lundi 4 novembre 2024 23:29

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Le temps d'une caravane, d'anciens mineurs se souviennent : une épopée de larmes et de charbon

Le temps d'une caravane de cinq jours à Agadir, dernière étape d'un périple entamé le 2 novembre dans plusieurs villes du sud, des mineurs marocains du Nord Pas-de-Calais auront réussi le pari de dépoussiérer une partie cruciale de l'histoire de l'immigration et de maintenir vivaces les braises d'un souvenir qui se refuse à s'estomper.

"Dans les années 60/70, ils nous ont choisis parce que nous étions jeunes, pas alphabétisés et on ne parlait pas un mot de français. Pour être embauché, il fallait par contre avoir une condition physique. Alignés devant les recruteurs des Houillères, les candidats, torse nu, recevaient un coup de tampon sur la poitrine qui décidait de leur destin", se souvient encore Abdallah Samate, président de l'Association des mineurs marocains du Nord-Pas-de-Calais (AMMN).

Un documentaire intitulé "Les gueules noires racontent le charbon", projeté à Agadir, jette justement une lumière crue sur le contexte de recrutement et les conditions de travail de ces milliers d'immigrés arrachés à leur terre, par vagues successives, durant les années 1960.

Ce fut il y a plus de 50 ans. Rares sont ceux prêts d'oublier les rassemblements organisés dans les recoins reculés du Souss où Félix Mora, un ancien militaire français devenu recruteur en chef des Houillères, tâtaient les muscles des postulants avant de les marquer par un tampon, "amm wulli" (comme des brebis), dira Lahcen, un ancien mineur.

"Le tampon vert sur la poitrine vaut acceptation, le rouge signifie refus. Cette dernière couleur élimina les deux tiers des postulants", explique le même interlocuteur, dans un ouvrage-compilation de témoignages publié par l'AMMN, sous le titre évocateur "Du bled aux corons : Un rêve trahi".

Félix Mora, cité dans l'ouvrage "Du bled aux corons: un rêve trahi", lui-même s'en souvient : "Tous passent devant moi. Depuis 1956, je parcours la vallée du Souss et j'ai dépassé les 66 mille embauchés", dira-t-il un tantinet fier. Au total, près de 70 mille jeunes, la sève nourricière du bled, ont été embarqués, après une première visite médicale à Ain Borja (Casablanca), vers l'Hexagone, comme des chairs à charbon.

Une fois sur place, ils étaient conduits directement au fond de la fosse dans une sorte d'immersion à vif, un baptême de feu, où la peur et le doute se la disputent au déracinement, à l'éloignement et surtout à la méconnaissance de la langue et de la culture d'un pays rêvé et longtemps fantasmé : La France des Lumières.

"On a fini notre visite, on est monté en haut et on a pleuré. On a commencé à poser des questions : qu'est-ce que l'on vient faire ici ?", reprend un autre ancien mineur dans un témoignage qui, tel un leitmotiv récurrent, revient en permanence chez l'ensemble de ses anciens camarades de galère : "J'ai été floué. J'ai donné ma jeunesse aux Houillères".

Et comme pour ne rien arranger, la direction des Houillères a prévu plein de surprises à ces nouvelles recrues. Embauchés par des "contrats de travail", pour pouvoir s'en débarrasser au moindre problème, ils étaient logés dans des baraquements et ultérieurement dans des cités et constamment gardés à l'Âœil contre toute velléité syndicale.

Une des femmes de mineur, faisant part de son regard sur la question du logement et des conditions dans lesquelles elle est venue vivre avec ses enfants, témoigne: "De toute façon, les logements miniers sont tous pourris. Ils ont fait venir nos maris pour travailler dans la misère et, pour finir, ils font vivre toute la famille dans la misère".

Pris en tenailles entre leur statut de provisoire qui dure et des conditions de travail où ils étaient obligés de vaquer plus que d'autres aux besognes les plus périlleuses, ces "gueules noires recrutées parmi les jeunes analphabètes, tant on voulait des muscles sans cerveau" n'allaient pas tarder à prendre conscience de leur condition humaine pour entamer une première grève en Alsace-Lorraine en 1980.

Dans un deuxième ouvrage intitulé "De la tête baissée à la conquête de la dignité" (paru en octobre 2010), l'AMMN revient avec moult détails sur ce pénible processus de maturation entre le débrayage 1980 et la grande grève de 1987 , grande de par sa durée (deux mois) et sa dureté, jusqu'à la décision des Charbonnages de France de fermer les mines en 1992.

Trente ans après, l'Association est de tous les combats et les anciens mineurs ne comptent pas désarmer : "On veut se débarrasser de nous. Nous n'avons pas oublié la façon inhumaine dont nous avons été recrutés", s'indigne Brahim, comme pour rendre écho à la grogne sourde de milliers de ses anciens camarades, dont certains sont rentrés au bercail dans le cadre d'un plan retour que d'aucuns assimilent à l'apostrophe lapidaire: "Mohamed prends ta valise !".

Et pour cause, ils revendiquent, entre autres, un alignement des pensions avec celles versées aux mineurs français, un traitement égal en terme de rachat des avantages en nature (chauffage, logement), la levée du traitement discriminatoire en terme de santé, rongés qu'ils sont par la silicose, et surtout le lancement d'un "plan social bis", au vu de l'échec du premier plan.

Dans l'entretemps, le nom de Félix Mora continuera de résonner pour longtemps encore dans les mémoires, tant il est immortalisé dans cette chanson amazighe populaire d'Aït Atta:

"Il fut un temps où les hommes furent vendus à d'autres

O Mora le négrier,

07 déc. 2012

Source : MAP

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