On n’en finit plus de le dire : l’ascenseur social que représentait l’école autrefois est définitivement en panne, hors d’usage, bon pour la casse. En 2011 déjà, une étude menée par le sociologue de l’ULB Dirk Jacobs pour le compte de la Fondation Roi Baudouin nous apprenait que notre système scolaire n’assure pas l’égalité des chances entre enfants autochtones et ceux issus de l’immigration. Se basant sur les conclusions de la dernière enquête PISA (2006), elle révélait que, en Communauté française, les résultats des élèves issus de l’immigration sont en moyenne moins bons que ceux obtenus par les Belgo-Belges. Voyez plutôt : 40% des élèves immigrés n’atteignaient pas le niveau de performance requis en lecture. Pour les immigrés de la deuxième génération, le pourcentage était de 31% tandis qu’il n’était que de 17% pour les Belges de souche.
Un gaspillage de talents
Un an plus tard, les mêmes chercheurs ont à nouveau analysé nos « inégalités sociales » (PISA 2009). Et rien n’a changé… ou si peu. La nouvelle étude a été présentée mardi lors d’un colloque sur le thème de « L’école comme lieu d’intégration ». Nous l’avons lue. Les performances des élèves allochtones restent médiocres (et la situation est plus critique au sud qu’au nord du pays). Aucun pays industrialisé ne présente un fossé aussi grand entre les élèves issus de l’immigration et les autres, et les résultats obtenus par les élèves d’origine étrangère (en lecture, mathématiques et sciences) sont parmi les plus faibles du monde développé.
Un exemple? Près d’un élève de deuxième génération sur trois et plus d’un immigré sur trois n’ont toujours pas les compétences minimales en lecture, par exemple. Même proportion en sciences : 13% des élèves autochtones n’atteignent pas le niveau minimum, chez les élèves de deuxième génération, ce chiffre grimpe à 34% et chez les immigrés à 38%.
Le facteur social n’est pas seul responsable
Mais pourquoi un tel gaspillage? « Le problème n’est pas uniquement lié à la position socioéconomique défavorisée avérée de ces élèves, bien que celle-ci soit un facteur important », notent les chercheurs. Alors quoi? Bien sûr, la Finlande est capable à la fois de produire les meilleures performances scolaires et de limiter la proportion d’élèves qui réalisent des scores inacceptables. Mais sa population ne peut pas être comparée à la nôtre. En revanche, la Flandre semble limiter la casse. Et là, plus d’excuses… Il faut donc chercher ailleurs.
Il est clair que la composition sociale de la population scolaire n’explique qu’une partie des écarts entre les Communautés et que les différences en termes de moyens financiers – ceux de la Communauté française étant nettement inférieurs – et pédagogiques – par exemple des programmes d’études et des socles de compétence nettement moins précis au sud du pays – constituent fort probablement des facteurs influents.
Est-ce tout? Non. Dirk Jacobs pointe aussi l’autonomie des écoles ou les attitudes sociopolitiques, qui peuvent également expliquer les différences entre les francophones et les néerlandophones.
Notre société et notre système d’enseignement restent confrontés au défi de la démocratisation de l’enseignement. Le milieu familial a un très grand impact sur les performances scolaires des enfants. Si l’école doit fonctionner comme ascenseur social – ce qui est le cas selon la logique méritocratique –, ce dernier est visiblement toujours en panne. (…) Les élèves issus de l’immigration se retrouvent de manière disproportionnée parmi les victimes de cette situation.
Et l’auteur de l’étude de noter que dans une économie de la connaissance comme la nôtre, cela conduit à un énorme gaspillage de capital humain et de talent. Et à ceux qui pensent toujours qu’égalité des chances signifie « nivellement par la bas », il rappelle que « grâce aux données internationales fournies par l’enquête PISA, on sait qu’il n’y a pas de corrélation négative entre l’excellence et l’égalité des chances. Il ne s’agit pas de choisir entre, d’une part, un niveau de performance élevé et une sélection sévère (avec de grandes différences entre les élèves dont une grande partie atteint le sommet et les autres sont laissés pour compte) et, d’autre part, des chances égales d’enseignement combinées à une moyenne générale modérée (avec de petites différences entre élèves mais à un niveau moyen moins élevé), comme on le pensait dans le passé. »
Une sélection trop précoce?
Faut-il revoir notre système de sélection? Il ne donne en tout cas de bons résultats. Nos élèves sont orientés très tôt – dès 14 ans, à la fin du tronc commun – puis répartis entre différentes filières : générales, techniques et professionnelles. L’existence de ces filières – qui sont aussi sources de l’inégalité – n’améliore pas les performances moyennes des élèves et ne crée pas non plus une élite plus large. « Tant en mathématiques qu’en lecture, et quelle que soit leur origine, les élèves de l’enseignement général ont dans les deux Communautés des résultats significativement meilleurs que les élèves de l’enseignement qualifiant. Ce n’est pas tellement étonnant en soi puisque dans notre système scolaire, le niveau de connaissance requis est fixé différemment selon qu’il s’agit de l’enseignement général ou qualifiant. »
Ce sont encore une fois les pays nordiques qui se distinguent avec leur modèle d’intégration individualisé : peu de redoublements, éviter l’orientation précoce et appliquer de façon limitée la séparation selon les niveaux de compétence.
« On doit s’imprégner de l’idée qu’un bon enseignement est un droit pour tous les types d’élèves. Ce qui est en totale contradiction avec l’idée que l’accès aux «meilleures» écoles serait un privilège particulier réservé aux groupes les plus nantis ou les plus favorisés, et plus encore avec l’idée que l’existence d’importantes différences de qualité entre écoles est acceptable. »
Promouvoir une culture plus égalitaire
Autre observation intéressante : les garçons sont plus nombreux que les filles à éprouver des difficultés en lecture… et ces dernières ont manifestement plus de difficultés en mathématiques que les garçons. Là, le constat est vieux, hélas. Mais la différence entre garçons et filles est encore plus marquée chez les élèves issus de l’immigration. Or, l’écart dans les performances en mathématiques, par exemple, semble disparaître dans les pays qui ont une culture plus égalitaire en ce qui concerne les relations hommes-femmes. En Belgique, nous devrions donc donner plus d’importance aux modèles de rôle et à l’idéologie (inconsciente) du genre dans l’enseignement. Ceci est aussi vrai pour les élèves autochtones. « Parmi les filles autochtones, 16% se situent sous le seuil critique, contre 12% chez les garçons autochtones. Parmi les filles de deuxième génération, 42% se trouvent dans la zone rouge, pour seulement 28% des garçons de la même catégorie. 41% des filles immigrées et 34% des garçons immigrés ont un niveau trop faible. »
Les conclusions de l’étude sont donc alarmantes. Notre pays qui essaie sincèrement de s’adapter à la diversité de la population scolaire (souci de l’enseignement interculturel) n’en récolte pas les fruits. Les élèves allochtones n’ont que peu de chances de développer leurs talents dans nos écoles.
Les acteurs de l’enseignement dans les deux Communautés doivent se rendre compte qu’une telle situation est intenable. Nous avons affaire ici à un énorme gaspillage de talent humain qu’une société, qui prétend évoluer vers une économie de la connaissance, ne peut se permettre. Pour une part substantielle de notre population scolaire, qui va atteindre l’âge adulte dans quelques années, notre système d’enseignement ne réussit pas suffisamment à garantir un niveau de compétences minimal. Les élèves concernés n’en seront pas les seules victimes. La société entière en paiera le prix.
26/12/2012
Source : Enseignons.be