mercredi 6 novembre 2024 00:22

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RUSSIE. Aux origines de la xénophobie

 

La banlieue sud de Moscou s'est enflammée lundi après le meurtre d'un Russe par un "non-slave". En cause, la pression migratoire doublée d'une attitude ambiguë vis-à-vis de l'ultranationalisme.

Les violentes émeutes xénophobes qui ont enflammé un quartier de la banlieue sud de Moscou, lundi 14 octobre, sont la conséquence d'un double phénomène : une pression migratoire accrue qui renforce les sentiments anti-immigrés ainsi qu'une tolérance des autorités russes face aux groupes ultranationalistes.

Les "vrais" Russes aiment parfois se faire appeler "russiens" pour marquer qu'ils sont slaves, blanc et chrétiens orthodoxe (près de 80% de la population). Quant aux autres citoyens de nationalité russe n'ayant pas ces qualités, ils sont souvent considérés comme des étrangers dans leur propre pays.

Et les originaires du Caucase, souvent musulmans, sont volontiers qualifiés de "culs noirs". Quant aux ressortissants d'Asie centrale, qui étaient, il y a à peine plus de 20 ans, des citoyens soviétiques comme les Russes, ils sont aujourd'hui considérés comme de parfaits étrangers.

Dans la nouvelle Russie, le racisme ordinaire fait des ravages, alimenté par la pression migratoire venue du Caucase mais aussi d'Asie centrale sur un pays en grave crise démographique et donc en manque de main d'œuvre. Etouffé sous l'Union soviétique mais parfois utilisé et manipulé par des raisons de basses politiques, le racisme n'a jamais été frontalement combattu. Et il a naturellement resurgit après la chute de l'URSS.

Très virulent du temps des Tsars, où les pogroms étaient monnaie courante, instrumentalisé par Staline, le "petit père des peuples" qui est toujours considéré par beaucoup comme un héros national, un antisémitisme de bon aloi continue aussi de prospérer bien que la communauté juive ait massivement émigré vers Israël ou les Etats-Unis. C'est le phénomène de "l'antisémitisme sans Juifs".

La Russie, multiethnique et multiconfessionnelle

Beaucoup plus nombreuses et visibles à Moscou et dans les grandes villes, les communautés originaires du Caucase et d'Asie centrale sont donc devenues les nouveaux boucs émissaires, la cible et le défouloir de toutes les frustrations d'une partie de la population qui ne bénéficie pas d'une croissance économique très inégalement répartie.

Selon le centre Sova d'information et d'analyse sur le nationalisme et le racisme, un meurtre raciste, et souvent impuni, serait commis au moins tous les 10 jours dans la Fédération de Russie.

Face à cette situation, les autorités russes ont une attitude ambiguë. Tout en surfant sur un nationalisme russe qui l'a propulsé au pouvoir, le président Vladimir Poutine rappelle régulièrement que la Russie est un pays multiethnique et multiconfessionnel. Avec plus de 30 millions de musulmans, "non slaves" pour la plupart, pour 143 millions d'habitants, le Kremlin ne peut se permettre mener un politique ouvertement xénophobe, qui lui aliénerait une bonne partie de l'électorat.

Navigant à vue dans les eaux troubles de l'ultranationalisme, le président russe multiplie les signaux contradictoires. Il s'affiche un jour avec les muftis et semble adopter, le lendemain, la rhétorique sinon l'idéologie "Grand Russe" d'une partie importante de l'Eglise orthodoxe.

Ce qui est certain, malgré quelques récentes arrestations, c'est que les autorités font preuve de beaucoup de tolérance face à des groupes ultranationalistes qui pullulent. Les manifestations de ces formations racistes sont rarement réprimées alors que celle de l'opposition dite "démocratique" sont souvent violemment étouffées.

Mais dans ce domaine, l'opposition qualifiée de "libérale" ne fait guère beaucoup mieux, puisqu'elle compte des partis xénophobes et que son leader, Alexeï Navalny, fut l'un des organisateurs d'un des grands moments ultranationaliste à Moscou, la "Marche russe", dont il semble s'être cependant récemment éloigné.

La dure législation sur le séjour des immigrés

Quoiqu'il en soit, il existe un assez large consensus "national" dans la société russe pour faire payer aux "étrangers" tous les maux de la "Nouvelle Russie". A cet égard, la réaction de la police après ces émeutes est parlante. Certes, près de 400 personnes ont été arrêtées pour avoir participé aux destructions. Mais, pour l'instant, les milieux ultranationalistes, qui semblent à l'origine de ces troubles, ne semblent pas particulièrement visés.

Au contraire, c'est ensuite plus de 1.200 immigrés qui ont été raflés par les forces de l'ordre, officiellement afin de retrouver l'auteur "non slave" de l'assassinat d'un jeune "russe ethnique", assassinat qui a mis le feu aux poudres. Certes les descentes de police dans les milieux immigrés à Moscou ne sont pas une nouveauté. Car ceux-ci sont accusés d'être les principaux responsables de la criminalité.

Ces accusations, reprises par tous les candidats, ont été l'un des thèmes principaux de la campagne électorale de septembre pour la mairie de Moscou, ce qui a peut-être contribué à récemment échauffer les esprits. Même si certains immigrés, parfois réduits à la misère, s'adonnent à la délinquance et au crime, les statistiques montrent que les étrangers ne commettent pas plus d'actes répréhensibles que les autres, si l'on exclue, bien sûr, les infractions à la législation sur le séjour des immigrés. Celle-ci est particulièrement dure à Moscou, même pour les "vrais Russes", puisque pour habiter légalement dans la capitale russe, il faut toujours une autorisation spéciale de résidence ("propiska"), un système hérité du totalitarisme communisme.

La nécessité d'une immigration

Pas tous des "criminels" donc, les étrangers sont récemment devenus très nombreux en Russie. Les émeutes mettent ainsi en lumière une autre faiblesse de la "Grande Russie" : la profonde crise démographique qui frappe le pays, malgré une récente et fragile stabilisation, et qui créé un appel d'air pour la main d'œuvre étrangère.

Priorité des autorités, cette crise démographique est la conséquence d'un faible taux de natalité mais surtout d'un taux de mortalité digne d'un pays du Tiers Monde, conséquence notamment de l'alcoolisme chez les hommes, lui-même souvent engendré par le malaise dû à une brutale transition vers une économie de marché débridée.

Alors qu'elle souffre de ces traumatismes et de ce mal-être, la Russie n'a cependant pas d'autres choix que de faire appel à une immigration assez massive pour assurer son développement et faire face à un taux de croissance jusqu'à récemment très élevé.

La main d'œuvre étrangère se concentre dans les grandes villes de la Fédération. Elle est employée principalement dans les secteurs de la confection, les marchés, la vente de légumes (spécialité caucasienne) ainsi que dans la rénovation et la construction qui ont connu un boom après les années de décrépitude et de stagnation soviétique.

C'est donc la collision entre ce besoin d'étrangers et la crise sociale et politique que connait le pays qui mène à la montée de l'ultranationalisme et des actes xénophobes. Racisme ordinaire, démagogie politique, profondes inégalités sociales, pauvreté d'une importante partie de la population, crise démographique, les maux de la Nouvelle Russie sont un terrain hautement inflammable.

15-10-2013, Jean-Baptiste Naudet

Source : Nouvel Observatoire

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