Lors d’une assemblée générale extraordinaire qui se tenait samedi 23 février, le Conseil français du culte musulman devait entériner le projet de réforme sur lequel les grandes fédérations s’étaient mises d’accord en décembre.
Pour mettre fin aux dissensions qui le paralysaient depuis des mois, une direction collégiale et une présidence tournante pourraient être mises en place. Avec le risque de « rigidifier » son fonctionnement…
Paralysé depuis des mois, le Conseil français du culte musulman a peut-être trouvé une sortie de crise. Samedi 23 février, son assemblée générale était appelée à se prononcer sur un projet de statuts rédigé à la suite d’un accord signé le 16 décembre 2012 entre les principales fédérations musulmanes.
Le texte, long d’une douzaine de pages, détaille les nouvelles règles de fonctionnement de l’instance. Ainsi, l’article 6 précise que, désormais, « la présidence travaille d’une manière collégiale et consensuelle pour gérer les dossiers délicats qui intéressent le culte musulman, dans l’esprit de consultation et de dialogue permanent. En particulier, chaque décision impliquant une prise de position publique est discutée par la présidence collégiale ». Le bureau, qui regroupe la présidence collégiale et « de 2 à 12 membres élus pour six ans », est lui aussi profondément remanié. Son élection comme son fonctionnement sont basés sur le principe de « la concertation (choura) ».
« Le CFCM ne sera plus géré par les élus seulement, puisqu’on augmente la part des membres désignés », résume un proche de l’instance. « Les indépendants perdent de l’importance. Apparemment, c’est le prix à payer pour que ça marche ».
Impulsé en 1999 par le ministre de l’intérieur Jean-Pierre Chevènement, le CFCM a été créé Nicolas Sarkozy, en 2003. Dalil Boubakeur, recteur de la Grande mosquée de Paris (proche de l’Algérie) a été nommé à sa tête par le gouvernement, puis a effectué un deuxième mandat de 2005 à 2008. Depuis 2008, date de la victoire du Rassemblement des musulmans de France (proche du Maroc), le système électoral – basé sur la surface des mosquées – est contesté par une partie des fédérations membres (notamment l’Union des organisations islamiques de France, UOIF, proche des Frères musulmans, et la Grande mosquée de Paris), qui s’estiment désavantagées.
Le nouveau texte est le fruit de l’accord entre le Rassemblement des musulmans de France, la Grande mosquée et l’UOIF, et, dans une moindre importance, des fédérations turques (CCMTF) afro-antillaises (FFAIACA) et du mouvement Tabligh Foi et Pratique. Les petites associations – comme la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF) – ou les mosquées indépendantes font les frais de cette réorganisation. Dans un communiqué, Mohammed Bechari a indiqué « dénoncer fermement » cette réforme qui valide à ses yeux « la mainmise de trois fédérations sur le CFCM » et « à exclure les autres acteurs de l’islam de France ». Autre défaut mis en évidence par certains : la réforme pourrait « rigidifier » le fonctionnement de l’instance. « La marge de manœuvre de l’équipe dirigeante sera quasi-nulle. Le président ne prendra plus une décision et ne signera plus un communiqué seul. Compte tenu des intérêts de chacun, des blocages sont à craindre sur chaque dossier », redoute un spécialiste. Par ailleurs, les dissensions à l’intérieur des grandes fédérations, en particulier sur la répartition des postes, sont reparties de plus belle. Comme le résume un autre proche du dossier, la réforme pourrait relever surtout du symbole, « dans le but de montrer des responsables musulmans assis autour de la même table et pas trop divisés ». En tout état de cause, « les problèmes de lieux de culte se règlent plutôt dans les régions, et pas tellement à l’échelon national ».
L’accord témoigne en tout cas de l’importance qu’elles accordent au CFCM, organisation souvent décriée pour son éloignement du terrain, sa proximité avec le pouvoir, etc. « Contrairement à ce que certaines disent pour se dédouaner, ce sont les fédérations elles-mêmes qui se sont mises d’accord, sans que le ministère de l’intérieur ne leur tienne la main », fait valoir une source bien informée.
« J’attache énormément d’importance au fait qu’il se remette au travail », assure ainsi Chems-Eddine Hafiz, avocat et responsable de la Grande mosquée de Paris. « Nous n’avons jamais contesté son existence mais seulement son système électoral qui favorise des groupes dynamiques et organisés au détriment de l’islam véhiculé par la GMP qui reste incontournable. Avec cette réforme, on sort d’une présidence solitaire, individuelle pour aller vers un système dans lequel chacune des composantes, avec ses différences, pourra s’exprimer… Les raisons du blocage n’ont pas disparu mais elles sont amoindries. Après, il faut quand même que chacun ait la volonté de travailler ».
Dès la semaine prochaine, la présidence collégiale pourrait se mettre en place en vue d’organiser des élections au mois de juin. Un conseil d’administration devrait se réunir « mi-mars ou au pire fin mars » pour fixer le règlement électoral.
23/2/13, Anne-Bénédicte HOFFNER
Source : La Croix