dimanche 24 novembre 2024 13:55

Les Marocains de retour au pays perdront 40% du montant des allocations sociales versées aux Pays-Bas

Depuis le 1er juillet 2012, le gouvernement néerlandais a mis en application le principe du pays de résidence pour le paiement des allocations sociales. Le principe du pays de résidence a remplacé celui du pays de travail qui était utilisé jusqu’à présent. Le montant des allocations familiales et de celles pour les veuves et les orphelins seront désormais indexés sur le coût de la vie dans le pays de résidence du bénéficiaire.

Selon les autorités néerlandaises, le coût de la vie dans certains pays étrangers est moins cher qu’aux Pays-Bas. Pour les pays de l’Union Européenne, de l’Espace économique européen (EEE), et de la Suisse, la situation reste inchangée. Les allocations auront le même niveau qu’aux Pays-Bas en vertu du droit européen qui stipule que la position de sécurité sociale de la personne ayant droit à la libre circulation au sein de l’UE ne doit souffrir d’aucun désavantage.

Pour les autres pays étrangers, le gouvernement néerlandais a défini par pays un coefficient maximum d’allocations familiales à verser qu’il appelle «woonlandfactor» ou le «coefficient du pays de résidence». Ainsi pour le Surinam et Curaçao, il est de 70% du montant des allocations versées aux résidents aux Pays-Bas. Pour le Maroc et la Turquie, le taux est fixé à 60%, pour l’Egypte à 40%, pour l’Australie à 100%, le Brésil à 90%, et pour le Ghana à 80%. Selon le ministère du travail et des affaires sociales (règlement du 20 avril 2012), les taux d’indexation des pays sont établis à partir des données publiées par la Banque Mondiale sur le pouvoir d’achat, ou à partir du produit intérieur brut (PIB) par habitant. C’est ce que les autorités néerlandaises appellent le «Purchasing Power Parity» ou le PPP entre deux pays.

Diminution des allocations de 40% pour les résidents au Maroc

Pour les allocations familiales, une période transitoire de 6 mois a été prévue. Durant le troisième et le quatrième trimestres de l’année 2012, les allocations familiales sont restées au même niveau qu’aux Pays-Bas et c’est à partir du 1er janvier 2013 que l’application du «principe du pays de résidence» rentre en vigueur et les diminutions seront effectives. Pour les enfants résidants au Maroc, les allocations familiales seront à partir du 1er janvier 2013 entre € 115 et € 164 par trimestre au lieu de € 191 et € 274 maintenant.

Au mois de décembre dernier, les ayants droit devaient recevoir une correspondance de la Banque de l’assurance sociale (SVB) qui fixe le montant exact de l’allocation en fonction du nouveau taux d’indexation (60%) et de la situation familiale. Les personnes auront alors 6 semaines pour faire appel contre cette décision.

Pour les allocations d’orphelin et de veuve, l’application a été immédiate pour celles et ceux qui ont accédé à ces allocations pour la première fois à partir du 1er juillet 2012, et du 1er janvier 2013 pour l’ensemble des bénéficiaires. Au total, le nouveau règlement concernera au Maroc plus de 4.500 personnes pour les allocations familiales et plus de 900 veuves, qui perdront 40% du montant de leurs allocations, soit plus de €.7.426 000 par an.

L’adoption du principe du pays de résidence s’inscrit dans le cadre de la politique néerlandaise de limiter l’exportation des allocations sociales hors du territoire national. Depuis l’an 2000, les Pays-Bas n’autorisent que l’exportation de certaines allocations sociales et uniquement pour les pays avec lesquels ont signé des conventions de sécurité sociale. Aussi, l’indexation des allocations est l’une des mesures du programme gouvernemental conclu, le 22 décembre 2010, entre le parti libéral (VVD) et le parti chrétien (CDA) avec l’appui du parti d’extrême droite PVV de Geert Wilders. Cette indexation des allocations familiales et celles des veuves et orphelins n’est, pour le gouvernement, qu’un premier pas dans l’arrêt total de leur exportation vers l’étranger.
Un pas vers l’annulation de la convention de sécurité sociale avec le Maroc

En plus de l’indexation des allocations versées à l’étranger, les amendements apportés aux lois de la sécurité sociale par les autorités néerlandaises stipulent l’arrêt de l’exportation des allocations familiales en dehors des pays membres de l’Union Européenne. Pour un premier groupe de pays, qui ont signé avec les Pays-Bas des conventions de sécurité sociale et qui ne sont pas encore ratifiés, l’arrêt d’export est rentré en vigueur officiellement le 1er juillet 2012. Il s’agit de l’Argentine, de Bélize, du Chili, de l’Equateur, de l’Egypte, d’Hong Kong, de la Jordanie, de la Macédoine, du Panama, du Paraguay, de la Thaïlande, de la Turquie et de l’Uruguay.

Le deuxième groupe de pays auxquels les autorités néerlandaises prévoient l’arrêt de l’exportation des allocations familiales sont l’Afrique du Sud, la Bosnie-Herzégovine, le Cap Vert, la Corée du Sud, l’Indonésie, Israël, le Kosovo, le Maroc, Monténégro, les Philippines, la Serbie, le Surinam et la Tunisie. Ces pays ont des conventions de sécurité sociale avec les Pays-Bas, mais le gouvernement néerlandais planifie de les annuler ou de les amender afin que l’arrêt soit effectif au plus tard le premier janvier 2014.
Pour le Maroc, les autorités des Pays-Bas prévoient à court terme une révision des accords passés entre les deux pays en matière de sécurité sociale. Dans une lettre adressée aux ayants droit au mois de juin 2012, la Banque d’assurance sociale (SVB) les informe« qu’il est possible que les accords avec le pays de résidence de votre enfant relatifs au versement des allocations familiales soient suspendus». Le gouvernement néerlandais a demandé au Conseil d’Etat un avis sur le projet de loi dont l’objet est l’annulation de la convention de sécurité sociale signée avec le Maroc le 14 février 1972 et de l’accord administratif du 22 juin 2000 qui lui est rattaché.

Le projet d’annulation de la convention avec le Maroc comme les plans d’indexation des allocations sociales au coût de la vie dans le pays de résidence ne sont pas nouveaux dans le champ politique néerlandais. Pour contraindre le Maroc à accepter le contrôle des biens immobiliers et la fortune des immigrés par l’accès aux données du cadastre et des banques, le parlement néerlandais a adopté une loi de dénonciation unilatérale de la convention de 1972 par la partie néerlandaise à partir du 2 juillet 2002. Le gouvernement a retiré la loi le 21 février 2003, après que le Maroc ait ratifié l’accord administratif de Rabat du 1er juillet 2002 portant modification à la convention générale de sécurité sociale entre les deux pays.

Aussi, la coalition gouvernementale VVD - CDA a tenté à cinq reprises d’indexer les allocations familiales au coût de la vie du pays où résident les bénéficiaires. Les plans gouvernementaux successifs de 1982, de 1983, de 1988 et de 1996 ont rencontré de fortes oppositions et n’ont pas eu de majorité parlementaire nécessaire. Ces plans ont été considérés par les opposants comme discriminatoires et en contradiction avec les traités internationaux, à quoi s’ajoute la peur que cette mesure encourage le regroupement familial avec toutes les dépenses budgétaires qui en découlent.

Le principe du pays de résidence viole les traités internationaux

Avec la coalition VVD-CDA-PVV, les deux Chambres du parlement ont adopté le projet de loi et l’application du principe du «woonlandfactor » aux allocations sociales aux Pays-Bas est rentrée en vigueur depuis le mois de juillet 2012. Les assurés sociaux ne sentiront les conséquences négatives de cette mesure qu’au début de l’année 2013. En raison de la double amputation de leurs allocations, ce sont les femmes veuves avec enfants qui connaîtront les plus grandes difficultés. A cause de la baisse de 40% de leur revenu, ces femmes seraient dans l’impossibilité de tenir leurs engagements financiers. Elles ne pourront plus, selon la fondation SSR de soutien aux rémigrants, payer les frais de scolarité de leurs enfants, le loyer ou la traite mensuelle d’achat de logement. SSR, qui a entre ses mains plus de 165 dossiers, prépare un procès judiciaire contre l’Etat néerlandais pour discrimination et violation des accords signés entre les Pays-Bas et le Maroc, et entre ce dernier et l’EU.
SSR a chargé du dossier l’avocate Roy van Zuydewijn d’Amsterdam qui est l’une des spécialistes du droit social et des allocations. Dans le passé, van Zuydewijn a gagné deux procès dans des questions similaires contre les autorités dont le dernier est celui qui privait les retraités établis au Maroc des indemnités de compensation de perte de pouvoir d’achat. Pour accéder à ce droit, il faut payer 90% des impôts aux Pays-Bas, ce que le tribunal de Haarlem a annulé dans un jugement prononcé le 3 avril 2012 dans l’affaire Zaruali de la ville de Zaio.

Dans un avis, demandé par la première Chambre du parlement au département du droit européen et international de l’université d’Utrecht, le professeur F. J.L Pennings de droit social arrive à la conclusion que l’introduction du principe du pays de résidence dans les allocations sociales est susceptible d’être contraire aux normes internationales. Jusqu’à présent, aucun juge n’a accepté la différence du coût de la vie entre les pays comme argument justificatif de la différence de traitement.
Le principe du pays de résidence peut être considéré par la Cour européenne de justice comme une discrimination indirecte, et Pennings se réfère ici à l’accord d’association entre le Maroc et l’UE, et à la convention bilatérale entre le Royaume du Maroc et le Royaume des Pays-Bas. L’avis se réfère à l’article 65 de l’accord d’association et à l’article 5 de la convention qui stipulent l’interdiction de toute discrimination fondée sur la nationalité dans le domaine de la sécurité sociale des ressortissants marocains par rapport aux ressortissants de l’État membre d’accueil.

Convention générale de sécurité sociale entre le Royaume des Pays-Bas et le Royaume du Maroc du 14 février 1972

Article 5

1. Les prestations en espèces d’invalidité, de vieillesse, ou de survivants, les allocations au décès et les allocations familiales acquises au titre de la législation de l’une des parties contractantes ne peuvent subir aucune réduction, ni modification, ni suspension, ni suppression, ni confiscation du fait que le bénéficiaire ou l’enfant réside sur le territoire de la partie contractante autre que celui où se trouve l’institution débitrice.

2. Le paragraphe précédent est aussi applicable aux prestations en vertu de la loi sur l’assurance incapacité de travail des travailleurs indépendants (WAZ).

3. Les paragraphes précédents sont également applicables aux personnes non ressortissantes de l’une des parties contractantes.
Accord euro-méditerranéen UE - Maroc

Article 65

1. Sous réserve des dispositions des paragraphes suivants, les travailleurs de nationalité marocaine et les membres de leur famille résidant avec eux bénéficient dans le domaine de la sécurité sociale d’un régime caractérisé par l’absence de toute discrimination fondée sur la nationalité par rapport aux propres ressortissants des Etats membres dans lesquels ils sont occupés.
La notion de sécurité sociale couvre les branches de sécurité sociale qui concernent les prestations de maladie et de maternité, les prestations d’invalidité, de vieillesse, de survivants, les prestations d’accident de travail et de maladie professionnelle, les allocations de décès, les prestations de chômage et les prestations familiales.

Toutefois, cette disposition ne peut avoir pour effet de rendre applicables les autres règles de coordination prévues par la réglementation communautaire basée sur l’article 51 du traité CE, autrement que dans les conditions fixées par l’article 67 du présent accord.

2. Ces travailleurs bénéficient de la totalisation des périodes d’assurance, d’emploi ou de résidence accomplies dans les différents Etats membres, pour ce qui concerne les pensions et rentes de vieillesse, d’invalidité et de survie, les prestations familiales, les prestations de maladie et de maternité ainsi que les soins de santé pour eux-mêmes et leur famille résidant à l’intérieur de la Communauté.

3. Ces travailleurs bénéficient des prestations familiales pour les membres de leur famille résidant à l’intérieur de la Communauté.
4. Ces travailleurs bénéficient du libre transfert vers le Maroc, aux taux appliqués en vertu de la législation de l’Etat membre ou des Etats membres débiteurs, des pensions et rentes de vieillesse, de survie et d’accident de travail ou de maladie professionnelle, ainsi que d’invalidité, en cas d’accident de travail ou de maladie professionnelle, à l’exception des prestations spéciales à caractère non-contributif.

5. Le Maroc accorde aux travailleurs ressortissants des Etats membres occupés sur son territoire, ainsi qu’aux membres de leur famille, un régime analogue à celui prévu aux paragraphes 1, 3 et 4.

Possibilités d’opposition et voie juridique

La loi du principe du pays de résidence a été adopté par les deux Chambres du parlement néerlandais, et elle est rentrée en vigueur le premier juillet 2012. Les seuls moyens qui restent pour s’y opposer sont la voie judiciaire et la voie diplomatique.

1. Voie judiciaire

La première possibilité dans la voie judiciaire c’est l’opposition des ayants droit à la décision de la Banque d’assurance sociale (SVB) qui fixe le montant des allocations. Il faut distinguer ici deux groupes: les anciens bénéficiaires et les nouveaux bénéficiaires des allocations.

- Les nouveaux bénéficiaires sont les personnes qui ont accédé pour la première fois aux allocations familiales et aux allocations veuves et d’orphelins à partir du 1er juillet 2012. L’application du principe du pays de résidence a été immédiate, dès l’accession aux allocations.

Ce groupe a 6 semaines pour faire réclamation contre l’application du principe du pays de résidence. La contestation de la décision permet à la personne de réserver ses droits en cas d’annulation de l’application du principe du pays de résidence par la justice.
La réclamation s’oppose au principe du pays de résidence en le considérant comme un principe discriminatoire et en violation à l’article 5 de la convention bilatérale de sécurité sociale entre le Maroc et les Pays-Bas. Comme elle peut contester la manière dont les autorités néerlandaises ont déterminé le coefficient de 60% pour le Maroc.

- Le groupe des anciens bénéficiaires est l’ensemble des personnes qui avaient droit aux allocations avant la date d’entrée en vigueur du principe du pays de résidence, c’est-à-dire avant le 1er juillet 2012. Ces personnes ont reçu au mois de juillet une première lettre informative de SVB (Banque des assurances sociales) leur annonçant la diminution de 40% de leurs allocations à partir du 1er janvier 2013. Cette première lettre ne peut faire l’objet d’aucune réclamation.

Au mois de décembre 2012, les personnes de ce deuxième groupe recevront une deuxième lettre de SVB fixant le nouveau montant exact de leurs allocations à partir du le 1er janvier 2013. Cette deuxième lettre peut faire l’objet de réclamation. La personne a 6 semaines pour contester la décision de diminution de ses allocations. La contestation lui permet de réserver ses droits en cas d’annulation du principe du pays de résidence.

SSR a pris contact avec SVB pour savoir s’il faut faire des réclamations individuelles ou une réclamation collective pour réserver les droits. Cette dernière consiste à faire une seule réclamation accompagnée d’une liste des personnes qui contestent la diminution.
- Sur le plan juridique, l’application du principe du pays de résidence aux allocations sociales peut faire l’objet de contestation devant les tribunaux néerlandais et la Cour européenne de justice. L’association marocaine de soutien aux immigrés en coordination avec SSR de Berkane ont l’intention de faire un procès juridique contre la décision de diminution des allocations.

Ces deux associations sont en contact avec l’avocate néerlandaise Roy van Zuydewijn d’Amsterdam.

2. Niveau diplomatique

L’application du principe du pays de résidence n’est qu’une étape pour l’arrêt total de l’exportation des allocations familiales en dehors des pays membre de l’Union Européenne. Cet arrêt nécessite une révision de la convention de sécurité sociale signée avec le Maroc le 14 février 1972. Et l’ambassade des Pays-Bas a été chargée d’informer les autorités sur la volonté de la révision d’ici fin 2012.

Pour faire pression sur le Maroc, les autorités néerlandaises prévoient même la suspension de la convention bilatérale. Dans la lettre adressée aux ayants droit au mois de juin 2012, la Banque d’assurance sociale (SVB) les informe sur la «possibilité que les accords avec le pays de résidence de votre enfant relatif au versement des allocations familiales soient suspendus». Aussi le gouvernement néerlandais a demandé au Conseil d’Etat un avis sur l’annulation de la convention de sécurité sociale signée entre les Pays-Bas et le Maroc le 14 février 1972.

Jusqu’à présent, la position des autorités marocaines, en ce qui concerne l’application du principe du pays de résidence aux allocations sociales et du «woonlandfactor » de 60% pour le Maroc, n’est pas connue.

3. Les actions de terrain

A part la lettre commune de la Fondation des Néerlandais Marocains (SMN) et du Conseil Consultatif des Turcs (lOT) à la première Chambre du parlement (voir annexes), la préparation de loi est passée inaperçue dans la communauté marocaine. Ce n’est qu’avec la première lettre informative de la SVB que se manifestent les premières réactions et mobilisations, mais qui reste.
- Campagne d’information expliquant la loi et des possibilités de recours. SSR a établi des contacts avec le ministère chargé de la communauté marocaine résident à l’étranger pour l’organisation de 2 ou 3 rencontres informatives dans les régions de concentration des victimes (Al-Hoceima, Tanger, Berkane). D’après le coordinateur de SSR à Berkane :

- Diffusion d’imprimés et de communiqués (SSR, MVHM)

- Lettre aux deux formateurs néerlandais chargés de la négociation pour la formation du nouveau gouvernement (EMCEMO)
- Organisation de rencontres informatives et de mobilisation aux Pays-Bas (certaines associations des Marocains aux Pays- Bas)

- Organisation d’une conférence de presse par SSR, MVHM, Avocat

- Procès juridique contre les autorités néerlandaises pour violation des conventions et discrimination indirecte (une ou deux personnes victimes, soutenu par SSR et MVHM)

7/1/2013

Source : L’Opinion

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