dimanche 24 novembre 2024 16:50

Comment sont formés les imams de France

Mosquée cherche bac +9, célib. et très dispo. Smic, à débattre. Voilà à quoi pourrait ressembler une annonce pour un job d’imam en France. Enquête.

Outre une bonne connaissance du coran, devenir imam implique un amour des choses simples et une bonne dose de flexibilité. En effet, la concurrence pour l’imamat est internationale, et le salaire des heureux élus, rapporté au nombre d’années d’études, souvent mince.

Aucune formation n’a été unanimement désignée par les autorités religieuses, qu’elles soient chiites ou sunnites, pour un métier qui n’est pas considéré comme tel par tout le monde. La formation des imams en France peut amener sur un terrain où les rapports de forces politiques, les obsessions collectives et la géopolitique brouillent les cartes.

« La formation des imams est un sujet capital, car ils sont au contact de la population », estime l’anthropologue et philosophe Malek Chebel, qui a signé en janvier dernier « Changer l’islam » (éd. Albin Michel). Un sujet d’autant plus capital qu’il représente une source d’emplois dans un contexte de chômage de masse.

La Commission imams réunie... deux fois

L’administration française, dans sa souplesse, n’a pas créé de statut pour les imams travaillant en France. Tout juste leur permet-elle, dans certains cas, de jouir du statut des prêtres et de cotiser à la même caisse de retraite et de sécurité sociale.

Depuis la création en 2003 du Conseil français du culte musulman (CFCM) par Nicolas Sarkozy, le ministre de l’Intérieur de l’époque, l’islam « de France » est devenu le leitmotiv des gouvernements successifs. Dans leur discours, les politiques ont à cœur de souligner l’importance de l’intégration de l’islam dans le jeu institutionnel et politique français, afin de mieux le faire entrer dans le paysage.

L’instance supposée régler les problèmes liés au personnel religieux musulman, la Commission imams du CFCM ne s’est réunie que… deux fois depuis sa création il y a dix ans, dixit l’un de ses membres. Devant tant d’écart entre les déclarations d’intention et les actes, les musulmans de France tracent leur propre voie, et accèdent à la fonction d’imam de diverses manières.

« Les imams sont des bénévoles »

Pour une certaine partie des citoyens de confession musulmane, en particulier la génération des « primo-arrivants » ou des « darons » comme les appelle Gilles Kepel dans « Quatre-vingt treize » (éd. Gallimard, février 2012), être imam reste une fonction attribuée par la communauté de fidèles à l’un d’entre eux. Souvent celui qui connaît – comparativement – le mieux le coran.

Ce n’est pas un métier à proprement parler. « Soit on connaît quelqu’un qui est formé, soit c’est celui qui s’y connaît le mieux qui s’en charge », affirme sans détour l’un des quatre imams bénévoles de la mosquée du Mirail, à Toulouse.

Il révoque l’idée que l’islam implique du « professionnalisme » et préfère le terme de « mission ». « Les imams sont des bénévoles dans la tradition musulmane », abonde Bernard Godard, du Bureau central des cultes du ministère de l’Intérieur.

Entrepreneurs pour gagner plus

Moins traditionnels, les imams entrepreneurs sont aujourd’hui légion. Ceux de la nouvelle génération, notamment, qui n’hésitent pas à cumuler les activités pour vivre correctement.

« Je gère une société de transport, et il m’arrive d’effectuer des remplacements dans la mosquée de la ville où j’ai grandi », explique Samit T., ancien étudiant à l’Institut européen des sciences humaines (IESH) de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis).

Tout comme lui, Saber gère une société de transport en plus de ses conférences données dans diverses mosquées d’Ile-de-France. « Je fais aussi un plein temps au conseil général, mais les horaires sont flexibles », ajoute cet hyperactif.

Trois années d’arabe, trois années au Caire...

Après trois années d’apprentissage de l’arabe, essentiel afin de comprendre le coran en version originale, suivent trois années de théologie dans un centre spécialisé tel que l’Institut Al-Ghazali à Paris.

Les plus téméraires iront compléter leurs connaissances dans l’une des capitales du savoir islamique. Trois années d’études au Caire ou à Médine plus tard, les voilà avec un imposant bac+9 en poche.

Si les étudiants résistent aux sirènes de la recherche universitaire ou de l’enseignement, deux solutions s’offrent à eux :

soit travailler à plein temps comme imam dans une mosquée, et espérer gagner un smic ;

soit cumuler la fonction d’imam et celle de directeur de centre islamique, mosquée ou association musulmane, et ainsi porter sa rémunération aux alentours de 2 000 euros. Pas de quoi franchir malgré tout le cap de la Rolex à 50 ans.

Le seul avantage comparatif pour les candidats potentiels réside dans l’importance et la constance de la demande dans le secteur.

Des mosquées sans candidat

La barbe finement taillée, le directeur de l’IESH de Saint-Denis nous reçoit dans son bureau avec vue sur la Seine, dans un immeuble années 80 aux vitres marron. « Chaque semaine, je reçois trois ou quatre coups de fil de mosquées qui veulent un imam », lance avec une pointe d’inquiétude Abdeslam Hafidi.

Une demande qui place les étudiants en position de force, et laisse les mosquées les moins « attractives » sur le carreau, à l’image de celle de Nantes.

« Ce qui m’a étonné, c’est que malgré un affichage dans les centres de formation, on n’ait pas reçu la moindre candidature ! » déplore son dirigeant, avant d’ajouter qu’il « rendra bientôt sa casquette de directeur » : trop de frustration.

Comme la majorité des demandeurs d’emploi, les étudiants, originaires pour la plupart de la région parisienne, rechignent à délaisser leur ville pour un travail qui laisse peu de temps pour une vie sociale.

Célibataires bienvenus

« Il y a des étudiants qui s’imaginent qu’il suffit de diriger les prières, soit dix minutes à chaque fois, et que c’est tout. Alors qu’en réalité, il faut être disponible 24 heures sur 24 ! » s’amuse Abdeslam Hafidi.

Le médiatique imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, en rajoute une couche dans son livre « Profession imam » (éd. Albin Michel, octobre 2009), en décrivant le rôle d’assistant social, de psychologue et de référent familial qui est bien souvent celui de l’imam.

Une mère de famille peut par exemple appeler en pleine nuit au sujet de la dernière crise de son ado. Mais ce type d’urgences concerne surtout les personnes arrivées récemment en France, et qui voient en l’imam une personne pouvant soulager leur fragilité.

Des problèmes bien éloignés de leurs prérogatives religieuses. Cette charge de travail hors du commun rebute certains des étudiants, qui envisagent l’imamat comme un métier et non comme un sacerdoce.

Pour ne rien arranger, certaines mosquées exigent que les candidats soient célibataires, afin de s’assurer de leur disponibilité.

A la fin de la période d’essai... rien

Comme pour n’importe quel emploi, une fois franchie l’étape de la candidature, l’aspirant imam doit accepter une période d’essai. Pendant une durée qui varie selon la mosquée, il mène certaines prières, et rencontre les fidèles, dans l’espoir d’être accepté par la communauté.

« La plupart des associations qui gèrent les mosquées ne laissent aucune marge de manœuvre à l’imam », souligne avec amertume l’ex-étudiant Saber, pour expliquer les réticences de certains étudiants à se lancer à plein temps dans une mosquée.

Il n’est en effet pas rare que la période d’essai se termine sans embauche.

Venus d’ailleurs « pour ne rien faire »

Comme de nombreux secteurs du marché de l’emploi, la concurrence pour devenir imam est internationale. Selon les chiffres du ministère de l’Intérieur, 150 Turcs, 120 Algériens et 30 Marocains exercent actuellement en tant qu’imams sur le territoire.

Ramenés aux 2 000 lieux de culte recensés, cela semble dérisoire. En réalité, seuls 600 à 800 imams sont salariés en France, la plupart des lieux de culte désignant un fidèle pour diriger les prières, ou se contentant d’employer un imam « freelance » pour les périodes d’affluence comme le mois du ramadan.

Mais l’appel à ces religieux amenés « clés en main », pour une durée de quatre ans, ne se fait pas sans déconvenues. « En ce moment, je suis en litige avec trois imams qui venaient pour ne rien faire », tempête le directeur de l’association musulmane d’Annecy (Haute-Savoie), mettant le doigt sur les problèmes que peuvent créer des imams parfois peu au courant du contexte français et financés directement par les Etats qui les envoient (Turquie, Algérie et Maroc).

« Et si la famille royale passe à Paris... »

Certains jeunes imams formés en France se voient aussi proposer des contrats par ces mêmes Etats étrangers. Une pratique qui pourrait rassurer les mosquées françaises, mais qui n’enlève rien à la dépendance qu’elle implique.

« C’est clair qu’il faut voter de telle ou telle manière au CFCM selon la nationalité de l’imam que l’on fait venir », lâche le directeur de l’IESH. « J’ai refusé un contrat payé par le Maroc pour ne pas être récupéré à des fins politiques », assure quant à lui Saber, avant de continuer, indigné :

« En apparence vous êtes libre, mais vous ne pouvez pas dire quelque chose qui va à l’encontre du Maroc par exemple. Et si la famille royale passe à Paris, il faudra peut-être venir lire le Coran ! »

Un choix cornélien pour des mosquées vivant majoritairement avec les dons de leurs fidèles. « Il aurait fallu couper ce cordon ombilical il y a longtemps déjà », proteste Malek Chebel. Un « cordon » entretenu par des politiques publiques paradoxales : l’Etat veut organiser l’islam mais ne s’en donne pas les moyens, pour ne pas sembler favoriser une religion qui n’a pas bonne presse.

Tous les ingrédients de l’inertie sont réunis, ouvrant une voie royale à des Etats étrangers riches et en quête d’influence.

« Connaître Victor Hugo ou La Fontaine »

Malgré cette concurrence, les imams formés en France peuvent rivaliser sur d’autres points, comme la maîtrise du français. Dans une étude à paraître, le sociologue Hugues Lagrange montre que la pratique régulière de la prière atteint les 30% chez les 21-25 ans, contre moins de 20% pour les plus de 40 ans.

Bien souvent, ces jeunes fidèles ne maîtrisent pas ou peu les langues de leurs parents, et encore moins l’arabe coranique. La jeune génération musulmane est donc à la recherche d’imams pouvant répondre à leurs interrogations… en français.

« Nos étudiants ne doivent pas être francophones par défaut. Il faut qu’ils connaissent au moins Victor Hugo ou La Fontaine », prévient Djelloul Seddiki, élégant directeur de l’Institut Al-Ghazali à Paris, avant qu’une équipe du « 20 Heures » de TF1 ne vienne mettre fin à l’entretien.

Tous les centres de formation ne considèrent pourtant pas la maîtrise du français comme une priorité, le coran étant de toute manière enseigné en arabe. « Il y a une forte affluence dans ma mosquée car je parle français », claironne l’imam principal de la mosquée du Mirail.

24/2/2013, Alexander Abdelilah

Source : Rue 89/Le Nouvel Observateur

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