dimanche 24 novembre 2024 16:49

Le « grand remplacement » : l’idée raciste qui se propage

Zemmour, Rioufol et la famille Le Pen utilisent l’expression. Celle-ci dénonce le prétendu « remplacement » du peuple français par d’autres peuples. Décryptage.

 « Le grand remplacement », l’expression qui dénonce le prétendu « remplacement » du peuple français par d’autres peuples, plaît depuis longtemps dans les milieux d’extrême droite. Grâce aux éditorialistes Eric Zemmour ou Ivan Rioufol et à la famille Le Pen, elle occupe de plus en plus d’espace médiatique.

Le concept a été théorisé par Renaud Camus, écrivain doué, ancien militant gay dandy loufoque, qui a adopté une vision du monde raciste et paranoïaque.

Depuis dix ans, l’écrivain habite dans un château médiéval du Gers, dont il monte et descend l’escalier en colimaçon, en se plaignant des problèmes de chaudière. Il regarde, de sa tour de pierre, la France disparaître sous les vagues migratoires.

« Les exigences de regards baissés »

C’est au milieu des années 90, à Lunel (Hérault), petite ville fortifiée et « ronde », qu’il a pris conscience du phénomène et qu’il a conçu l’expression. Dans son texte « Le Grand Remplacement » (Ed. David Reinharc, 2011), il écrit :

« En traversant cette zone littorale de l’Hérault, ce que je voyais était différent des problèmes des cités […]. Aux fenêtres et sur les seuils de ces très vieilles maison, une population inédite […]. Comme si pendant le temps de notre vie, et moins encore, la France était en train de changer de peuple. »

Selon lui, les immigrés sont en grande partie responsable de la « nocence » (atteinte à la nature et à la qualité de vie). Cela va du « vol à main armée » aux « exigences de regards baissés ».

« Ne vous y trompez pas, cependant. Ce n’est pas à des voyous que vous avez affaire : c’est à des soldats. Enfin si, ce sont bien des voyous, mais ces voyous sont une armée, le bras armé de la conquête. Peu importe qu’ils en soient conscients ou pas, et d’ailleurs je pense qu’ils le sont bien plus qu’on ne le croit. »

Pour contrer cette « contre-colonisation » rendue possible par une « grande déculturisation », Renaud Camus ne conseille pas aux Français « de souche », comme Marine Le Pen l’a appelé récemment, de faire des enfants. Lui est contre la « prolifération de l’homme ».

« Ménage militaire »

Il veut creuser l’écart des droits entre les « citoyens » et les « non-citoyens » et il préconise l’inversion des flux migratoires.

« Je me suis fait taper sur les doigts, j’en ai l’habitude, pour avoir parlé de nettoyage ethnique, à ce propos. Très bien, nous ne voulons fâcher personne : parlons simplement de ménage, de ménage militaire. »

Voilà : une vision du monde non démontrée (voir encadré ci-contre), sortie de son imagination.

Sauf que Renaud Camus a du talent. Sa thèse est bien énoncée et elle accompagne une perception du monde spécifique.

Comme les femmes enceintes ne voient plus que des femmes enceintes dans la rue, d’autres passent leur temps à repérer les arabes. Grâce à Renaud Camus, leur regard devient légitime et ils ont un mot pour avoir peur.

L’expression s’est épanouie dans les milieux d’extrême droite. D’abord chez les identitaires, dont Renaud Camus est proche – il a dit toute son admiration aux jeunes ayant squatté la mosquée de Poitiers, dans un discours prononcé à Orange. Sur Twitter, le jeu des militants consiste à poster des photos de femmes voilées et à y accoler le « hashtag » (mot-clé) #GrandRemplacement.

Depuis quelques mois, elle prend une autre ampleur.

Elle accompagne probablement la politique de Robert Ménard, maire de Béziers (Hérault), qui est une fréquentation et qui ne cesse de se rapprocher de la mouvance identitaire – encore plus radicale que le FN.

Grâce au duo de journalistes du Figaro, Ivan Rioufol et Eric Zemmour, elle a fait son entrée dans les médias traditionnels.

Zemmour : « Ils nous ont remplacés »

Ivan Rioufol, dans Le Figaro, en juin 2013 :

« Illustration du “grand remplacement” : la crèche Baby Loup qui voulait interdire le voile à son personnel, va devoir quitter Chanteloup-les-Vignes pour fuir les intégristes. »

(Note : l’histoire est un peu plus compliquée que ça.)

Ivan Rioufol, dans Le Figaro, en septembre 2013 :

« Quelle France voulons-nous ? La question n’a jamais été tranchée par ceux qui la dirigent depuis 40 ans. Droite et gauche ont accompagné passivement un débordement des frontières qui a attiré un peuplement nouveau. Pas endroits, il rend le pays méconnaissable. Il est loisible de parler de Grand Remplacement. »

(Note : des majuscules sont apparues et les guillemets sont partis, rendant l’expression beaucoup plus flippante.)

A chaque fois qu’il peut, Ivan Rioufol emploie l’expression (on la lit encore dans un édito à propos de l’affaire Leonarda, en octobre 2013).

Eric Zemmour se charge, quant à lui, de la populariser à la télévision. Il utilise l’expression lors de ses face à face avec Nicolas Domenach sur i>Télé. Comme ce jour-là :

« Dans tous les endroits où j’ai grandi (à Drancy, Montreuil, Stains, XVIIIe arrondissement de Paris), le grand remplacement a opéré. C’est la réalité qui gagne. Dans tous les endroits où j’ai grandi, ils nous ont remplacés. »

Eric Zemmour dans son face à face avec Nicolas Domenach, sur i>Télé

La famille Le Pen s’y met

L’expression apparaît également, de plus en plus, dans les sphères frontistes. Fin mai, lors d’un meeting, Jean-Marie Le Pen a expliqué que la France et l’Europe connaissaient « une invasion migratoire » risquant « de produire un véritable remplacement des populations » françaises par des extra-européens en « grande partie » musulmans.

En meeting à Lens (Pas-de-Calais), la présidente du FN, Marine Le Pen, a elle défendu une « politique nataliste » face à une « immigration considérable ».

Lors d’un débat avec Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du Parti socialiste, elle a ajouté :

« Il suffit d’aller dans la rue pour voir le problème de l’immigration. »

Cette nouvelle lubie n’est pas étonnante. Son nouveau chef de cabinet et nouvelle plume, Philippe Martel, est converti à la thèse de Renaud Camus.

Le président des Jeunes avec Marine Le Pen, Julien Rochedy, utilise également l’expression dans des communiqués.

Elle est en train de devenir si banale que même la Droite populaire s’y met. Sur Twitter, le maire UMP d’Etampes (Essonne), Franck Guiot, déjà connu pour son hostilité envers les Roms, y a fait plusieurs fois référence.

11/6/2014, Renaud Camus

Source : nouvelobs.com

 

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