Face à l'afflux des migrants, l'Europe choisit une politique migratoire d'externalisation qui fait des pays africains un bouclier.
Huit mois après la tragédie de Lampedusa d'octobre 2013 qui a coûté la vie à près de 400 personnes, l'afflux de migrants clandestins continue, et les drames se succèdent en Méditerranée. Excédée, la Sicile demande à l'Union européenne de s'impliquer davantage. L'Italie supporte presque seule l'opération militaire et humanitaire de sauvetage en mer, Mare Nostrum, lancée après le drame de Lampedusa. Une opération qui coûte 9 millions d'euros par mois à l'Italie et pour laquelle l'Europe a débloqué une enveloppe de 30 millions.
La Libye menace de "faciliter" le transit des clandestins
De son côté, la Libye ne veut plus être le garde-côte de l'Europe. En mai dernier, le ministre libyen de l'Intérieur par intérim, Saleh Maze, a menacé l'Europe de "faciliter" le transit des clandestins, si l'Union européenne n'aidait pas son pays à contrôler les flux. Entre le Maroc et les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, seul point de passage terrestre pour les migrants clandestins, les dispositifs se durcissent. Selon les témoignages d'ONG marocaines, le royaume chérifien aurait entamé ces dernières semaines la construction de sa propre frontière grillagée. "Des barrières hautes de cinq mètres qui seront surmontées de lames", avance Chakib Khyari, président de l'association Rif des droits de l'homme. Le territoire espagnol est déjà protégé par une triple barrière grillagée haute de sept mètres.
Une task force pour la Méditerranée, le signe d'une externalisation de la politique migratoire
À la suite de la tragédie de Lampedusa et dans la perspective du programme post-Stockholm, l'Union européenne a décidé la mise en place d'une task force pour la Méditerranée, une structure chargée de mettre l'accent en priorité sur le renforcement des frontières extérieures de l'UE et la coopération avec les pays tiers. Une orientation qui affirme plus encore l'externalisation de la politique migratoire européenne et suscite les critiques pour son approche essentiellement sécuritaire. "Nous sommes extrêmement réservés et dubitatifs par rapport au principe même de la task force et à son contenu. [...] Elle coopère ou envisage des coopérations avec des États dont le bilan en matière de respect des droits humains des migrants et des réfugiés n'est pas du tout satisfaisant, ni en théorie ni en pratique. Cela nous pose un certain nombre de problèmes. J'ai découvert avec stupeur que l'Union européenne délivrait des fonds dans ce cadre à l'Érythrée. Ça, c'est vraiment une ligne rouge qui ne devrait pas être franchie", souligne Jean-François Dubost, responsable du programme Personnes déracinées à Amnesty International France.
Des centres de traitement envisagés en Afrique du Nord
L'Union européenne envisage également de créer des centres de traitement en Afrique du Nord, notamment en Libye et en Égypte, pour gérer les flux de migrants et les demandes d'asile, mais qui font craindre de nouvelles violations des droits humains. "Ce sont des centres réhabilités dans lesquels il y a eu des mauvais traitements, de la torture, des détentions arbitraires", s'alarme Jean-François Dubost. "Nous ne sommes pas totalement contre le fait d'externaliser le processus si certaines garanties sont en place : le droit de faire appel, le droit à un procès équitable, le droit de rester sur le territoire durant la procédure d'appel", a indiqué au Guardian Vincent Cochetel, directeur pour l'Europe du HCR. Mais, en Libye, l'État de droit est fragile et le pays, toujours en proie à la violence. Concernant les migrants, peu de choses ont changé depuis l'ère Kadhafi.
L'accent sur l'interception et le sauvetage en mer
Outre la coopération avec les pays tiers, la task force pour la Méditerranée devrait mettre l'accent sur les opérations d'interception et de sauvetage en mer. "Le plus bel exemple, c'est l'opération Mare Nostrum portée par l'Italie, avec certes un appui financier de l'UE, mais sans aucun soutien politique. [...] Il faut clarifier et européaniser les règles d'intervention et de sauvetage en mer. Et puis savoir ce que deviennent les migrants qui sont interceptés ? Pour nous, ils sont sous la juridiction des États membres de l'UE et doivent être débarqués sur le territoire européen. Qu'ensuite ils soient renvoyés, s'ils ne peuvent prétendre à un statut de réfugiés. En tout cas, qu'il n'y ait pas d'hypothèse de renvoi vers les pays de la rive sud de la Méditerranée", indique Jean-François Dubost d'Amnesty France. Une position qui va à l'encontre des accords de réadmission de migrants clandestins contre la délivrance de plus de visas, actuellement discutés avec certains des pays du sud de la Méditerranée, comme le Maroc et la Tunisie.
En 2013, 40 000 migrants ont transité par la Libye
Selon le dernier rapport sur l'analyse des risques de Frontex, l'agence chargée de surveiller les frontières extérieures de l'Union européenne, la voie principale pour entrer en Europe reste la route centrale de Méditerranée. En 2013, plus de 40 000 migrants ont ainsi transité par la Libye, à destination du sud de l'Italie et de Malte. Via l'Algérie et le Maroc, les flux ont augmenté de 7 % avec 6 800 personnes détectées, dont les deux tiers venant d'Afrique subsaharienne. Au total, en 2013, les entrées illégales en Europe ont augmenté de 48 %, avec plus de 107 000 migrants, en raison principalement de l'afflux de ressortissants érythréens, syriens, somaliens et afghans. L'année 2014 s'annonce critique. L'UE et le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés notent un accroissement massif des arrivées en Italie, mais aussi une pression accrue en Espagne et en Grèce. L'arrivée de l'été, qualifiée de "saison des boat people", fait craindre une catastrophe humanitaire.
21/06/2014, Christelle Marot
Source : lepoint.fr