Contrôler les migrants étrangers, les enfermer si nécessaire, surveiller les frontières par tous les moyens : on n'a rien inventé de plus profitable ni de plus efficace au cours des dernières décennies. Vous sursautez ? Vous avez tort.
En termes de profit et de marketing politique, les migrants sont une excellente affaire. C'est ce que démontre cet essai percutant, précisément documenté et qui se lit sans peine. Les sociétés privées de sécurité, tout comme l'industrie de l'armement, ont su, très vite, occuper le créneau. Ainsi, l'entreprise multinationale G4S, dont une partie de l'activité est consacrée à la "gestion" de l'immigration (celle de centres de détention du Royaume-Uni notamment), emploie aujourd'hui près de 650 000 personnes.
Quant aux fameux drones, ces avions sans pilote, ils sont utilisés, depuis le milieu des années 1990, à des fins non militaires – en particulier pour la surveillance des frontières. Celle séparant les Etats-Unis et le Mexique a été la première, en 2005, à "bénéficier" des services d'un drone, le modèle Predator B, de la société General Atomics. D'autres frontières et d'autres drones ont évidemment suivi. Le filon est loin d'être épuisé.
Le secteur privé n'est pas seul à profiter de cette manne inédite. L'agence européenne Frontex, basée à Varsovie, dotée à sa naissance d'un budget de 6,3 millions d'euros, a vu celui-ci multiplié par quinze en cinq ans.
Censée coordonner les opérations des Etats membres de l'Union européenne, l'agence a vu son rôle grandir, devenant "l'instrument emblématique de la politique de contrôle migratoire" de l'Union, voire son "bras armé", en particulier en Méditerranée, souligne l'auteure de cet essai, la juriste Claire Rodier. Membre du Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti), cofondatrice du réseau euro-africain Migreurop, elle travaille sur ces questions depuis de longues années.
Les rapports de l'agence Frontex, note-t-elle, "regorgent de chiffres, plus invérifiables les uns que les autres", concernant des migrants arrêtés à tel poste-frontière ou le démantèlement de réseaux de trafiquants opéré à tel autre. "Mais on n'y trouve nulle trace, s'étonne l'auteur, d'une analyse globale de son impact en termes de coûts / avantages." A quoi sert Frontex ? Il serait intéressant – pour le contribuable européen, entre autres – de connaître, par exemple, "le nombre de nouvelles routes migratoires qui s'ouvrent chaque fois qu'on verrouille un point de passage", suggère Claire Rodier.
Les profits qu'engendrent les contrôles migratoires – ou que permet, plutôt, la hantise de l'invasion – ne sont pas d'ordre exclusivement économique. Le Sénégal de l'ancien président Abdoulaye Wade ou la Libye avec ou sans le colonel Kadhafi ont su jouer de cette hantise, tirant des bénéfices, en partie financiers, mais également diplomatiques, de ces "petits arrangements entre voisins". En clair, des "marchandages" avec les pays de l'UE – l'Espagne et l'Italie en l'occurrence.
Le livre démontre, avec brio, comment "l'exploitation de la peur" des émigrés, désignés comme des délinquants, voire des terroristes en puissance, est utilisée par les dirigeants politiques, qu'ils soient de droite ou de gauche, "dictatoriaux" ou "révolutionnaires", du Sud ou du Nord.
Du Bangladesh au désert du Néguev, de Kiev à Ceuta et Melilla, les rouages invisibles de cette nouvelle ruée vers l'or sont, pour la première fois, mis en lumière et analysés. Une enquête rigoureuse et décoiffante.
07.12.2012,Catherine Simon
Source : LE MONDE
L'argent de la phobie anti-immigrés
Publié dans Médias et migration
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