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Nouveaux regards sur les migrations féminines

Les femmes ont toujours été présentes sur les chemins de la migration. Aujourd’hui, nombre d’entre elles s’embarquent dans cette aventure sans compagnon. Une fois arrivées en France, ces migrantes subissent de plein fouet les violences et discriminations sexistes, tout en bénéficiant par ailleurs d’une relative clémence de la part des autorités.

La migration n’a pas de sexe. Hommes et femmes voyagent, quittent leur pays, cherchent un ailleurs plus favorable, sans distinction de genre. La gente féminine représente ainsi 49 % des migrations mondiales, du nord au sud, et du sud au nord. Moins visibles que leurs homologues masculins, les femmes ont pourtant toujours été là. En France, elles sont même majoritaires. Un chiffre qui « ébranle nos représentations »1, rappelle La Cimade, et qui brise l’idée selon laquelle les flux migratoires seraient essentiellement formés par des hommes, originaires de pays du Sud. Fait récent, les femmes sont de plus en plus nombreuses à migrer seules, ce qui bat également en brèche les prétendus effets amplificateurs du regroupement familial, instauré en 1974… Dans l’Hexagone, désormais, quatre migrants sur dix laissant un conjoint derrière eux sont des femmes, sans compter celles qui partent célibataires. « La scolarisation croissante des femmes dans leur pays d’origine et leur accès à l’enseignement supérieur jouent sans doute ici un rôle déterminant, analysent Cris Beauchemin, Catherine Borrel et Corinne Régnard, membres de l’Institut national d’études démographiques et de l’Institut national de la statistique et des études économiques2, dans un article publié récemment. Les femmes migrantes sont aujourd’hui remarquablement similaires aux hommes, tant du point de vue du statut administratif que de la situation matrimoniale à l’arrivée. Au fond, la féminisation de la population migrante témoigne d’une mutation profonde du régime de migrations en France, dont le fait marquant est moins la montée des migrations familiales que la diversification des profils féminins. »

Différence de traitement

Pour les femmes non plus, la migration n’a rien d’un chemin pavé de roses... Sur la route, par les passeurs ou leurs auxiliaires, les femmes sont particulièrement mal traitées, et subissent davantage de violences, parfois d’ordre sexuel. Les femmes partent pour fuir pauvreté, régimes instables et conflits armés, mais aussi pour échapper aux violences ou discriminations spécifiques à leur sexe. 34 % des demandes d’asile en France en 2011 ont été déposées par des femmes. Elles doivent enfin composer avec des règles de plus en plus restrictives pour obtenir un titre de séjour. Une fois arrivées en France, nombreuses sont celles qui entrent dans la clandestinité, faute d’obtenir des papiers, ce qui les rend, davantage que les hommes, vulnérables aux mauvais traitements. Hormis celles qui sont victimes des réseaux de traite, une large majorité des prostituées en France sont étrangères, seules, précaires et sans-papiers. Malgré leur nombre et ces conditions de vie difficiles qui les exposent, les femmes sont étonnamment beaucoup moins représentées que les hommes en centre de rétention (8,1 % en 2011), où elles subissent par ailleurs des atteintes spécifiques (voir encadré). Cette sous-représentation s’explique au regard des chiffres concernant la population française dans son ensemble : les femmes sont moins contrôlées au faciès que les hommes ; 16,7 % seulement des personnes, mises en cause par les services de police français, sont des femmes selon le dernier chiffre de l’Observatoire national de la délinquance ; enfin, les femmes ne représentent que 3,3 % des détenus au 1er janvier 2013. Si les femmes sont moins souvent impliquées que les hommes dans des activités illégales, la justice est également plus clémente vis-à-vis du sexe féminin, préférant à l’enfermement, le sursis, les amendes ou les peines aménagées.

Double discrimination

Le pourcentage de femmes seules et diplômées qui migrent augmente lui aussi régulièrement, mais rares sont celles qui trouvent un emploi correspondant à leur niveau de qualifications. Elles font ainsi face à une double discrimination, comme le souligne un article d’Alternatives économiques de mai 2013 : étrangères, on ne reconnaît pas leurs compétences, leur savoir-faire et leurs formations ; femmes, elles subissent les clichés auxquels leur genre est associé et se retrouvent largement cantonnées à des tâches domestiques (nounous, garde-malade, femmes de ménage, etc.) Un phénomène qui rejoint l’explosion des services à la personne dans les pays du nord, en France comme dans le reste de l’Europe. La conséquence de ces emplois mal rémunérés, souvent à temps partiel et peu structurés, est une grande précarité et une forme d’isolement. « Ceci est vrai pour les femmes immigrées dans leur ensemble, mais plus encore pour les femmes étrangères en situation irrégulière pour qui il est très difficile d’obtenir des papiers faute de preuves légales de leur travail », relève La Cimade. Ce déclassement est souvent mal vécu, surtout lorsque les migrantes laissent derrière elles des parents, un ou des enfants, qu’elles confient à leur tour, formant ce que la chercheuse en sciences politiques Caroline Ibos appelle « la chaîne du care 3 ». Mais « à certains égards, l’émergence d’un marché mondial du soin d’autrui semble libérer des trajectoires. Ainsi, les femmes, qui migrent seules pour gagner leur vie à l’autre bout du monde, s’affranchissent de la tutelle masculine. Et si ces femmes semblent en situation de subordination dans la société occidentale où elles travaillent, elles acquièrent un tout autre statut dans leur société d’origine. ». Ce qui, selon la chercheuse, contribue à adoucir une vie solitaire, essentiellement consacrée au travail, et « à reconfigurer les relations entre les sexes ».

Vecteurs d’intégration ?

Depuis une petite décennie, les femmes sont également légèrement plus nombreuses que les hommes à accéder à la nationalité française. Là encore, leur traitement diffère. Les documents officiels, encadrant la politique d’immigration, insistent tous sur la nécessité de « s’appuyer » sur les femmes, et de cibler plus particulièrement cette population, au même titre que les jeunes, les personnes âgées ou les réfugiés... Considérées comme plus responsables et plus impliquées, elles sont aussi légèrement plus nombreuses à signer des Contrats d’accueil et d’intégration. Pour les autorités comme pour le secteur parapublic ou associatif, les femmes sont un « vecteur d’intégration ». Une position à double tranchant, alors même que l’immigration sélective fait débat. « L’avenir de l’ “immigration choisie” laissera une place importante à l’ “importation” de femmes seules. Ces évolutions en cours pourraient très rapidement nous conduire à revoir nos modes d’intervention liés aux rapports sociaux de sexe, décortiquait finement Emmanuel Blanchard dans un article paru dans la revue Plein droit du Gisti, en 2007. Il se pourrait ainsi qu’à brève échéance, on doive défendre le regroupement familial pour qu’en pratique il s’applique également aux conjoints et non aux seules conjointes. » Un sacré pied de nez aux clichés.

17/10/2013, M. G

Source : Médiapart

 

 

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