Le pire, en politique, est de donner l'impression de ne rien maîtriser. C'est ce qui arrive à la gauche, entraînée à quelques semaines de distance dans deux polémiques sur le sujet ultrasensible de l'immigration. Il y a d'abord eu l'affaire des Roms qui a débouché sur la joute Valls-Duflot : une opposition frontale entre deux ministres, l'un socialiste, l'autre écologiste, et qui a mis à mal l'autorité présidentielle parce que aucun des deux n'a en réalité fait machine arrière.
Il y a désormais l'affaire Leonarda, l'expulsion sans gants d'une jeune collégienne kosovare qui trouble les esprits et plonge le Parti socialiste et ses satellites dans une vraie crise de conscience. Certains élus, comme Ségolène Royal, assument en rappelant que l'immigration clandestine menace les plus faibles et qu'il faut accepter ces reconduites aux frontières. D'autres, comme Claude Bartolone, condamnent en invoquant les valeurs de la gauche.*
Exactement comme dans l'affaire des Roms, Jean-Marc Ayrault tente de tenir les deux bouts du débat – fermeté et humanité –, mais sans parvenir à calmer les esprits car, en réalité, le compromis jospinien sur lequel vivait la gauche plurielle a vécu. Le point d'équilibre est rompu car une pression de plus en plus forte s'exerce en faveur de la fermeté sous le triple effet de la crise économique, de la poussée migratoire et de la montée du populisme.
UNE PARTIE DE L'ÉLECTORAT RÉCLAME DES FRONTIÈRES
Sur la sécurité comme sur l'immigration, la gauche est soumise à la demande de plus en plus exaspérée d'une partie de l'électorat qui réclame des frontières, des repères, des protections. Ce sont les électeurs les plus exposés à la crise, ceux auxquels elle se doit de répondre en priorité puisque la justice et l'égalité républicaine fondent son action.
Ne pas leur répondre serait une faute lourde, mais les combler est une déchirure car la gauche est internationaliste. Elle se méfie des frontières. Elle souffre d'assister à ce grand repli national qui coïncide avec une inquiétante panne d'Europe. Elle est d'autant plus troublée que la droite gouvernementale a connu avant elle la même pression et les mêmes débats avec l'issue que l'on sait : une défaite à l'élection présidentielle, sans que les fanions bleu-blanc-rouge qui saturaient l'espace des salles de meeting de Nicolas Sarkozy aient empêché les progrès du Front national, devenu le réceptacle du malaise national.
Si Manuel Valls assume sans états d'âme sa politique de reconduite aux frontières, une partie de la gauche craint réellement d'avoir déjà perdu son âme. Elle ne voit plus ce qui la distingue de la droite. Elle ne sait pas à quelle doctrine se raccrocher. Aucun espace n'est disponible pour reformuler une offre.
C'est le désert au PS et le silence à l'Elysée, où le président guette l'arrivée de jours meilleurs pour tenter de reprendre la main. Avec le risque que, d'ici là, une nouvelle polémique éclate au sein du gouvernement. Elle ne résulterait pas seulement d'un manque endémique de discipline, mais aussi d'un vrai trouble des consciences.
17.10.2013 , Françoise Fressoz
Source : LE MONDE