Abdul Qayoum s'est endetté en Inde pour "acheter" un visa de travail en Arabie saoudite. Mais désormais il se sent traqué, cible d'une campagne d'expulsions des travailleurs immigrés après avoir été lâché par l'employeur l'ayant parrainé pour son installation.
"J'ai payé l'équivalent de 4.000 dollars en Inde pour obtenir un visa de travail", dit cet homme d'une trentaine d'années, aux vêtements poussiéreux et à la barbe naissante, qui gagne moins de 600 dollars par mois à Ryad.
"Personne ne m'a dit ni en Inde ni ici qu'on ne peut pas changer de parrain. Et celui qui m'a fait venir ici n'a pas de travail, ce qui m'a obligé à aller ailleurs", déplore cet ouvrier qui n'a réussi, en deux ans et demi, qu'à rembourser la moitié de sa dette.
Depuis le début de l'année les autorités ont mené une campagne d'expulsions visant ceux qui ne peuvent justifier d'un parrainage ou ne travaillent pas pour leur parrain officiel, semant la panique parmi les travailleurs. Début avril, elles ont décidé de marquer une pause de trois mois dans l'application de la nouvelle règle.
Pas moins de 200.000 étrangers, pour la plupart asiatiques mais aussi des Yéménites, ont été ainsi contraints de quitter le pays.
La pratique du parrainage des expatriés, dénoncée par les organisations de défense des droits de l'Homme, est une affaire juteuse pour beaucoup de Saoudiens qui peuvent se livrer à un trafic de visas de travail.
"Au lieu de nous pourchasser, les autorités feraient mieux de changer le système du parrainage", peste un travailleur jordanien qui dit s'appeler Nidham.
La Haut commissaire des Nations unies pour les droits de l'Homme, Navi Pillay, avait appelé en 2010 lors d'une visite à Ryad les pays du Golfe à mettre fin à ce système qui laisse l'ouvrier à la merci de son parrain.
Ainsi Mukhtar, un Pakistanais employé dans un centre commercial de Ryad, explique qu'il paye 8.000 riyals par an (2.135 dollars) à son garant pour qu'il renouvelle son permis de résidence.
"Mon parrain a des dromadaires qu'il fait paître dans le désert et ne peut pas m'employer. Notre accord est qu'il s'occupe de mes papiers et que je travaille chez un autre. Maintenant ils veulent nous expulser, ce qui est injuste", dit-il.
Les autorités expliquent ces nouvelles réglementations par la tentative de réduire le nombre de travailleurs immigrés dans le pays de quelque 27 millions d'habitants, pour favoriser l'emploi des Saoudiens.
Selon le ministre du Travail Adel Fakih, deux millions d'entre eux sont au chômage, dont beaucoup de diplômés et de femmes.
Mais M. Fakih a reconnu que parmi les huit millions de travailleurs étrangers du royaume pétrolier, "six millions occupent des postes subalternes qui ne conviennent pas aux Saoudiens et 68% d'entre eux sont payés moins de mille riyals (270 dollars) par mois".
Un salaire de misère pour les Saoudiens qui fuient le secteur privé, préférant la fonction publique, mieux payée et aux horaires moins fatigants.
Dans la première économie arabe et le premier exportateur de pétrole au monde, le taux de chômage atteint 12,5%, selon des statistiques officielles.
"Le ministère du Travail a le droit de favoriser l'emploi des Saoudiens mais ne doit pas perturber l'activité économique", relève Saïd al-Cheikh, un haut responsable de la National Commercial Bank.
Selon lui, le secteur du commerce de détail emploie 1,7 million d'étrangers et celui du bâtiment 2,8 millions. L'industrie emploie en tout 700.000 personnes dont seulement 20% de Saoudiens.
Certains secteurs ont ressenti les effets des expulsions avec des entreprises qui ont réduit leurs activités ou des écoles privées qui ont fermé faute d'enseignantes.
Pour les travailleurs qui ont pu éviter l'expulsion, la course à la régularisation commence. Ils doivent transférer leur parrainage à leur employeur effectif.
Mohammed Abdallah Awad, un Yéménite de 27 ans, l'a déjà fait en versant 2.000 dollars à son parrain pour qu'il le libère. "Je n'avais pas le choix car j'ai 13 personnes à charge au Yémen".
11 avr 2013
Source : AFP