Les économistes pressent l’exécutif d’envisager une ouverture des frontières aux étrangers. Mais les élus et l’opinion publique rechignent.
Cette semaine, à la station de métro Korakuen de Tokyo, une affiche du ministère de la Justice japonais prévient en 7 langues – et notamment en tagalog (philippin), en anglais, en coréen ou en chinois –, que le « faux mariage est un crime », passible de cinq ans de prison. L’affaire serait grave. Chaque année, la police découvrirait, dans tout le pays, quelque… 200 cas de mariages blancs facilitant l’obtention d’un permis de résidence à un étranger qui aurait dû, sinon, quitter le territoire.
Mais l’immigration est un sujet extrêmement sensible dans un Archipel où seulement 1,6 % des 127 millions d’habitants sont étrangers et où l’opinion publique reste globalement convaincue que l’harmonie de la nation s’est construite sur l’extrême homogénéité de sa population. Taro Aso, l’actuel ministre des Finances, saluait en toute impunité, il y a quelques années, le Japon comme « une nation, une civilisation, un langage, une race ».
Pourtant, ces dernières semaines, même les élites les plus conservatrices ont dû se repencher sur cette thématique taboue. Et Shinzo Abe, le Premier ministre, vient d’annoncer, dans le cadre de son plan de revitalisation de l’économie , baptisé « Abenomics », que le pays allait probablement accepter l’installation temporaire d’un peu plus de travailleurs étrangers. Il n’y en a actuellement que 717.504 sur le territoire, soit 1,1 % de la population active. « Les gens ne sont pas favorables à l’immigration, mais l’ouverture d’un débat, qui durera probablement longtemps, devrait montrer que le pays n’a, en fait, plus d’autre choix », explique Hidenori Sakanaka, l’ancien directeur du bureau de l’immigration de Tokyo. « Nous sommes à un tournant historique », résume-t-il.
Depuis la fin des années 2000, le Japon est précipité dans le pire déclin démographique de la planète. L’an dernier, il a vu sa population fondre de 244.000 personnes. D’après les projections, l’Archipel aura perdu, au rythme actuel, un tiers de sa population d’ici à 2060, pour ne compter plus que 87 millions d’habitants. Avec un taux de fécondité de seulement 1,4 enfant par femme, la part des jeunes s’amenuise et les travailleurs viennent à manquer quand les retraités représenteront, en 2060, 40 % de la population.
Pénurie de travailleurs
« Des voix se font maintenant entendre dans certains secteurs de l’économie pour alerter les autorités », note Jun Saito, un expert du Japan Center for Economic Research. Il n’y a déjà plus assez d’infirmières dans les maisons de retraite et plus assez de maçons sur les chantiers de construction. « Si nous ne modifions pas cette tendance, nous courons le risque de voir l’économie tomber dans une spirale de contraction », vient d’admettre le gouvernement dans un document officiel. « L’équilibre social actuel est intenable. Qui paiera pour les retraites dans le futur ? » interroge Jun Saito. Son think tank a calculé que le Japon peut encore tenter de stabiliser le déclin de sa population à 90 millions de personnes vers la fin du siècle, mais qu’il doit pour cela obtenir un taux de fécondité de 1,8 et accepter, à terme, 200.000 immigrés par an. Doutant des capacités de l’Etat à générer un bond des naissances, Hidenori Sakanaka estime, lui, que le pays pourrait être sauvé s’il acceptait l’entrée de 10 millions d’étrangers d’ici à 2050. Effrayé par ces chiffres, Shinzo Abe refuse pour l’instant d’envisager une ouverture large des frontières et se contente de programmes limités délivrant des visas de travail très courts (voir encadré). « Mais il ne s’agit aucunement d’une politique d’immigration », a prévenu, dans un débat télévisé, le Premier ministre, qui explique publiquement qu’il y a beaucoup de « frictions et de mécontentement » dans les pays ayant accepté des immigrés.
23/06/2014, Yann Rousseau
Source : lesechos.fr