La tempête politique déclenchée par la reconduite à la frontière d'une collégienne kosovare, le 9 octobre dans le Doubs, illustre les difficultés de Manuel Valls dans le constant exercice d'équilibrisme entre "humanité" et "fermeté" qu'il a choisi de pratiquer en matière de politique d'immigration depuis son arrivée place Beauvau.
Après avoir été annoncé pour l'été 2013, le projet de loi immigration ne sera examiné qu'en 2014 – peut-être même après les élections municipales de mars. En attendant, M. Valls a multiplié les annonces et les circulaires pour ajuster la politique définie par les gouvernements précédents.
Le 28 juin 2012, dans un entretien au Monde, le nouveau ministre de l'intérieur estimait que "la politique de Nicolas Sarkozy a été marquée par des coups de menton et par l'idée que l'immigré était responsable des problèmes des Français". Parallèlement, il annonçait qu'il "n'y [aurait] pas de régularisation massive des sans-papiers" car pour lui, "être de gauche, ce n'est pas régulariser tout le monde et se retrouver dans une impasse". Tout le programme du ministre en matière d'immigration se trouvait contenu dans cette réponse en deux temps.
"Circulaire Guéant" et délit de solidarité. A son arrivée place Beauvau, en mai 2012, le nouveau ministre de l'intérieur s'attaque d'abord aux symboles. Il s'attache à "détricoter" des mesures phares mises en place par ses prédécesseurs et qui cristallisaient le mécontentement d'une partie de la gauche. La "circulaire Guéant", qui limitait les possibilités pour les étudiants étrangers ayant effectué leurs études en France de travailler dans l'Hexagone à l'issue de leur cursus, est supprimée dès le 31 mai 2012, conformément aux engagements du candidat Hollande.
En septembre, la suppression du "délit de solidarité" est annoncée, donnant satisfaction aux associations d'aide aux sans-papiers qui y voyaient un moyen d'"intimidation" des policiers et des parquets.
Rétention des enfants. Manuel Valls annonce en juin 2012 que "tout est mis en œuvre pour mettre un terme" au placement en rétention des familles avec enfants, qui "ne se fera plus que pour celles qui n'auront pas respecté leur assignation à résidence ou ne se seront pas présentées à l'embarquement en cas d'expulsion". Mais pour l'association Réseau éducation sans frontière (RESF), le compte n'y est pas : onze familles, soit une trentaine d'enfants, auraient été placées en centre de rétention depuis mai 2012, "alors que François Hollande avait promis qu'il n'y en aurait aucune".
Aide au retour. Le 7 décembre, le ministre de l'intérieur annonce la fin de l'aide au retour offerte aux Roms qui acceptaient de rentrer dans leur pays d'origine. Les sommes allouées à ce dispositif, jugé "inopérant", sont transférées à destination de projets d'insertion en Roumanie ou en Bulgarie.
Expulsions. La disparition de ce dispositif d'aide au retour devrait probablement entraîner une baisse du nombre d'expulsions en 2013. En 2012, 36 822 personnes en situation irrégulière avaient été reconduites à la frontière. Le 8 octobre, le ministère de l'intérieur annonce que le nombre total d'éloignements d'étrangers en situation irrégulière au 31 août 2013 est de 18 126. Une "forte baisse anticipée" et "assumée" par le gouvernement, les retours aidés ayant contribué à "gonfler artificiellement les statistiques de l'éloignement".
"Le chiffre des éloignements contraints devrait se maintenir en 2013 au niveau enregistré en 2012", assure la place Beauvau. Quant au nombre total de filières d'immigration clandestine démantelées en 2013, il "devrait atteindre un record historique".
Objectifs chiffrés. Manuel Valls se montre plus réservé sur l'utilisation d'objectifs chiffrés de reconduites à la frontière, comme le faisaient ses prédécesseurs. "Je ne jugerai pas l'action des préfets sur la base du nombre de reconduites exécutées, déclare-t-il au Monde en juin 2012. Cela a trop pesé sur le travail du corps préfectoral. Ça ne veut pas dire qu'il faut casser le thermomètre, mais cela fera l'objet d'un travail d'évaluation dépassionné."
Naturalisations. Le 25 juillet, Manuel Valls annonce qu'il reviendra sur "les critères de naturalisation introduits subrepticement par [son] prédécesseur", Claude Guéant, qui avait durci les conditions d'accès à la nationalité française. La loi prévoyait que le candidat à la nationalité française devait acquérir un niveau de langue équivalent à celui d'un élève de 3e, démontrer une connaissance de la culture et de l'histoire de France et signer une charte "des droits et des devoirs du citoyen". Elle devait entrer en vigueur le 1er juillet, mais ne sera finalement pas appliquée.
Visas. Le 21 mars, une circulaire est adressée à l'ensemble des consulats pour leur demander davantage de souplesse dans l'analyse des dossiers, en particulier ceux des hommes d'affaires, des scientifiques et des artistes.
Campements illégaux de Roms. Au risque de heurter une partie de son camp, c'est sur la question des Roms que Manuel Valls marque le plus fortement sa volonté de fermeté. "Les Roms ont vocation à rester en Roumanie ou à y retourner", déclare-t-il le 14 mars 2013, ajoutant que "plus que jamais, ces démantèlements [de camps de Roms] sont nécessaires et se poursuivront".
La circulaire interministérielle publiée le 29 août 2012 donnait bien un cadre relativement précis aux préfets sur la façon dont les campements illégaux devaient désormais être démantelés, mais les expulsions se sont poursuivies au même rythme que sous Nicolas Sarkozy. Au premier semestre 2013, 10 174 migrants roms "ont été chassés des squats et bidonvilles", soit "un nombre jamais atteint depuis le début des recensements en 2010", dénonce l'ONG Amnesty International en septembre 2013.
16/10/2013, François Béguin
Source : LeMonde.fr