Les enfants de l'immigration reprennent l'école avec tous les autres ; enfants d'ici, de là ou d'ailleurs, tous dans le même creuset. Ceux-ci sont souvent bilingues, avec parfois des décalages d'accent, de code culturel. D'où des malentendus et des préjugés qui ne résistent pas à l'observation attentive des réalités.
[Un texte de Marie-Cécile Plà, enseignante spécialisée et rééducatrice, qui a longtemps travaillé en RASED (Réseau d'Aide Spécialisée aux Élèves en Difficulté), et maintenant en Centre d'Action Psycho Pédagogique. Son expérience des enfants de l'immigration au quotidien est aux antipodes des préjugés sur les descendants d'immigrés véhiculés jusque par le ministère de l'Intérieur.]
Il faut le dire : ces enfants ne viennent pas de nulle part, et l'endroit d'où viennent leurs parents n'est pas le trou noir de l'univers. Si on a pu prétendre sans honte aucune que "l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire", l'enfant d'immigrés, lui, il en a une ! Cependant il n'est pas certain que ce soit à l’école de leur rendre cette histoire. C’est aussi à tous ceux qui se sentent venir d’ailleurs de se prendre en main, de créer leurs associations, de réinventer leurs écoles, après l’école.
Dans le même esprit, contraindre un enfant à toujours devoir justifier de ses origines peut avoir un effet destructeur. Car le rapport à la culture des parents peut être ténu, conflictuel, confus, voire vécu dans la honte.
Pour ma part, si on m'avait demandé, petite, d'amener ma culture à l'école, j'aurais amené quoi ? Le ticket de tiercé et la bouteille de Ricard ? Et l'humiliation en prime ?
Quelques autres vérités simples sont bonnes à dire, renvoyant à divers préjugés.
Le bilinguisme et l'accent
Alors que les langues de l’immigration ne sont toujours pas reconnues comme des langues véritables (on a vu récemment des parlementaires évoquer les borborygmes africains), il est temps de réaffirmer qu’aucune langue n’est supérieure en soi à une autre et qu’aucune culture n’est plus émancipatrice qu’une autre. Leur diffusion et l’influence qu’elles ont exercée sont variables, mais leur hiérarchie relève d’un fantasme de colonisateur ou d'un manque d'imagination.
Tout comme il n’existe pas un français universel mais des français. La langue vue comme une prise de guerre pour certains qui la remodèlent et la transforment avec une liberté et une inventivité jubilatoire parfois.
Une petite fille arrive de Bamako en plein mois de janvier. L’école s’affole : elle parle à peine français. Vite, vite, rééducation, orthophonie, etc. En fait cette petite était parfaitement francophone mais avec un accent, mais un accent... L’accent de chez elle, en fait. Elle ne comprenait rien aux codes de l’école, paniquait face au manque de discipline, ne savait pas ce qu’elle devait faire ou ne pas faire. Et elle avait froid. Personne ne l’avait accueillie ni présentée aux autres et personne ne s’était avisé du fait que si on ne la comprenait pas, peut-être elle ne comprenait pas bien ce qui se disait, personne n’avait formulé cette histoire d’accent comme « Nous avons des accents différents » Allez vous promener en Belgique et vous allez voir ce que ça fait que de ne pas avoir le même accent que les autres !
A l'école on prône l'apprentissage des langues étrangères, les bonnes, l'anglais, l'allemand. Et jamais on ne s'appuie sur le bilinguisme des enfants, cette richesse que devrait être le fait de vivre dans deux modes de pensée, cette ouverture permanente sur deux mondes.
En ce qui concerne les bienfaits du bilinguisme je vous renvoie au site de l’association DULALA (D’une langue à l’autre) qui fait un travail remarquable d’humanisme, d’inventivité et de formation.
Les codes et la différenciation culturelle, autre source de malentendu
La façon de se tenir, de regarder, la distance entre deux personnes, la part de l’intime et du public, le dit et le non dit, l'attitude, la distance, et la place du privé, de l'intime, le rapport au corps, toutes ces choses qu’on n’a pas le souvenir d’avoir apprises mais qui nous modèlent, peuvent provoquer des malaises si on n’en tient pas compte, toutes ces petites différences, subtiles mais prégnantes… La plus connue étant celle de l’enfant africain qui baisse les yeux quand on le gronde, par respect, et que le maître morigène d’un : « Et ne fais pas ton sournois en plus ! Regarde-moi dans les yeux ! ».
Évidemment il n’est pas question de réduire les individus à des paradigmes ou à des images d'Épinal. L’altérité n’est pas forcément collective ; celui-ci ne se laissera pas toucher même venant d’une culture où on se papouille, quand celui-là parlera fort, bien que venant d’un monde où on murmure. Il n'est d’ailleurs pas nécessaire de tout savoir mais juste de savoir que ces différences existent.
Autre préjugé tenace : les parents étrangers seraient de mauvais éducateurs
Les parents étrangers ont plutôt envie de bien faire, de comprendre, de ne pas avoir de soucis... Ils n’ont pas fait ce long voyage pour que leurs enfants fassent le ménage à 5 heures du matin. Mais pour passer les barrière de la langue, des subtiles différences, il faut du temps. Et puis on ne se soucie pas assez de construire des ponts.
Un exemple : on suit un enfant dans le cadre d'un CAPP (Centre d'Action Psycho-Pédagogique), un gamin qui met un peu le feu, pas très policé, un peu énervé, bagarreur, révolté, insolent. L'école nous somme de faire quelque chose ; ils n'en peuvent plus. Plusieurs mois plus tard, nouvelle réunion à l'école et tout se passe bien ; on ne l'a pas transformé en ange mais tout de même, les punitions ne pleuvent plus, il s'est bien apaisé. Il s'est même un peu mis au travail. On a aussi apaisé la relation entre la famille et l'école, laquelle a même accepté que ce soit le frère qui représente la famille à la réunion.
Et voila que tout se passe bien. On se félicite du travail accompli, on sent que la maman qui ne parle pas français se détend - pour une fois qu'on lui dit du bien de son gamin. Le frère est tous sourires. Le gamin, un peu impressionné, se voit félicité devant toute cette assemblée. Tout va bien jusqu'à ce que quelqu'un s'avise de lui proposer une activité le samedi matin : « mais je ne peux pas ; j'ai cours d'arabe ! » Et là, tout s'écroule ! Comment ça, de l'arabe ? Mais où ? Dans quel cadre ? C'est dans une mosquée ? Dans un cadre islamiste ? La réunion ne ressemble plus qu'au poulailler de Souchon (dans la chanson Poulailler's song, Alain Souchon se moque de déclarations racistes caquetées sous couvert de bon sens).
En deux minutes on a cassé des mois de travail, ces liens fragiles qu'on avait construits brin à brin, ce pont-là s'est effondré.
Contre exemple : on propose à un enfant suivi au centre une activité le samedi matin et celui ci dit : « non ; le samedi j’ai tae kuon do ». On respecte. Personne ne s’avise de suggérer qu’un certain mysticisme peut accompagner les arts martiaux. Personne ne se demande si ces cours n’auraient pas lieu dans un cadre shintoïste ! Et pourtant des shintoïstes orthodoxes, ça devrait faire au moins aussi peur que les méchants islamistes, surtout s'ils sont spécialisés en arts martiaux !
Les analphabètes sont-ils plus bêtes que les lettrés ?
Je l'ai longtemps pensé. Pas de naissance, bien entendu, mais j'ai longtemps cru que le fait d'apprendre à lire entre cinq et huit ans permettait au cerveau de se développer et que certains synapses ne poussaient pas si on ne passait pas par cet apprentissage-là. Et puis, à fréquenter des immigrés qui, jeunes, n'avaient pas eu la possibilité d'être confrontés à l'écrit, j'ai fini par m'apercevoir qu'ils développaient des capacités autres ; une grande mémoire une grande capacité à catégoriser et… un amour certain des mots, de la discussion et de l'échange d'idées.
01 SEPTEMBRE 2014, Marie-Cécile Plà
Source : mediapart.