Entretien avec Catherine Wihtol de Wenden, politologue et sociologue française, spécialiste des migrations internationales.
L'état de « crise humanitaire » vient d'être déclaré à la frontière américano-mexicaine par les autorités d'Obama. Les enfants migrants sont de plus en plus nombreux à passer la frontière chaque jour. Mais qu'en est-il de ce phénomène en France ? Quel avenir pour les mineurs clandestins ?
JOLPress : Les autorités américaines viennent de signaler l'état de crise aux portes de leur frontière avec le Mexique. De plus en plus d'enfants traversent seuls la frontière. Qu'en est-il de ce phénomène à travers le monde ?
Catherine Wihtol de Wenden : De plus en plus de mineurs arrivent comme migrants parce que tant qu’ils sont mineurs, s’ils sont en situation irrégulière, ils ne sont pas expulsables. Il s’agit là d’une des raisons principales du choix des familles d’envoyer des mineurs à l’étranger. Tant qu’ils sont mineurs, ils sont en principe pris en charge par l’Aide Sociale à l’Enfance ou l’équivalent puisqu’il y a la Déclaration Universelle sur les Droits de l’Enfant de 1989, qui oblige les pays d’accueil signataires de cette déclaration à les éduquer et à les former.
Ces mineurs, s’il s’agit d’enfants des rues, ce qui est malheureusement souvent le cas, sont envoyés dans des pays plus riches que le leur afin d'envoyer de l’argent à leurs parents et éventuellement, s’ils arrivent à se faire régulariser, constituer le point de départ d’un éventuel regroupement familial. Ceci explique l’attraction des familles pour le choix d’envoyer des mineurs, un peu en explorateurs, à l’étranger.
En France, on a aussi des mineurs parmi les jeunes Afghans, Irakiens, Kurdes… qui arrivent. En Espagne, il y a aussi beaucoup de jeunes Marocains et Subsahariens qui débarquent, chaque jour. C’est un sujet qui préoccupe la politique des villes qui y sont exposées et la politique de l’immigration en générale, dans la plupart des grands pays d’accueil. Ce n’est donc pas du tout étonnant qu’il y en ait aussi aux Etats-Unis.
JOLPress : Quel âge ont-ils en moyenne ?
Catherine Wihtol de Wenden : Dans l’ensemble, ce ne sont pas des « très jeunes ». Excepté en Espagne, avec la proximité du Maroc, ils se cachent sous les camions et parviennent ainsi à rejoindre l’Andalousie. Mais dans l’ensemble, il faut des gens relativement débrouillards pour prendre clandestinement l’Eurostar, rentrer dans des camions, avoir des réseaux d’informations… ce sont donc plutôt des gens qui ont 16-17ans.
Les voyages au très long court sont quand même dissuasifs pour de très jeunes enfants parce qu’ils risquent d’être confrontés à tous les dangers, ce qui est le cas aussi pour les autres, mais ils sont plus à même d’y réagir. En somme, la plupart des jeunes mineurs sont des gens qui ont entre 14 et 18 ans.
JOLPress : Aux Etats-Unis, certains n’auraient pas plus de 4 ans...
Catherine Wihtol de Wenden : Je l’ai vu en Espagne, dans des centres d’accueil de ces jeunes mineurs qui sont parfois des enfants. L’explication que les parents donnaient, c’est que ce sont souvent des enfants qui sont confiés, fictivement si j’ose dire, à un prétendu oncle. Par exemple, une femme marocaine divorce, ou se fait répudier par son mari, et va se remarier avec un homme qui ne veux pas des enfants d’un premier mariage. La femme décide donc de les confier à son frère, c’est d’ailleurs souvent comme ça que ça se passe, on confie les enfants à l’oncle maternel, qui habite et travaille plus ou moins en Espagne. Mais l’oncle, devenu « tuteur », n’a pas forcément le temps de s’en occuper. Il a parfois lui-même des difficultés à vivre, enchaînant les petits boulots… et c’est comme ça que, progressivement, les enfants se retrouvent dans la rue. Souvent, c’est des crises familiales qui génèrent les enfants des rues.
Mais de très jeunes comme ça, je ne sais pas trop comment ça peut se passer. Je n’ai jamais vu ça dans les cas européens en tout cas. Il y en a des très jeunes qu’on découvre dans les cales des bateaux, mais ce n’est pas ce qu’il y a de plus fréquent comme âge.
JOLPress : A-t-on quelques chiffres sur ce phénomène ? Les Etats ont-ils une limite d'accueil ?
Catherine Wihtol de Wenden : Non, ils arrivent généralement au compte-goutte et certains ne sont pas identifiés par les autorités. On a donc peu de chiffres, souvent flous. Mais quoi qu’il en soit, si le pays est signataire de la convention sur les droits de l’enfance, ce qui est le cas des Etats-Unis et des pays européens, qu’ils soient en situation irrégulière ou non, les mineurs ne sont pas tenus comme pénalement responsables et on est obligé de s’en occuper. On les accueille donc, plus ou moins bien, dans des centres d’accueil qui vont les scolariser et leur donner une insertion professionnelle, selon leur âge.
L’idée c’est vraiment de les sortir de la rue. Il y a une étude qui a été faite et qui montre que ceux qui ont peu connu la rue ont encore une chance d’en sortir, tandis que ceux qui y ont vécu plusieurs années, sont beaucoup plus difficiles à réinsérer dans le système. Ils ont tendance à s’échapper des centres et à retourner dans la rue. Esseulés, ils ont pris des habitudes comme l’autonomie, l’indépendance, les drogues aussi, beaucoup se droguent avec de la colle, et la prostitution. De fait, il est important d’agir rapidement et ce, dès que l’on prend conscience du cas.
JOLPress : Que se passe-t-il lorsqu’ils deviennent majeurs ?
Catherine Wihtol de Wenden : Ils sont irréguliers. C’est tout le problème qu’on a en France. Ils sont alors reconductibles à la frontière. Dans le meilleur des cas, ils peuvent se faire régulariser. Après, ça suppose d’avoir un travail régulier. C’est compliqué, mais certains peuvent plaider le fait qu’ils n’ont pas d’autres lieux pour vivre, que les parents les ont envoyés là, que leur vie, c’est en France, qu’ils ont été formés et éduqués en France et qu’ils envisagent d’y vivre définitivement.
JOLPress : Quant au surpeuplement des centres, que peut-on faire ?
Catherine Wihtol de Wenden : C’est tout le problème. Ces centres ont des capacités d’accueil limitées. Ce qui fait qu’une fois qu’ils sont majeurs, ils sont généralement sortis du centre. On voit alors des enfants qui sont au lycée mais qui vivent dehors, le long du canal Saint-Martin ou dans des coins comme ça. C’est complétement aberrant mais on a ça.
JOLPress : Aux USA, ils disent garder les enfants 1 mois, 1 mois et demi avant de les renvoyer à leurs parents. Qu’en est-il en France ?
Catherine Wihtol de Wenden : Encore faut-il connaître les parents. En France, on ne renvoie pas tant que ça. Beaucoup sont quand même des gens qui viennent de pays en crise. On a des gens de pays africains, comme la RDC… ou alors des pays comme l’Afghanistan. On considère qu’il y a trop de risques et de menaces pour eux si on les y renvoie.
Aux Etats-Unis, on doit considérer qu’il y a moins de risques politiques, de persécutions donc on les renvoie vers le Mexique ou l’Amérique Centrale, même si ce n’est pas nécessairement une panacée.
JOLPress : Les centres d’accueil sont-ils la seule solution qui s’offre aux mineurs ? Qui les dirige et qui les contrôle ?
Catherine Wihtol de Wenden : Non, c’est le cas des Afghans. A Calais, il y a des enfants qui ont été placés dans des familles. Alors ce n’est pas une adoption pleine, mais ils ont quand même des référents, des gens qui vont les accueillir chez eux, les scolariser.
Il existe aussi des associations qui distribuent la soupe, des couvertures, essayent d’avoir un certain regard pour éviter qu’ils tombent dans la prostitution, dans la drogue, dans la délinquance. Il y a une veille associative un peu informelle mais qui existe. Sinon, ces enfants dépendent principalement des Etats qui les accueillent, avec comme principale solution : les centres. Mais c’est vrai que personne ne vérifie vraiment ce que font les Etats. La veille se fait essentiellement par les citoyens, par les associations, par la solidarité.
JOLPress : Les citoyens sont-ils suffisamment avertis sur la question ?
Catherine Wihtol de Wenden : Dans le Nord-Pas-de-Calais, les associations sont très très mobilisées là-dessus. Ça tient principalement du fait que les gens sont militants associatifs et qu’il y a une véritable tradition de la solidarité et que donc, ils se mobilisent pour appeler les pouvoirs publics sur le sujet.
C’est un véritable sujet qui reste à ce jour encore mal pris en charge à l’échelle nationale et internationale. On pourrait clairement sensibiliser l’opinion publique à ce phénomène et organiser des collectes de fonds qui permettent de financer d’avantage de places dans les centres et mieux prendre en charge les mineurs, y compris quand ils ont dépassé l’âge de la majorité. A 18 ans, ils ne sont quand même pas très grands pour se débrouiller seuls dans la vie.
24/06/2014, Marianne Fenon
Source : JOL Press