Dans cet entretien accordé à Oumma, Mohammed Moussaoui revient notamment sur le cafouillage qui a marqué le début du mois de Ramadan. Il explique également les avantages pour les musulmans de France d'avoir un calendrier lunaire basé sur le calcul astronomique.
Oumma.com : Le Conseil Français du culte Musulman, instance représentative du culte musulman en France, avait annoncé dès le 9 mai 2013 que le premier jour de Ramadan de l'année hégirienne 1434 correspondait au 9 juillet 2013 et la fête de l'Aïd El Fitr (fête de rupture du jeûne) au 8 août 2013. Certains, en dépit de la décision du CFCM, ont appelé les musulmans à commencer le jeûne le mercredi 10 juillet 2013. Il s'en est suivi une regrettable confusion et un grand cafouillage. Comment expliquez-vous cette situation ?
M.Moussaoui : Laissez-moi d'abord vous rappeler la genèse de la décision du CFCM. Dès le mois de septembre 2009, une commission au sein du CFCM a été chargée de faire des propositions pour unifier les méthodes de calcul des heures des cinq prières rituelles et d'examiner la possibilité d'étendre l'usage du calcul à la détermination du début de chaque mois lunaire. Le Conseil d'administration du CFCM du 24 juin 2012 a réaffirmé la nécessité de finaliser les deux chantiers. L'achèvement de la réforme du mode de représentativité et de la gouvernance au sein du CFCM le 23 février 2013, permettant le retour de la Grande Mosquée de Paris et l'Union des organisations Islamiques de France (UOIF) au sein des instances du CFCM, a permis d'accélérer la réforme du calendrier lunaire. Pour le colloque organisé par le CFCM le 9 mai 2013, toutes les composantes du CFCM, ont été appelées à désigner un référent religieux et un expert des données astronomiques pour statuer sur cette question.
Oumma.com : Quelle a été la décision du CFCM, le 9 mai 2013, sur cette question ?
M.Mousaoui : Les participants, après avoir passé en revue les différentes méthodes proposées et utilisées à travers le monde, ont convenu de retenir la règle qui a prévalu au sein de la Conférence Internationale sur l'Observation de la lune de novembre 1978. Cette règle est déjà appliquée par, notamment, la Turquie, la Bosnie, le Kossovo et les pays des Balkans ainsi que par certaines organisations islamiques d'Europe. Le choix du CFCM a été donc effectué dans le souci de rester en phase autant que possible avec ceux qui appliquent déjà cette règle en Europe.
Oumma.com : En quoi consiste cette règle ?
M.Moussaoui : Elle tient compte des conditions d'observation de la Lune et du principe consistant à entamer le mois lunaire partout dans le monde si la nouvelle lune est observable à n'importe quel endroit du globe. Elle s'énonce ainsi: « Le mois lunaire est supposé commencer le soir, où quelque part sur terre, après la conjonction (naissance de la nouvelle lune), le centre calculé de la nouvelle lune au coucher du soleil est plus de 5° (cinq degrés) au-dessus de l'horizon et l'élongation est de plus de 8° (huit degrés)».
L'application de cette règle permettait de fixer le début du Ramadan 1434 au 9 juillet 2013 et de l'Aïd el Fitr (marquant la fin de Ramadan) au 8 août 2013.
Oumma.com : Pourquoi le CFCM a-t-il rencontré des difficultés à appliquer cette règle pour annoncer le début de ramadan cette année?
M.Moussaoui : Le CFCM avait déjà annoncé dès le 9 mai 2013 le début de Ramadan pour le 9 juillet 2013 et l'a réaffirmé le 8 juillet 2013 par un communiqué de presse diffusé le même jour. Le croissant du 8 Juillet n'était observable que dans la partie sud du continent américain (dont fait partie la Guyane française). Il n'était observable nulle part dans les « pays musulmans » situés en Asie, Afrique et Europe. Tous ces pays ont donc annoncé que le jeûne du ramadan débuterait chez eux le 10 juillet. La communauté musulmane de France aurait été l'une des très rares communautés à entamer le jeûne dès le 9 juillet. C'est cela le fond du problème. C'est ce qui a été à l'origine de tous ces retournements de situation.
Oumma.com : Si des Etats se basent sur l'observation de la nouvelle lune pour déclarer le début du mois alors que d'autres utilisent le calcul astronomique, qu'y a-t-il d'étonnant à ce qu'ils retiennent des dates différentes ?
M.Moussaoui : Vous avez tout à fait raison. Cela n'a absolument rien d'étonnant. C'est le contraire qui le serait. D'ailleurs, voici la ventilation du début du ramadan 1434 H dans le monde. Il a débuté le 9 juillet 2013 dans 16 pays et communautés (dont la Turquie, les pays de Balkans qui suivent la Turquie, les Etats-Unis, le Canada); le 10 juillet dans 82 Etats et communautés (dont un très grand nombre a annoncé qu'il se basait sur l'annonce faite par l'Arabie Saoudite) et le 11 juillet dans 5 pays dont le Pakistan, le Bangladesh, l'Inde et la Nouvelle Zélande. Ces pays ont expliqué qu'ils n'avaient pas observé la nouvelle lune et avaient donc décompté 30 jours pour le mois de Châbane.
Il ressort clairement, de ce qui précède, que quelle que soit la règle utilisée, il y aura toujours des différences entre les Etats, selon les règles qu'ils appliquent (ou disent appliquer), et que certains modifient régulièrement.
Mais, dans ce domaine particulièrement sensible, de grands efforts intellectuels se font pour concilier l'interprétation du droit musulman à l'astronomie.
Ainsi, dans un souci d'améliorer la concordance entre la date résultant du calcul et celle résultant d'une observation visuelle, Nidhal Guessoum a proposé un calendrier bi-zonal consistant à découper le Globe en deux zones, la zone « Ouest » correspondant au continent américain et la zone « EST » englobant le reste du monde. Cette règle s'énonce ainsi : « Le nouveau mois commence dans les deux zones si la conjonction se produit avant l'aube à La Mecque. Le nouveau mois commence dans la zone « ouest » pour être reporté dans la zone « Est » si la conjonction se produit entre l'aube à La Mecque et 12h00 GMT. » ([1]).
Selon cette règle, si le croissant est visible uniquement en Amérique du Sud (comme ce fut le cas cette année) le début du mois en France devrait être reporté d'une journée.
Oumma.com : L'adoption d'une telle règle règlerait-elle cette question à la satisfaction de tous ?
M.Moussaoui : L'adoption d'une telle règle, peut se défendre pour tenir compte du décalage horaire et d'être davantage en concordance avec la visibilité régionale, mais il faut accepter dans ce cas de ne plus être forcément en accord (comme indiqué plus-haut) avec les musulmans d'Europe qui ont adopté une règle mono-zonale (voir aussi [15]). L'adoption d'un calendrier bi-zonale, bien fondée également, pourrait servir d'étape intermédiaire avant l'adoption d'un calendrier universel. Dans tous les cas, la question que vous posez mérite d'être réétudiée d'une manière approfondie.
Oumma.com : Comment s'expliquent les annonces contradictoires faites par différents organismes concernant la date du début de Ramadan en France cette année ?
M.Moussaoui : Dans la forme, comme je l'ai rappelé, la résolution du 9 mai 2013, instaurant l'usage du calcul pour le calendrier lunaire a été préparée entre 2008 et 2013 et a été signée par les fédérations composantes du CFCM dont la Grande Mosquée de Paris (FGMP), le Rassemblement des musulmans de France (RMF), l'Union des organisations islamiques de France(UOIF), le Comité de coordinations des musulmans turcs de France (CCMTF). Le Recteur Dalil Boubakeur, en sa qualité du Président du CFCM, élu le 30 juin 2013, a signé le communiqué du CFCM du 8 juillet 2013 réaffirmant, en présence de toutes les composantes du CFCM, le début de Ramadan pour le 9 juillet 2013. La nouvelle décision du CFCM intervenue le 9 juillet 2013 pour annoncer le début de Ramadan pour le 10 juillet 2013 a été prise dans conditions contestables, puisque même le bureau Exécutif du CFCM ne s'est pas réuni pour en discuter.
Oumma.com: Que disent les textes fondateurs sur le début du Ramadan ?
M.Moussaoui : J'ai déjà eu l'occasion de publier deux notes sur la validité de l'usage du calcul ([6], [7]) en se référant aux interprétations des textes. Les musulmans s'accordent sur le rôle des phases lunaires dans la détermination des débuts et des fins des douze mois lunaires. Ils se basent sur les versets: « On t'interroge sur les nouvelles lunes. Dis-leur : Ce sont des moyens pour les hommes de mesurer le temps et de déterminer l'époque du pèlerinage. » [Coran 2.189], et « C'est Lui qui a fait du Soleil une clarté et de la lune une lumière, et Il en a déterminé les phases afin que vous sachiez le nombre des années et le calcul (du temps). Allah n'a créé cela qu'en toute vérité. Il expose les signes pour les gens doués du savoir » [Coran 10.5].
La méthode pour déterminer les débuts des mois lunaires n'est donc pas explicitement exposée dans le Coran. Le verset coranique instaurant la prescription du jeûne du mois de Ramadan (9e mois lunaire) ne précise pas non plus cette méthode : « Le mois de Ramadan est celui au cours duquel le Coran a été révélé pour guider les hommes dans la bonne direction et leur permettre de distinguer la vérité de l'erreur. Quiconque parmi vous aura pris connaissance de ce mois devra commencer le jeûne... » [Coran 2.185]. Ici, l'expression « aura pris connaissance » remplace le verbe arabe « Chahida » qui ne peut être assimilé au verbe « voir » comme le signale Ragheb Al Isphahani dans son dictionnaire des mots coraniques ([2]) et l'imam Fakhr Eddine Arrazi dans son livre de Tafssir ([3]).
Du côté de la deuxième source du droit musulman : la tradition du Prophète Muhammad (PBSL), plusieurs hadiths sont invoqués pour expliquer la méthode utilisée : « Jeûnez lorsque vous le voyez (le premier croissant de lune) et cessez de jeûner lorsque vous le voyez, et s'il vous est caché par les nuages, déterminez-le. » (Hadith rapporté dans le recueil de Muslim), ou selon une variante : « Et s'il vous est caché par les nuages, complétez Châbane en comptant trente jours.» (Hadith rapporté dans le recueil d'Al Bukhari).
Est-ce que le prophète Muhammad (PBSL), par ce hadith, indique que la visibilité du premier croissant de la Lune de Ramadan est un moyen exclusif pour déterminer le début et la fin du mois de Ramadan? Ou s'agit-il d'un moyen approprié vers lequel le Prophète (PBSL) a orienté les musulmans sans pour autant leur interdire de recourir à d'autres moyens du moment qu'ils permettent d'aboutir à la même finalité ?
A titre d'exemple, est-il permis d'utiliser des télescopes ou des satellites pour observer le premier croissant de la Lune? Ou d'utiliser le calcul astronomique qui aujourd'hui offre des informations très précises sur le mouvement des astres (Terre, Lune, Soleil,..).
Le Prophète Muhammad (PBSL) a ordonné le début du jeûne après qu'il ait pris connaissance de la visibilité du Hilal sans que lui-même l'ait vu. En d'autres termes l'expression « lorsque vous le voyez » dans le Hadith peut signifier également « lorsque vous aurez pris connaissance ».
Dès le XIV-siècle, le calcul astronomique a fait son entrée dans le droit musulman. En effet, l'Imam Assoubki ([4]) (un des plus illustres imams de l'école chafi'ite) déclarait que toute annonce de vision du premier croissant de la Lune considérée comme impossible par le calcul astronomique est non recevable.
Oumma.com : Un hadith est invoqué à la fois par les opposants et par les partisans du calcul astronomique: « Nous sommes une nation illettrée. Nous n'écrivons pas et ne comptons pas. Les mois sont comme ceci et comme cela, c'est-à-dire 29 jours ou 30 jours » (Recueils de Muslim, et Al Bukhari ». Quelles implications en tire-t-on ?
M.Moussaoui: Pour les opposants, il s'agit là d'un rejet du calcul; les partisans y voient, au contraire, une incitation à recourir au calcul lorsque ce dernier est maîtrisé. C'est la situation du calcul et de l'écriture dans la péninsule arabique au VII siècle qui a conduit le Prophète Muhammad (PBSL) à proposer une règle simple, à la portée de tous, pour déterminer le début du mois ; et en vertu du principe de droit musulman selon lequel « une règle ne s'applique plus, si le facteur qui la justifie a cessé d'exister », la recommandation du Prophète ne s'applique plus aux musulmans, une fois qu'ils ont appris « à écrire et à compter » et ont cessé d'être « illettrés » (voir Qadi Ahmad Chakir [5]).
Rappelons, pour la petite histoire, qu'Ibn Taymiya aussi s'est intéressé à l'utilisation du calcul astronomique, mais en lui fixant un rôle bien délimité : permettre de prévoir de manière fiable à quelle date il serait possible d'observer la nouvelle lune. Il fut déçu quand il se rendit compte que le calcul astronomique de son temps ne permettait pas d'atteindre cet objectif et ne s'y intéressa plus. Il écrivit cependant dans ses fatwas relatives au Jeûne, en commentaire à ce hadith, que les Arabes de son temps ne pouvaient plus être considérés comme illettrés, après les progrès considérables qu'ils avaient fait dans de nombreux domaines des connaissances humaines, y compris ceux des sciences, et de l'astronomie en particulier. D'après lui, si les Arabes se considéraient encore comme illettrés, tant de siècles après les débuts de la civilisation islamique, ce n'était pas une situation dont ils devraient se vanter.
Oumma.com: Vous avez souligné, dans vos articles précédents, que l'usage du calcul dans le rituel religieux islamique n'était pas une nouveauté. Pouvez-vous développer cette idée ?
M.Moussaoui: L'usage du calcul pour déterminer les moments des cinq prières rituelles et leur présentation sous forme de tables annuelles simples d'utilisation n'a jamais suscité de débat ni d'opposition quant à sa conformité avec les principes du droit musulman. Pour chaque jour de Ramadan, le début du jeûne, intervenant au moment de la prière de l'Aube (Al Fadjr) et la rupture du jeûne intervenant au moment de la prière du coucher du Soleil (Al Maghreb), font donc partie de ces moments déterminés aujourd'hui par le calcul. La question du début et de la fin du jour a donc été tranchée sans aucun problème particulier.
L'élaboration du calendrier lunaire, précisant le début et la fin de chaque mois, étant du même ordre, sa conformité avec les principes du droit musulman constitue un fait qui ne devrait pas faire l'objet de contestation.
Comme nous l'avons indiqué plus haut, les musulmans débutent le jeûne de chaque jour de Ramadan à l'aube et le terminent au coucher du Soleil en se référant simplement aux tables (Imsakiyates), basées sur le calcul. Aujourd'hui, personne ne songerait à demander aux musulmans d'observer à l'œil nu la venue de ces deux moments. Pourtant, on aurait pu, pour cela, invoquer le verset coranique « ..., mangez et buvez jusqu'à ce que l'aube vous permette de distinguer le fil blanc (du jour) du fil noir (de la nuit) puis accomplissez le jeûne jusqu'à la nuit » [Coran 2.187].
Oumma.com : A votre avis, qu'est-ce qui est le plus fiable, le calcul ou la vision oculaire ?
M. Moussaoui: Les astronomes arabes ont réalisé de multiples études analyses des déclarations des pays musulmans relatives à la vision du premier croissant de la lune du mois de Ramadan, couvrant des périodes d'environ 50 années entre 1954 et 2007 dans différents pays du Maghreb et du Moyen Orient. Ces études montrent que 80% de ces visions, dans la plupart de ces pays, sont erronées ([9],[10],[13]).
Ces études pointent l'insuffisance voire l'absence dans ces pays de dispositifs d'observations et la prise en compte sans vérifications sérieuses des témoignages recueillis. Ces études montrent également que la concordance entre les données du calcul astronomique et l'observation de la lune est presque parfaite lorsque les dispositifs et les moyens d'observations sont adéquats. Si le Maroc (de même que le Sultana d'Oman), enregistre un taux de concordance entre le résultat du calcul et de l'observation qui avoisine les 100% ([12]), il y a bien une raison. En effet, le Maroc observe la lune sur les douze mois lunaires. Il dispose, pour cela, de plus de 200 commissions étatiques d'observateurs qualifiés, répartis sur l'ensemble du territoire du Maroc et aidés par ses forces armées, alors que d'autres pays reposent essentiellement sur des volontaires et des initiatives individuelles.
D'ailleurs, en 2005, l'Arabie Saoudite et l'Egypte ont débuté le jeûne le 4 octobre 2005 bien que les conditions de visibilité de la lune aient été nettement moins favorables le 3 octobre 2005 que le 8 juillet 2013,
On peut aussi rappeler qu'en l'année 2005, la fête de l'aïd El Fitr, correspondant à la date du «1er chawal 1426 » a été célébrée le mercredi 2 novembre 2005 dans 2 pays (Libye, Nigéria) ; le jeudi 3 novembre dans 30 pays; le vendredi 4 novembre dans 13 pays et le samedi 5 novembre dans 1 pays (Inde). Cette situation, loin d'être exceptionnelle, est plutôt assez fréquente comme le montrent les travaux de Nidhal Guessoum et Karim Meziane ([8]), Nidhal Guessoum, Mohamed el Atabi et Karim Meziane ([9]), Khalid Chraibi ([10],[11]) et Mohammad Chawkat Odeh ([12]).
Les calculs, par contre, permettent aujourd'hui de déterminer avec une quasi-certitude, les données astronomiques nécessaires à la prévision de la visibilité de la Lune, à savoir les moments de la naissance de la lune (conjonction), du lever et du coucher de la Lune et du Soleil. Par contre, ils ne permettent pas de dire avec le même niveau de certitude quel est le temps minimum qui doit s'écouler entre la "conjonction" et le coucher du Soleil ou entre le coucher du Soleil et celui de la lune, pour que celle-ci soit visible. Cela n'enlève rien à l'efficacité du calcul par rapport à l'observation, dont les taux d'erreurs sont considérables.
Ajoutons dans ce contexte que des pays comme l'Arabie Saoudite ou l'Egypte utilisent des méthodes de calcul d'une façon non systématique et sans le dire explicitement. Plus précisément, ils appliquent souvent la règle suivante : « « Le mois lunaire est supposé commencer le soir, où quelque part sur le pays, après la conjonction (naissance de la nouvelle lune), la nouvelle lune se couche après le coucher du soleil (sans précision de la durée)». Or, s'ils avaient appliqué cette règle en 2013, ils auraient débuté le jeûne le 9 juillet 2013.
Par conséquent, que ceux qui s'opposent au calcul comme moyen de décision et optent pour la vision oculaire, expliquent comment ils comptent s'y prendre en France. Quel dispositif comptent-t-ils mettre en place pour couvrir l'ensemble du territoire français ? Avec quels moyens comptent-ils y parvenir ? Comment peuvent-ils réussir là où la majorité des pays musulmans a échoué malgré les moyens étatiques ainsi que les ressources humaines dont ces pays disposent et qui sont infiniment plus grandes que celles de la communauté musulmane de France ?
Ceux qui prétendent respecter la tradition de la vision oculaire de la lune sans se donner les moyens d'y parvenir ne disent pas la vérité aux musulmans de France et très probablement n'ont jamais évalué les difficultés de cette tâche à leur juste mesure.
Par ailleurs, ils doivent expliquer pourquoi ils acceptent l'usage du calcul pour déterminer les moments des prières rituelles quotidiennes, le début et la fin du jeûne pour chaque jour du mois et le refusent catégoriquement pour le début et la fin du mois.
Oumma.com : Est-ce vraiment important pour les musulmans d'avoir un calendrier lunaire qui leur permette de connaitre de manière fiable, à l'avance, les débuts des mois lunaires ?
M.Moussaoui : Aujourd'hui, le calendrier lunaire fondé sur l'observation de la Lune est utilisé par les musulmans, essentiellement, pour déterminer les dates associées à certaines célébrations religieuses (le jeûne de Ramadan, les fêtes religieuses, le pèlerinage, etc..). Pour les autres activités de leur vie c'est le calendrier grégorien qui s'est imposé, y compris dans les Etats musulmans.
Que faut-il comprendre des versets coraniques: « C'est Lui qui a fait du Soleil une clarté et de la lune une lumière, et Il en a déterminé les phases afin que vous sachiez le nombre des années et le calcul (du temps. Allah n'a créé cela qu'en toute vérité. Il expose les signes pour les gens doués du savoir » (Coran 10.5) ?
Sur quelle base, les musulmans acceptent-ils aujourd'hui de reléguer le rôle du calendrier musulman à la détermination du début et de la fin de Ramadan et d'autres célébrations religieuses et d'utiliser le calendrier grégorien pour la gestion des autres aspects de leur vie ?
Il faut bien admettre que le « calendrier » basé sur l'observation de la Nouvelle Lune chaque 29e jour du mois lunaire au coucher du Soleil, ne peut permettre d'associer de date à des jours déterminés au-delà du mois en cours. Cela ne permet évidemment pas de dater par le calendrier lunaire des actions futures.
Le calendrier lunaire basé sur le calcul, par définition même, associe à l'avance des dates à tous les jours et ce pour de nombreuses années. Il pourrait donc servir de moyen de « compter le temps » pour reprendre l'expression coranique et permettre aux musulmans de gérer toutes leurs activités qu'elles soient religieuses, administratives ou commerciales.
Les minorités musulmanes vivant dans des Etats laïcs où le rythme de la vie ne tient pas forcément compte du calendrier musulman, trouvent des difficultés à s'organiser lorsque la décision de débuter le mois intervient au dernier moment. Ces difficultés ne sont probablement pas ressenties de la même manière au sein des pays à majorité musulmane où souvent l'islam est la religion d'Etat et les décisions des autorités religieuses sont immédiatement prises en compte par les administrations et tous les secteurs de la société.
Oumma.com : Le CFCM a-t-il commis des erreurs dans la gestion de ce dossier ?
M.Moussaoui : C'est certain. La première erreur est sans doute le manque de communication autour de sa décision de mai 2013. Les fédérations composantes du CFCM, en signant la résolution du 9 mai 2013 au nom de leurs mosquées affiliées, ont laissé entendre que les fidèles de celles-ci étaient parfaitement informés et en phase avec la décision prise par le CFCM. Force est de constater que ce n'était pas forcément toujours le cas. Ces fédérations auraient dû assurer un travail pédagogique pour accompagner la décision prise par le CFCM et expliquer davantage ses fondements.
La deuxième erreur est d'avoir sous-estimé la capacité de nuire de certains courants hostiles au CFCM qui ont instrumentalisé la situation inédite de cette année où aucun pays arabo-musulman n'a débuté le jeune le 9 juillet 2013. Cette situation, bien qu'elle ait été moins probable compte tenu de l'historique, (voir aussi la comparaison faite plus haut entre 2005 et 2013), devait être prise davantage en compte (voir à ce sujet l'analyse de Haoues Seniguer ([16]).
Le communiqué du CFCM du 9 juillet 2013, annulant sa décision du 8 juillet 2013 n'a fait qu'aggraver la situation, semer la confusion et donner le sentiment que la décision du CFCM n'était pas bien fondée.
Le CFCM manque d'instances de dialogue et d'échange entre les imams, qui sont en premières lignes. Celles-ci, si elles existaient auraient pu jouer le rôle de relais et prendre le devant pour réaffirmer la décision du CFCM avec plus d'efficacité.
Oumma.com : Quelles conclusions tirez-vous de ce dossier ?
M.Moussaoui: Le CFCM par le choix qu'il a opéré le 9 mai 2013 avec l'accord de toutes ses composantes ne prétend pas avoir tranché les débats portant sur le calendrier lunaire. Il a seulement proposé une solution appropriée aux musulmans de France tout en restant conforme aux principes du droit musulman et en tirant profit des données astronomiques. Le CFCM a lancé la réflexion sur la problématique du calendrier en septembre 2008, a acté le principe du calcul astronomique en juin 2012, et a pris sa décision finale en mai 2013. L'observation locale de la Lune a montré ses limites et ses insuffisances dans la plupart des pays musulmans et les musulmans de France n'ont pas les moyens nécessaires pour l'assurer sur le territoire français.
Le calcul astronomique est déjà utilisé pour déterminer les heures de prières rituelles ainsi que le début et la fin du jeûne pour chaque jour. Malgré les erreurs commises par le CFCM dans sa mise en œuvre pour l'élaboration du calendrier lunaire, il reste le moyen le plus fiable et le seul à même de permettre aux musulmans de France de mieux s'organiser.
16 juillet, 2013
Source : Oumma.com