Le nombre de sans-papiers à Calais, dont la très grande majorité souhaite se rendre en Angleterre, a explosé depuis le début de l'année 2014. Une situation qui pousse à bout les habitants et les migrants. France 24 est allé à leur rencontre.
Elle avait haussé le ton ce weekend, exaspérée par la passivité britannique face au drame migratoire de Calais. Natacha Bouchart, la maire UMP de la ville du nord de la France, a finalement obtenu une réponse. Elle, qui avait demandé l’aide des Britanniques pour endiguer le flux de migrants illégaux a réussi à faire sortir son voisin du mutisme. Face à la menace de l’édile français de bloquer le port de la ville, le ministre de l’Immigration anglais a proposé, dimanche 7 septembre, d’offrir à Calais les hautes clôtures d’acier qui avaient sécurisé la venue des chefs d’État lors du sommet de l’Otan à Newport. Soit 21 km de grillage de près de trois mètres de hauteur.
Que la proposition de Londres doive être prise au sérieux ou non, la menace lancée par Natacha Bouchart outre-Manche en dit long sur l’exaspération d’une partie des Calaisiens, confrontés à l’arrivée continue de clandestins cherchant un travail ou fuyant des persécutions. Depuis des années pourtant, la ville du Pas-de-Calais fait face à l’afflux de migrants étrangers, pour la plupart venus du Soudan, d’Érythrée, d’Éthiopie ou encore de Syrie. Mais ces derniers mois, il est vrai, la pression migratoire a brusquement augmenté. Selon la préfecture, ils seraient environ 1 500 à errer dans la ville en attendant de pouvoir rejoindre l’eldorado anglais, contre environ 300 à la fermeture du centre d'hébergement de Sangatte en 2002.
Dimanche, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées devant la mairie à l'appel d'un collectif baptisé "Sauvons Calais". Cette association rassemblant des groupuscules et des personnalités de l'extrême droite était venue dénoncer la présence de migrants, à coups de pancartes où était inscrit : "Foutons-les dehors". À quelques centaines de mètres de là, un autre rassemblement, pro-migrant cette fois-ci, était organisé. De nombreux clandestins étaient venus, eux aussi, crier leur fatigue et leur désespoir.
"Nous ne sommes pas des criminels"
"Nous voulons dire aux habitants de Calais : ‘N’ayez pas peur de nous ! Nous ne sommes pas des criminels, nous ne voulons pas de problèmes", a confié Adam, un migrant soudanais à France 24. "Nous sommes ici pour demander de vraies solutions face aux violences policières, à la pénurie de lits". En effet, beaucoup de sans-papiers accusent les policiers de les maltraiter dans leurs campements de fortune, construits dans les dunes de Calais ou dans les bois alentour.
La violence est partout. Elle a même gagné certains habitants. Plusieurs associations pro-migrants dénoncent ainsi des méfaits commis par les Calaisiens eux-mêmes. "Il y a des gens, ici, qui détestent les migrants et qui vandalisent les cars des travailleurs humanitaires", déplore Honami Kobayashi, une bénévole japonaise venue à Calais pour aider à la distribution de nourriture.
"La migration n’est pas un crime", scandent en retour de nombreux manifestants migrants qui pointent du doigt l’impasse humanitaire et judiciaire dans laquelle ils se trouvent. "Il n’y a pas de droits [pour nous] en France. Avant d’avoir un visa, il faut attendre quatre mois. Et pendant ce temps-là, vous n’avez rien, pas d’argent, aucun endroit où dormir", explique Jackson, un Éthiopien arrivé à Calais depuis un mois.
"Dix fois par jour, nous essayons de grimper dans un camion"
Les brutalités concernent aussi les migrants entre eux. Pendant la période estivale 2014, de vives tensions, accentuées par l'évacuation des principaux campements de la ville, ont dégénéré en rixes. La cause de ces bagarres est souvent la même : les migrants se disputent des parkings proches du port, où ils tentent chaque nuit de monter dans des camions en partance pour l’Angleterre – Calais concentre 90 % du trafic de camions entre la Grande-Bretagne et le continent.
Beaucoup prennent des risques inconsidérés et n’hésitent pas, par exemple, à se cacher entre les roues des véhicules routiers. Mais non seulement les chances d’échapper aux contrôles de police sont minces, mais surtout les accidents sont très fréquents. Pourtant, "cinq fois, sept fois, dix fois par jour, nous essaierons de grimper dans un camion pour le Royaume-Uni", assure Khaled, un clandestin soudanais, remarquablement optimiste sur la réalisation de son projet. "Nos amis en Angleterre nous disent que les gens là-bas vont nous aider, vont nous trouver un endroit où vivre […] Nous continuerons, nous n’abandonnerons jamais !"
08/09/2014, Charlotte BOITIAUX , Sam BALL
Source : France 24