Laurent Chalard, géographe, conteste les méthodes de l’Insee et dénonce un tabou sur la population étrangère :
Laurent Chalard est géographe, spécialiste des questions liées aux populations urbaines. Il s’intéresse notamment aux habitants des quartiers en difficulté.
Pourquoi, selon vous, la population légale publiée par l’Insee ne correspond-elle pas forcément à la réalité dans certaines villes ?
La population varie de deux façons : le solde naturel et le solde migratoire. Le solde naturel, ce sont le nombre de naissances, moins le nombre de décès. Ce sont des chiffres où il n’existe qu’une infime marge d’erreur possible. En revanche, sur le solde migratoire, c’est beaucoup plus compliqué. Pour le calculer, il faudrait avoir le nombre d’entrées sur le territoire et celui des sorties. Or, on ne sait pas combien de personnes entrent chaque année sur le territoire. La seule indication dont on dispose, ce sont les titres de séjour accordés. Ce qui exclut les entrées illégales. Par ailleurs, nous ne comptons pas les personnes qui sortent. Soit des étrangers qui rentrent dans leur pays, soit des Français qui partent vivre dans un autre pays. Aussi curieux que cela puisse paraître, la France ne connaît pas son solde migratoire. Derrière tout cela, il y a le grand tabou des chiffres de l’immigration, un vieux tabou politique français. Dans les années 80, alors que le Front national commençait à percer, que cette question devenait tendue, l’Insee n’avait pas hésité à dire que le solde migratoire était nul. Cela correspondait au discours disant que la France ne recevait plus d’immigrés. Ces dernières années, le solde migratoire est officiellement d’environ + 50 000. Mais on ne voit pas bien à quoi cela correspond. Pas forcément à la réalité en tout cas.
Est-ce que le changement de méthode de recensement depuis 2004 a favorisé selon vous l’augmentation des erreurs ?
Oui, incontestablement. En tout cas pour les villes de plus de 10 000 habitants où la méthode des sondages est appliquée. Il est évident qu’une extrapolation à partir du recensement de 8% des logements comporte une part de risque. Cela n’a pas la même fiabilité qu’un recensement exhaustif. Les erreurs sont très nettes lorsqu’on observe les évolutions de populations de certaines villes.
Sur certaines communes, on a des variations d’une année sur l’autre de 4 à 5%. De tels écarts ne sont pas crédibles. On a avec cette méthode une perte de qualité de la connaissance de la population locale. Or, ces chiffres locaux sont très importants pour la définition des politiques publiques. Aucun pays n’a d’ailleurs adopté la méthode des sondages. C’est une méthode basée sur des modèles mathématiques complexes, qui fonctionne dans un monde parfait mais pas dans le monde réel.
Des communes comme Grigny, dont certains quartiers comptent de nombreux hébergements illégaux et une proportion importante d’étrangers, sont-elles particulièrement sensibles aux erreurs ?
Oui. Personnellement, je suis sceptique sur la qualité du recensement dans des quartiers très sensibles, où il est parfois compliqué de monter dans les cages d’escaliers pour les personnes extérieures et où l’on constate un taux de non-réponse plus fort qu’ailleurs, et surtout, de plus en plus important. Par ailleurs, on note, notamment lorsqu’il y a des personnes en situation irrégulière, une tendance à la sous-déclaration du nombre d’occupants du logement. Dans une commune comme Grigny, on a ces deux phénomènes qui se cumulent, ce qui augmente les marges d’erreurs.
5 février 2013, Alice Géraud
Source : Libération