L'Institut du monde arabe, haut lieu de culture, fruit d'un partenariat entre la France et vingt-deux pays arabes, devrait se parer aux couleurs du Maroc, en l'année 2014. «Le premier événement que j'organiserai comme président de l'IMA est dédié au Maroc créatif et inventif, ainsi qu'à la création contemporaine marocaine», a déclaré récemment à Fès son nouveau président, l'ancien ministre français de la Culture, Jack Lang. Entretien avec Mohammed Métalsi, directeur des Actions culturelles, un Tangérois qui s'est engagé depuis près de trois décennies dans le développement et le rayonnement de la culture arabe en général et de la culture marocaine en particulier.
Le Matin : L'Institut du monde arabe a été créé en 1987, à Paris, et vous étiez, vous, Mohamed Métalsi, urbaniste, docteur en histoire de l'art, auteur de plusieurs ouvrages, présent, dès 1984, dans l'équipe qui prépare le projet ?
Mohamed Métalsi : Oui, nous avons travaillé de manière pragmatique sur ce projet. Au début, il n'y avait que la médiathèque, nous n'avions même pas un cahier des charges ! J'ai planché sur la création de différents services relatifs aux affaires culturelles, musée d'art contemporain, expositions, activités culturelles, spectacles et, depuis 1996, je suis directeur des Actions culturelles de l'IMA. Je suis notamment en charge de la programmation culturelle : cinéma, art, danse, des actions éducatives, des débats, des colloques, des publications comme la revue «Qantara».
L'un des derniers colloques était consacré à l'ouvrage de Daniel Rivet sur «L'histoire du Maroc» ?
Oui, la parution du dernier livre de Daniel Rivet nous a offert l'opportunité d'un débat sur l'histoire plurielle du Maroc, sur les différentes étapes de la formation d'un État dont on entrevoit mieux les contours entre le VIIIe et le Xe siècle. Le débat était animé par un de vos confrères, Ahmed Naït-Balk, responsable adjoint de l'information de la chaîne Africa 24. Daniel Rivet, professeur émérite et spécialiste du Maghreb, auteur notamment d'une «Histoire du Maroc» (Fayard), Nicolas Michel, professeur d'histoire à l'Université de Provence, Abdelahad Sebti, professeur d'histoire à l'Université de Rabat, Bernard Rosenberger, historien, spécialiste du Maroc, Pierre Vermeren, professeur en histoire du Maghreb contemporain à l'Université de Paris I, auteur d'«Idées reçues sur le monde arabe» (éd. Le Cavalier bleu), étaient présents. Ils se sont penchés sur un des aspects de cette histoire, la culture du compromis, qui est une des constantes de l'histoire du Royaume.
Vous vous occupez du monde arabe, quels liens gardez-vous avec votre pays d'origine, le Maroc ?
Je suis spécialiste dans l'histoire de l'art et j'ai écrit plusieurs ouvrages sur le Maroc, les jardins royaux, sur Fès, sur Tétouan, Tanger, les villes impériales du Maroc. J'ai également écrit beaucoup d'articles sur la musique et sur la culture en général. Je connais les monuments du Maroc dans le détail, j'ai participé à 80% à l'écriture et à l'édition des Guides Hachette sur le Maroc. J'ai fait quelques missions au Maroc et j'ai coordonné récemment le concours de design du grand port de Tanger Med et donné, en 2012, une conférence dans la ville du détroit aux architectes qui travaillent sur le projet du port de Tanger ville, présidé par Abdelouahed Laftit. Avant d'entreprendre la transformation du front de mer, il était important de connaitre le patrimoine de cette ville, l'histoire de sa médina, la signification urbaine, la mémoire de la ville.
L'un des axes de la coopération entre la France et le Maroc, à l'occasion de la visite du Président Hollande, pourrait être précisément la coopération culturelle. Encore faudrait-il développer la diplomatie software, où le Maroc pourrait réussir grâce à la richesse de son patrimoine. Quelle est votre ressenti sur cette question ?
Le Maroc est un pays illustre en tant que conservatoire du patrimoine. C'est le représentant légitime de l'histoire de l'art hispano-mauresque et c'est aussi un pays de très grande diversité de la Méditerranée au Sahara. Que ce soit dans ses costumes, dans sa musique, dans sa gastronomie, dans ses coutumes et arts de vivre, dans la diversité de son architecture, le Maroc est d'une très grande richesse. Le Royaume vit une «unité dans la diversité», et ce, de manière apaisée et féconde. La politique crée l'unité et vient cimenter la diversité. Il reste, puisque vous parlez de la diplomatie software et on peut le regretter, que le Maroc n'a pas su «vendre» sa diversité culturelle.
Il y a eu l'année du Maroc en France ?
Qui a eu une formidable résonance et pas seulement en France, et qui devrait être organisée, pourquoi pas, en Chine, aux États-Unis... Il y a eu plus de 20 millions de touristes qui ont visité telle ou telle activité culturelle du Maroc pendant cette année en France. Mais, mis à part ce temps fort, on peut dire qu'il y a peu de diplomatie software. Pourtant, il ne suffit pas de dire que le Maroc est un beau pays, il faut le faire connaître, concevoir des projets en partenariat, montrer que c'est un pays tolérant, ouvert à la création, à l'invention. Les jeunes y sont très créatifs, il y a des musiciens, des cinéastes, des plasticiens, des artistes contemporains comme Ahmed Sayyad, mondialement connu, mais peu connu au Maroc.
À Fès, Jack Lang, qui a été reçu par le Souverain, a déclaré vouloir «donner un nouvel élan» à l'IMA Quels projets avez-vous à l'Institut du monde arabe qui concernent le Maroc ?
Le Maroc devrait figurer à la place d'honneur à l'Institut du monde arabe à Paris en septembre 2014. Le Maroc d'avant-garde, le Maroc du XXIe siècle, sera «un grand événement autour de la création culturelle et artistique marocaine». À travers la création des années 90 et des années 2000, les arts plastiques, l'architecture, notamment de l'art mauresque, de l'art déco de Rabat, Casablanca, Tanger, l'art contemporain, la musique, le cinéma, la littérature, le Maroc sera présent. Le Louvre prépare une grande exposition sur l'histoire au Maroc, nous à l'IMA, nous travaillons sur le Maroc d'aujourd'hui et le Maroc du futur. À partir de septembre 2014, et après la restauration de l'IMA et de son esplanade qui fait face à la place qui porte le nom de Mohammed V, on va consacrer notre programmation au Maroc. Nous avons déjà commencé à travailler sur ce très grand projet.
Un travail qui demande, dites-vous, des aller-retour avec le Maroc.
Qu'entendez-vous par là ?
Qu'il s'agit d'un travail en commun. Dans chaque domaine, nous travaillerons en duo pour monter des projets et nous attendons beaucoup du Maroc. Les projets qui ont eu le plus de succès sont les projets qui ont été organisés dans le cadre d'une coopération bilatérale qui permettra de ranimer les relations entre l'IMA et les pays arabes. Notre nouveau président, Jack Lang, entend s'y impliquer à fond comme l'a déjà fait Si Mohammed Bennouna, qui est aujourd'hui à la Cour internationale de La Haye, mais qui a aussi présidé aux destinées de l'IMA et qui a fait ses études de droit et son doctorat à Nancy, avec Jack Lang précisément !
Mohamed Métalsi
Mohamed Métalsi, né le 14 juin 1954 à Tanger, est un urbaniste, historien de l'art et spécialiste des villes islamiques. Il est actuellement directeur des Actions culturelles de l'Institut du monde arabe de Paris. Après des études d'arts plastiques à Casablanca et Rabat, il poursuit ses études d'urbanisme, d'histoire de l'art et d'esthétique à Paris. Docteur en esthétique, depuis 1985, il participe à la création d'événements culturels et artistiques en France, en Europe et dans le monde arabe. Il est également membre du comité de rédaction de la Revue internationale «Centro de documentation musical de Andalucia», Séville, et du magazine «Qantara» de l'Institut du monde arabe à Paris. Il est aussi directeur artistique de la collection CD «Musicales» de l'Institut du monde arabe et Harmonia Mundi. Parmi ses oeuvres :
• «Les villes impériales du Maroc», Bayard, collection Terraille, Paris, 1999 (traduit en Anglais et en Allemand).
• «Fès, la ville essentielle», ACR, Paris, 2003.
• «Maroc, les palais et jardins royaux», Imprimerie nationale, Paris et éditions Malika, Casablanca, 2004.
• «Tétouan, entre mémoire et histoire», Malika éditions, Casablanca, 2005.
• «Tanger», Actes Sud, Paris et Malika édition, Casablanca, novembre 2007.
Il a collaboré également à la rédaction d'articles scientifiques sur l'architecture, l'urbanisme, l'art des jardins en Islam, les arts traditionnels, les arts plastiques et la musique.
8 Avril 2013, Farida Moha,
Source : LE MATIN