaine du Maroc, un événement riche en débats qui a mis en avant les progrès enregistrés en matière de Constitution, de régionalisation et des Droits de l’Homme et sur le colloque qui s’est déroulé dans une salle archicomble en présence d’un parterre de participants dont l’historien Gérard Leray, Khalid Hajj, président des oulémas marocains à l'étranger ainsi que, entre autres notoriétés présentes, le chercheur du CNRS, Olivier Roy.
Prêchant la main tendue vers l’autre, elle avoue cependant : « la mondialisation a magnifiquement réduit les distances, facilitant ainsi la communication entre les personnes, la circulation des idées et l’émergence de dynamiques collectives, mais elle n’a en rien gommé la diversité des cultures et leur confrontation. »
Libé : «Immigration 150 ans de crispation», «La place de la femme issue de l’immigration dans la société française», «Le lien psychologique de soi à autrui», «La laïcité, socle commun du vivre ensemble», «Ensembles : face au défi du vivre ensemble» et «Différence et inter culturalité», tels sont les thèmes du colloque qui a eu lieu, samedi dernier, à la ville d’Orléans. Pourquoi de tels thèmes?
Chafika El Habti : D’abord, l’organisation de ce colloque s’inscrit dans le cadre d’un agenda que ce consulat compte officialiser pour l’année 2013, et qui se déclinera notamment en des actions culturelles et économiques. Il émane de la volonté de la représentation d’élargir davantage son champ d’action au profit de nos MRE, selon une stratégie nationale tracée suite aux Hautes directives de Sa Majesté le Roi, visant à la fois une intégration optimale dans les pays d’accueil et un resserrement des liens affectifs avec le pays d’origine.
Pour revenir à votre question, les thématiques retenues par le présent colloque sont autant de pistes de réflexion qui convergent toutes vers un objectif ultime qui n’est pas seulement celui du «vivre ensemble», de partager un espace, encore faut-il y installer une qualité de vie. C’est pour cela que je parlerai volontiers de l’objectif de vivre bien ensemble, à défaut du mieux ensemble ! Mettre en débat les causes nourrissant les préjugés, voire les exacerbations, les peurs à l’encontre de l’immigration et des immigrés, combien même des études, notamment celle commanditée dernièrement par le ministère français des Affaires sociales sur les coûts de l’immigration pour l’économie nationale, a révélé que le solde est positif pour l’Etat avec quelque 13 milliards d’euros par an. Tout autre apport immatériel (immigration des cerveaux, compétences en sciences, en sport, en culture, en art, …) donne également à réfléchir et montre qu’il faut aller chercher les raisons de cette crispation ailleurs que dans l’économique. La première intervention d’un point de vue historique balise, en quelque sorte, la réflexion autour des sujets qui suivent, peut-être qui fâchent, mais qui passionnent sûrement. La femme, dont la condition est emblématique de tout développement, et partant de toute intégration, est un vecteur d’impulsion dans n’importe quelle relation interculturelle. La laïcité est également souvent mise en exergue comme un cadre obligé pour une cohabitation harmonieuse entre les différentes religions et autres courants de pensée. Aussi la question de savoir si l’islam peut s’épanouir dans un environnement où il est assez minoritaire, sans repli ni envahissement ...
Bref, ce colloque insiste sur le fait que réfléchir autour du vivre ensemble est une exigence de notre monde mondialisé, mélangé à l’envi. Aujourd’hui, on y est condamné si l’on veut assécher les sources de conflits, de confrontations voire de menaces plus importantes. Ce vivre ensemble est aussi une œuvre collective qu’on ne peut mener qu’en s’inscrivant dans une dynamique d’ouverture, d’être attentif aux passerelles, à la recherche d’une interface productrice de sens qui permettrait à des pensées différentes de se rejoindre, dans le respect de tous et pour le bien de tous. C’est là l’essence même de l’engagement du Maroc dans ce domaine sur la scène internationale (dialogue des civilisations, dialogue interculturel, dialogue interreligieux,…)
Cette journée intervient quelques jours seulement après la Semaine du Maroc à Orléans et qui était riche en débats, notamment les chantiers entamés par le Maroc en matière de Constitution, de régionalisation et des droits de l’Homme. Quel est l’objectif de cette initiative, sachant que la Semaine du Maroc à Orléans avait pour but de renforcer les liens entre nos ressortissants et les autres communautés d’Orléans?
Cette première édition de la Semaine du Maroc avait un premier objectif : remobiliser le tissu associatif, lui redonner confiance dans une action conjointe et goût de s’engager de nouveau et davantage. Maintenant, c’est vrai que cette manifestation affichait l’ambition de renforcer les liens entre nos ressortissants et les autres communautés d’Orléans, d’ouvrir des espaces de débat, d’échange, de réflexion autour de thématiques intéressantes ici et là-bas (au Maroc).
Le colloque d’aujourd’hui s’organise dans le même esprit. Il traite d’une thématique hautement débattue au sein de la société française avec plus ou moins de mesure ou de démesure selon les contextes et selon les humeurs. Le 30 novembre et le 1er décembre, au sein du Sénat a eu lieu un séminaire sur le vivre ensemble, pour vous dire l’acuité de cette question. Aujourd’hui, au sein des MRE (surtout 2ème, 3ème et 4ème générations), des associations les représentant, c’est une préoccupation de tous les jours. Au-delà des difficultés économiques et sociales, transparaît un mal-être dû essentiellement à deux états de fait. D’un côté, la persistance d’une certaine représentation au sein de la société française qui entretient l’illusion de personnes éternellement associées à l’«immigration» et occulte donc le fait qu’elles sont d’abord françaises, et d’un autre côté, l’existence au sein de ces générations d’un comportement paradoxal : le modèle français fait l’objet d’admiration, mais on se refuse à y adhérer totalement. On écarte toute forme de résignation aux valeurs ancestrales, mais on ne rejette pas entièrement la tradition. Ce dilemme aboutit parfois à un repli sur soi et sur la culture d’origine vécue, à tort ou à raison, comme un refuge, la seule solution face au rejet réel ou supposé de la société française. Et c’est là tout l’intérêt de ce colloque : réfléchir sur comment, en mettant à profit des passerelles culturelles, tenter de ressouder le lien social partout où il a tendance à se distendre, à se briser…
Cette action intervient dans un contexte un peu particulier, marqué par le Printemps arabe, la crise politique en France, mais aussi et surtout par le lourd héritage légué par l’ex-président de la République française Nicolas Sarkozy. En tant que consule du Royaume du Maroc à Orléans, pensez-vous que la culture pourra réussir là où la politique a échoué?
Dire que la politique a échoué, c’est vite aller en besogne. En tout cas, aujourd’hui chez tous les acteurs institutionnels, de la société civile ou autre se dégage la conviction que la culture ou plutôt l’interculturalité se situe plus que jamais au centre de tout projet de société. Comme je l’ai souligné, la mondialisation a magnifiquement réduit les distances, facilitant ainsi la communication entre les personnes, la circulation des idées et l’émergence de dynamiques collectives, mais elle n’a en rien gommé la diversité des cultures et leur confrontation. D’autant plus que dans un contexte où les interactions sont de plus en plus fortes et complexes, le dialogue interculturel est une exigence absolue pour peu que l’on appréhende la construction du monde de demain comme une entreprise commune. Force est de reconnaître que parfois la voie semble étroite. Le «choc des civilisations» n’est plus, heureusement, une échéance fatidique, mais il demeure un danger permanent, tout comme la menace du repli identitaire qui puise ses racines au gré des crises que nous traversons.
Le Dr Khalid Hajji (secrétaire général du Conseil européen des oulémas marocains) a proposé dans son intervention de réfléchir autour d’un concept que je trouve riche en sens : au lieu de parler des identités meurtrières, il a avancé celui des «identités enceintes» : cette part d’altérité qui est dans chacun de nous: porter l’Autre, se forger une intelligence de l’Autre… c’est ce qui permettrait une interaction ouverte, respectueuse et basée sur la compréhension mutuelle.
Femme de communication, après votre parcours au ministère des Affaires étrangères, vous jouez la carte de la proximité, notamment auprès du tissu associatif. Comment peut-on véhiculer un certain nombre de valeurs comme la laïcité et le vivre ensemble auprès d’une communauté déjà victime de la stigmatisation ?
S’enfermer dans cette stigmatisation, réelle ou supposée, la vivre comme un blocage ou un frein à l’intégration et partant à l’adhésion à la Nation est, à mon avis, préjudiciable pour soi et pour autrui. Il ne faut pas oublier également que, dans certains cas, cette stigmatisation est parfois nourrie par des comportements et des manquements à la citoyenneté, au civisme et aux valeurs. Vous savez qu’acquérir la nationalité française est basé sur une approche contractuelle, prolongement naturel d’un certain attachement aux principes des Lumières, ce qui veut dire que l’individu adhère de son plein gré à une vie partagée et à des normes et valeurs auxquelles il a donné son consentement. Maintenant toute la question est de trouver le juste milieu, l’équilibre, entre ce que l’on est, ce que l’on véhicule et les valeurs de la société dans laquelle on vit sans assimilation mais aussi sans rejet.
Toutes ces activités, qui se tiennent pour la première fois au niveau d’Orléans, sont-elles l’expression d’une nouvelle approche visant à se réconcilier avec les associations ou plutôt une action qui s’inscrit dans la continuité?
Ma nomination à la tête du consulat général d’Orléans est venue presque au lendemain de l’adoption de la nouvelle Constitution, puisqu’elle s’est effectuée en septembre 2011. Les consuls nommés en cette époque sont arrivés, en quelque sorte, avec une feuille de route par rapport à leur action vis-à-vis des MRE, vu que cette Constitution comportait des dispositions nouvelles concernant cette catégorie de Marocains. De plus, de mes différentes rencontres ici tant avec les autorités locales, les élus qu’avec les associations s’est dégagée la même volonté de travailler sur des thématiques qui s’imposaient de plus en plus de part et d’autre : intégration, vivre ensemble, mixité mais également identité, culte, enseignement de la langue arabe, etc. Donc pour répondre à votre question, c’est une nouvelle approche déterminée du côté du Maroc par les discours de Sa Majesté le Roi et par les dispositions de la Constitution qui reconnaît, entre autres, la notion de la double appartenance et ici, par les défis liés à l’immigration et qui dernièrement monopolisent très souvent le débat national. Toutefois , cette approche ne donnera pleinement ses fruits que si elle s’inscrit dans la continuité grâce à l’instauration de coopérations pérennes entre les différents acteurs, suivant des mécanismes bien définis à même de forger une intelligence collective qui ne peut que mieux servir toutes les parties : la communauté, le pays d’accueil et le pays d’origine.
6 Décembre 2012, Youssef Hannani
Source : Libération