Dans une circulaire publiée vendredi 25 janvier, la chancellerie demande aux tribunaux de faciliter la délivrance d’un certificat de nationalité française aux enfants nés par mère porteuse à l’étranger.
Pour l’opposition, c’est une première forme de reconnaissance de la gestation pour autrui. Christiane Taubira s’en défend, assurant que ses instructions ne visaient qu’à faciliter l’obtention par ces enfants d’un passeport français.
Pourquoi cette circulaire sort-elle maintenant ?
La garde des sceaux, Christiane Taubira, avait annoncé dès le 16 janvier, lors de l’examen du texte en commission, que ses services préparaient une circulaire demandant aux tribunaux français de faciliter la délivrance des certificats de nationalité française aux enfants nés d’une gestation pour autrui (GPA) à l’étranger. Il s’agissait pour elle de répondre de manière « efficace » à des difficultés concrètes rencontrées par les parents pour faire établir un passeport à leurs enfants.
Lors des auditions conduites par le rapporteur du texte, ErwannBinet, les associations de familles homoparentales avaient en effet souligné les problèmes spécifiques rencontrés par ceux qu’elles appellent les « fantômes de la République ». Et un député d’Europe Écologie-Les Verts, Sergio Coronado, avait déposé un amendement réclamant une transcription de l’acte de naissance établi à l’étranger dans l’état civil français de ces enfants, ce que le parquet du tribunal de grande instance de Nantes s’est pour l’instant toujours refusé à faire.
Si le gouvernement n’a pas choisi d’aller jusque-là, Christine Taubira a néanmoins précisé que la réflexion était « en cours », évoquant une transcription « automatique » au moment des 16 ou des 18 ans de l’enfant.
Qu’autorise ce texte ?
La chancellerie demande aux tribunaux de ne plus refuser, comme c’était le cas jusqu’ici, la délivrance de certificats de nationalité française (CNF) aux enfants nés par GPA à l’étranger. La garde des sceaux demande expressément aux greffiers des tribunaux d’instance « de faire droit » aux demandes de CNF pour les enfants nés à l’étranger de mère porteuse, « dès lors que le lien de filiation avec un Français résulte d’un acte d’état civil étranger probant ».
En l’état actuel du droit, les enfants nés à l’étranger de parents français figurent dans les registres d’état civil de leur pays de naissance et obtiennent ensuite automatiquement la transcription de leur acte de naissance à l’état civil français. On leur accorde la nationalité française dans la foulée. En revanche, lorsque les autorités françaises soupçonnent le recours à une mère porteuse, l’acte de naissance de l’enfant n’est pas transcrit dans les registres français. La Cour de cassation a, à plusieurs reprises, considéré qu’une telle transcription contreviendrait à l’ordre public, qui prohibe la gestation pour autrui, et bafouerait le principe d’indisponibilité du corps.
Faute de figurer à l’état civil français, ces enfants se voient souvent, du même coup, privés du certificat de nationalité française. Ce refus n’est pas systématique, certains tribunaux étant plus accommodants que d’autres. Désireuse d’homogénéiser ces pratiques et de faciliter l’acquisition de la nationalité française par ces enfants, Christiane Taubira a donc enjoint aux greffiers de délivrer ces CNF de façon automatique, y compris lorsqu’ils suspectent une GPA.
Quelles sont les conséquences possibles ?
L’absence d’état civil français ne pèse pas réellement sur la vie quotidienne des enfants nés par mère porteuse (1). Ces enfants ne sont pas apatrides : ils ont un état civil étranger établissant clairement leur lien de filiation avec leurs parents – qu’ils soient biologiques
ou d’intention. Cet état civil, même s’il n’est pas transcrit sur les registres nationaux, produit des effets en droit français : l’inscription à l’école ne pose pas de problème, pas plus que l’accès aux droits sociaux (Sécurité sociale, etc.). Dans les faits, ils mènent la même vie que n’importe quel enfant étranger vivant en France.
Il se révèle en revanche très compliqué de leur faire établir des documents d’identité français (carte d’identité et passeport). L’octroi de tels documents est en effet conditionné à la délivrance préalable d’un certificat de nationalité française. La circulaire de Christiane Taubira lève donc cette condition et demande aux tribunaux de leur délivrer ce certificat, et ce afin de résoudre la situation très problématique dans laquelle se retrouvent certaines familles françaises, notamment celles restées bloquées en Ukraine.
« Les enfants nés par GPA à l’étranger y restent parfois bloqués avec leurs parents, et comme assignés à résidence, par le refus des autorités consulaires de délivrer un visa à l’enfant », constate l’avocat Florent Berdeaux-Gacogne. Les parents de l’enfant n’ont donc pas l’autorisation de rentrer en France avec lui. La circulaire devrait mettre fin à ce type de situation.
Va-t-on vers une reconnaissance de fait de la GPA ?
« La GPA est interdite dans notre droit, ça ne fait pas débat », a insisté la garde des sceaux au sortir du conseil des ministres, hier. Le rapporteur de la loi, le député PS (Isère) Erwann Binet lui a emboîté le pas en précisant : « Il ne s’agit pas du tout de légaliser la gestation pour autrui dans notre pays. Elle reste interdite dans notre code civil, sanctionnée et punie par la loi dans notre code pénal. »
La circulaire ne modifie en effet aucunement le code pénal, lequel punit d’un an de prison et de 15 000 € d’amende « le fait, dans un but lucratif, de s’entremettre entre une personne désireuse d’adopter un enfant et un parent désireux d’abandonner son enfant né ou à naître » (article 227-12).
Certains estiment toutefois qu’en facilitant l’acquisition de la nationalité française par les enfants nés de mère porteuse, le gouvernement porte une première atteinte à la prohibition de la GPA. « La situation actuelle des enfants nés de mère porteuse n’est clairement pas satisfaisante aujourd’hui, concède Hugues Fulchiron, professeur de droit à l’université Lyon 3. Mais on ne peut pas exclure qu’en confortant dans le droit français le statut des enfants nés par GPA, on encourage les couples à recourir à ce mode de procréation. »
(1) La chancellerie dénombre chaque année une dizaine d’enfants nés par GPA (11 en 2012) alors que l’association des familles homoparentales estime, elle, entre 500 et 800 les couples français ayant chaque année recours à une GPA.
30/1/2013, MARIE BOËTON ET CELINE ROUDEN
Source : La Croix