Patricia CLAREMBAUX, Sofia MISELEM Dans huit caisses et deux valises, Susana a rangé ses 34 années passées au Venezuela et part en Europe, pour fuir l'insécurité, la crise économique et l'absence d'opportunités sur le marché du travail.
"Le pays m'a expulsée petit à petit. Cela fait très mal de laisser sa famille et ses amis, mais j'avais besoin de quitter l'angoisse de me faire à nouveau voler sous la menace d'un pistolet, de me faire séquestrer ou tuer", raconte à l'AFP cette odontologue.
Des analystes affirment que des vagues de Vénézuéliens comme d'étrangers implantés dans ce riche pays pétrolier longtemps vu comme une terre d'opportunités font leurs valises pour filer en Espagne, aux Etats-Unis, en Colombie...
Les causes ? Une criminalité galopante (53 homicides par an pour 100.000 habitants selon l'ONU), les pénuries, l'inflation (plus de 60% par an) et les incertitudes sociales et politiques un an après l'élection sur le fil du socialiste Nicolas Maduro, peu après le décès de son mentor Hugo Chavez.
"La crise économique, les convulsions sociales, ou le déclencheur numéro un, l'insécurité, provoquent des mouvements migratoires ou stimulent la volonté d'émigrer", explique à l'AFP Luis Vicente Leon, patron de l'institut d'enquêtes politiques Datanalisis.
Faute de chiffres officiels, Anitza Freitez, démographe et directrice de l'Institut de recherches économiques de l'université catholique Andrés Bello (UCAB), s'est penchée sur les statistiques d'organismes comme la Banque mondiale pour conclure qu'entre 2000 et 2010, près d'un demi-million de Vénézuéliens avaient quitté le pays.
Pour 2014, elle estime que l'on pourrait approcher les 800.000 personnes, pour une population de 30 millions d'habitants, et souligne une tendance "à la hausse". "Ce flux ne ralentit pas", affirme-t-elle à l'AFP.
Une enquête réalisée par Datanalisis a révélé que 25% de la population interrogée avait au moins un proche ou un ami ayant émigré. Et 9% disaient penser partir. "C'est le niveau d'émigration le plus haut jamais observé", assure M. Leon.
Fuite des cerveaux
Bien que le phénomène touche majoritairement les classes moyennes et aisées, une enquête réalisée par l'UCAB dévoilait qu'un pauvre sur six souhaitait également émigrer.
Susana raconte que son frère de 29 ans est aussi sur la liste des candidats au départ - il ira en Grande-Bretagne en septembre - de même que ses parents, médecins, et au moins quatre cousins.
Cette semaine, le président Maduro a pour la première fois évoqué cette hémorragie, reconnaissant que de nombreux médecins "quittaient le pays" pour l'Europe. "Ils les paient je ne sais pas combien (...) C'est que l'on appelle la fuite des cerveaux, du personnel spécialisé", a-t-il affirmé.
Auparavant, le Venezuela faisait plutôt figure de terre d'immigration, que ce soit pour des Européens fuyant la Seconde Guerre mondiale ou ensuite pour des latino-américains en quête d'un avenir meilleur.
Mais même eux commencent à plier bagages. Elena Marquez, Colombienne de 62 ans, a passé la moitié de sa vie au Venezuela. Mais aujourd'hui, elle retourne vivre dans son pays d'origine.
On estime qu'environ deux millions de Colombiens vivent au Venezuela, occupant généralement des emplois peu qualifiés, comme femme de ménage, serveur, taxi ou maçon.
"Nous étions venus au Venezuela parce que c'était le paradis d'Amérique latine, il y avait du travail, beaucoup d'argent. Mais on ne peut plus vivre ici, tout est plus cher et on n'en pleut plus de l'insécurité", confie-t-elle à l'AFP à la veille de son départ.
Selon Mme Freitz, les émigrants vénézuéliens sont âgée de 25 à 40 ans et l'"un des traits qui distingue notre émigration comparée aux autres pays, c'est le profil hautement qualifié (des émigrants)", explique la démographe.
Avant de partir, Susana l'odontologue a interrogé certains de ses amis, déjà installés aux Etats-Unis ou en Europe, à la recherche d'une vie meilleure. Que tous n'ont pas trouvée. Elle va tenter sa chance en Espagne, où "commence (son) voyage sans retour".
05 juil. 2014
Source : AFP