Notre Observateur a pu parler avec des immigrés clandestins en provenance du Soudan, qui venaient de traverser la Libye et qui s'apprêtaient à tenter leur chance vers l'Europe. Ils lui ont détaillé le business de l'immigration illégale qui se développe au sud du pays et dont bénéficient les milices locales.
La question de l'immigration clandestine n'est pas nouvelle en Libye. En 2007 déjà, l'Union européenne annonçait une aide au régime de Kadhafi pour contrôler ses frontières désertiques de l'est. Une coopération que certains analystes qualifiaient de chantage opéré par la Libye et à laquelle Kadhafi a mis fin après le déclenchement de l'opération militaire contre son régime, en mars 2011.
Depuis, la situation n'a fait qu'empirer. Les frontières libyennes, aussi bien terrestres que maritimes, sont aujourd'hui peu voire pas du tout surveillées. Le gouvernement central se montrant aussi incapable de contrôler ses frontières qu'à stabiliser le pays et à soumettre les milices armées.
"Les milices sont partie prenante dans ce trafic"
Moussa El Maghrebi habite dans la ville d'Ajdabiya, à 160 km au sud-ouest de Benghazi. Il a filmé et pris des photos de l'arrestation d'un groupe de migrants clandestins opérée par des forces du ministère de l'Intérieur.
« Ils étaient plusieurs dizaines de migrants clandestins, avec des femmes et des enfants. Ils ont été arrêtés à 70 kilomètres d'Ajdabiya après un contrôle de véhicules qui transportaient en apparence du foin. En réalité, des migrants clandestins étaient entassés derrière. Ils étaient répartis dans plusieurs camionnettes qui voyageaient séparément. Les véhicules étaient libyens et étaient conduits par des Libyens.
Ces migrants viennent principalement du Soudan, d'Éthiopie, du Tchad et de la Somalie. Ils passent par la frontière sud de la Libye. Il y avait aussi quelques Égyptiens, qui sont arrivés par la frontière sud-est, moyennant 8 000 livres égyptiennes [823 euros]. La principale route de la migration part de Koufra, dans le sud libyen, jusqu'à Ajdabiya. De là, les groupes se séparent : certains restent sur place tandis que d'autres partent vers l'ouest, à Syrte ou à Tripoli. Leur objectif est d'atteindre les villes portuaires pour embarquer vers Malte ou vers Lampedusa.
« Ces migrants ont voyagé pendant cinq jours sans être inquiétés. Ceux qui venaient du Soudan ont été accompagnés jusqu'à la frontière libyenne par un passeur soudanais. Là, ce sont les passeurs libyens qui ont pris le relais. Cette zone-là n'est généralement pas contrôlée par l'armée. La surveillance des frontières sud est principalement entre les mains des milices qui, au lieu d'empêcher le passage des clandestins, en font un commerce. Ils laissent passer ces convois moyennant un pot-de-vin. C'est pour cela que la lutte contre la migration clandestine dépasse complètement les autorités aujourd'hui : pour y mettre fin, il faut d'abord régler le problème des milices qui ont pris le pays en otage. »
Quand ils sont arrêtés, les clandestins qui ont leurs papiers d'identité sont renvoyés chez eux, s'il y a des vols directs entre la Libye et leur pays d'origine. Autrement, ils sont emmenés dans des camps spéciaux, le plus proche étant celui de Benghazi. Mais ils sont souvent relâchés, car les garder est coûteux pour l'État. La plupart vont tenter la traversée vers l'Europe, malgré les dangers. Les autres resteront travailler au noir en Libye. Cela peut paraître fou, vu l'insécurité qui règne ici, mais ces gens-là sont prêts à tous les sacrifices pour venir en aide à leurs familles.
18/7/2014
Source : France 24