A l’occasion de la journée du migrant, célébrée chaque 10 août, Omar Samaoli, gérontologue marocain basé à Paris a tenu à rendre hommage aux Chibanis, qu’il appelle ici Pionniers. Il revient sur la situation ô combien délicate de cette population que ni le pays d’origine, ni les pays d’accueil n’ont vu vieillir.
L’homme a toujours manifesté une attraction pour le voyage et pour la migration : On change de quartier, on change de ville ou même de pays pour des raisons diverses comme chercher d’autres sources de revenus, changer de cadre de vie ou autre. A ce titre lorsque ses déplacements relèvent de sa propre initiative, il est évident que ce que l’homme peut rencontrer comme facilités ou comme difficultés lui incombent d’abord ; mais lorsque l’homme émigre à partir de conventions et d’accords bilatéraux signés entre des Etats, son devenir, son bonheur comme son malheur sont de la responsabilité à la fois du pays d’accueil et de son pays d’origine.
Le pays d’accueil est sensé lui procurer de bonnes conditions de séjour, un accès juste et équitable aux différentes prestations pouvant assurer son bien-être et ceci autant en marque de bienvenue, qu’en reconnaissance de son labeur.
La responsabilité du pays d’origine elle, se traduit dans un soutien pour la sauvegarde des droits et des intérêts ; par la mise en œuvre d’actions d’accompagnement qui touchent différents traits de la vie quotidienne et qui viennent atténuer le poids du déracinement et enfin veiller au maintien des liens des émigrés avec leur terre natale. C’est dans ces desseins également, que s’inscrivait le projet migratoire lui-même porté par une logique provisoire parce que articulé avec une perspective d’un retour à plus ou moins long terme au pays d’origine.
Sur une étendue de plus 50 ans, l’émigration marocaine a fonctionnée de la sorte dans ses formes d’organisation et d’installation dans les pays européens consommateurs de main d’œuvre, avant de laisser transparaître et de manière flagrante quelques indices qui remettent en cause une telle perspective. Il va ainsi des différentes formes de regroupements familiaux, de la naissance de toute une progéniture dans les pays d’accueil et de l’impact souterrain de la vie dans l’immigration sur les individus eux-mêmes, tiraillés entre des habitudes de vie d’un ici et maintenant -malgré toutes les difficultés rencontrées- et un ailleurs dont on n’est jamais guéri de la nostalgie.
Tout ceci témoigne également que l’émigration n’est pas qu’un simple déplacement entre deux points géographiques, mais qu’elle constitue un bouleversement dans la vie de ses acteurs et dans le devenir même de leur projet migratoire initial.
Mais s’il y a une caractéristique fondamentale de l’immigration marocaine de par le monde et sur laquelle nous voudrions assister c’est la pérennisation de son lien avec son pays d’origine, le Maroc.
C’est d’ailleurs à partir de cette appartenance assumée et revendiquée par les immigrés marocains, que leur pays a le devoir de s’engager dans la défense et la sauvegarde de leurs intérêts et de leurs droits, dans le maintien du lien culturel, social, affectif ou religieux avec eux, dans la pérennisation de leur identité et même dans une gratitude que nous leur devons solidairement avec les pays d’accueil pour ce qu'ils ont permis comme accumulation de richesses ou de développement . C’est en sens qu’une célébration des Pionniers de cette immigration qui vivent un peu partout dans le monde aujourd’hui, trouve toute sa place également.
Qui sont ces Pionniers de l’immigration marocaine ?
Ce sont ces hommes et femmes rattrapés par la retraite et la vieillesse dans les pays d’accueil et que nous n’avons pas suffisamment vu vieillir, ni suffisamment entendu sur leur bonheur ou leur malheur dans leur immigration. Ce sont ces hommes et femmes qui ont abondamment participé à la reconstruction de l’Europe d’après-guerre qui manquait cruellement de bras et qui ont contribué et certains continuent à le faire, à soutenir des familles dans le besoin et à participer au développement économique du Maroc. Ce sont ces hommes et femmes témoins de l’histoire de l’immigration marocaine et de ses parcours à travers le monde. Ce sont ces hommes et femmes qui font vivre le Maroc en chaque déraciné, par tout ce qu’ils portent en eux comme marques ou emblèmes inaltérables de leur marocanité. Ce sont ces hommes et femmes gardiens d’une identité et relai irremplaçable de sa transmission entre les générations. A tous, nous leur devons une gratitude et une reconnaissance et chemin faisant saluer les vivants et avoir une pensée sincère pour tous ceux qui ne sont plus de ce monde.
Tous ceux qui ont été consumés par les poussières du charbon, par les ravages de la sidérurgie, par l’industrie automobile ou par les métiers du bâtiment et bien d’autres secteurs de l’industrie notoirement réputés par leur pénibilité et leur dangerosité. Cette célébration prendrait toute sa dimension si nous nous attardions quelques instants sur les préoccupations et les difficultés majeurs qui accompagnent ou traversent la vie de ces Pionniers et qui doivent être mises en exergue pour en neutraliser les effets négatifs sur la vie quotidienne.
Ainsi et hormis le fait que nos Pionniers connaissent les mêmes affres que peut rencontrer toute personne âgée comme fragilité ou vulnérabilité liées au vieillissement, leur situation se double dans de très nombreux cas de difficultés spécifiques de par leur statut ou condition d’immigrés dans leur pays de résidence, en raison de réglementations différentes tant sur le séjour que sur les mécanismes d’accès à certaines prestations.
Des situations ô combien délicates
Au-delà des précautions qui s’imposent concernant les modalités d’insertion de ces Pionniers dans différents pays européens, on peut convenir que leur situation partage presque solidairement ces mêmes difficultés :
- Une intégration imparfaite dans les sociétés d’accueil : qui n’ont pas pris en compte non plus l’arrivée des anciens travailleurs immigrés aux âges de la retraite et même de la grande vieillesse. Dans de nombreux pays leur présence comme des citoyens avec des besoins de personnes âgées n’est qu’insuffisamment prise en compte. Aussi la perception de ces concitoyens de la place qui devrait être la leur est parfois incompatible avec les moyens d’insertion proposés aux personnes âgées dans ces pays.
- Des pensions de retraite inférieures à la moyenne des pensions servies dans les pays d’accueil pour les non immigrés. Deux raisons pourraient expliquer ce phénomène : les carrières professionnelles marquées par des bas salaires et les restrictions apportées dans tous les pays concernant l’accès à des compléments de ressources devenus indispensables pour soutenir des petites retraites et pour vivre dignement.
- Des conditions de logement insatisfaisantes lorsqu’elles ne sont pas indignes : Beaucoup de ces concitoyens âgés vivent dans des parcs locatifs qui n’ont rien à envier aujourd’hui aux baraquements de chantiers d’un autre âge, par leur dégradation et leur absence de confort ou d’adaptation à recevoir des personnes âgées. A croire que les conditions de logement de l’immigré devaient fatalement continuer à être de mauvaise qualité parce que provisoires pour des gens qui ne seraient encore que de passage. Or nous savons par ailleurs combien le cadre de vie adapté compte tout autant que l’état de santé dans la prévention d’un mauvais vieillissement ou la neutralisation de la perte d’autonomie.
- Un accès aux droits sociaux jonché de difficultés : Presque tous les pays européens ont assortis l’accès à leurs prestations de solidarité par des conditions de présence effective sur leur territoire pour pouvoir en bénéficier. Se pose alors la légitimité dans l’accès à ces prestations à partir d’une mobilité qu’il ne faudra plus considérer comme un luxe ou un caprice, mais seulement une façon d’être et de continuer à vivre.
- Un accès aux soins défaillant : Cette situation se caractérise par un héritage d’ennuis de santé d’abord liés aux carrières professionnelles qui, dans leur totalité étaient marquées par la pénibilité entrainant un vieillissement précoce et viennent s’ajouter à ces tableaux toutes les maladies liées au grand âge.
Le déficit n’est pas tant institutionnel que dans l’absence d’actions et de programmes préventifs et d’éducation sanitaires appropriées aux situations diverses, y compris l’accompagnement des aidants naturels pour leur permettre de mieux s’acquitter de la prise en charge de leurs parents âgés, particulièrement lorsqu’ils sont sévèrement concernés par des atteintes aux effets dramatiques comme les troubles neurologiques de type Alzheimer par exemple.
- Des difficultés concernant une libre circulation : Dans les termes de la recommandation votée par l’ensemble du Comité des ministres européens en 2011, nous avons insisté sur le droit à une libre circulation sans conditions des immigrés âgés particulièrement les originaires des pays tiers, entre les pays de résidence et les pays d’origine, convaincu que leur équilibre reposait désormais dans cette façon de vivre. Cette épée de Damoclès mise sur la tête de bon nombre, les mets en grande difficulté pour pouvoir continuer à percevoir des droits légitimes.
- Serions-nous surpris que la question des femmes marocaines retraitées reste encore une inconnue sociologique mais qui recèle à travers les rares et premiers constats dont nous disposons de difficultés majorées et aggravées en raison de l’absence de carrières professionnelles et donc de prétention légitime à des droits acquis. La grande majorité est versée dans les mécanismes de solidarité des pays de résidence et par conséquent relèvent d’emblée des publics fragiles, précaires et désargentés.
Si nos programmes et nos actions menées en direction des jeunes, visent à nourrir leur identité et établir un lien avec leur pays d’origine ou celui de leurs parents, les initiatives en direction des plus âgées sont dictées par une reconnaissance juste à tous ces Pionniers pour tout ce qu’ils ont accompli silencieusement. L’histoire et les générations jugerons ce qui a été fait ou non pour leur faciliter la vie.
31.08.2014, Omar Samaoli
Source : Yabiladi.com