mardi 5 novembre 2024 13:20

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FEATURE-A Calais, les migrants prêts à tout pour passer au Royaume-Uni

Il a fallu deux ans à Adhanom Ghabrai pour atteindre le nord de la France depuis son Erythrée natale, après avoir frôlé la mort à plusieurs reprises. Bloqué à Calais, à 35 kilomètres du Royaume-Uni, aucune police des frontières ne l'empêchera d'atteindre sa destination, dit cet homme de 28 ans.

"L'Angleterre est mon but", sourit-il devant la tente de fortune qu'il a montée près du port de Calais.

"La question n'est pas : est-ce que je vais réussir mais quand", insiste-t-il en anglais, ajoutant qu'il a tenté sa chance au moins quarante fois depuis le mois de mai.

Pour atteindre Calais, cet ancien soldat a fui un camp de l'armée, traversé le Sahara et navigué à travers la Méditerranée à bord d'un bateau bondé avant de monter dans un train.

Comme des centaines d'autres migrants d'Afrique de l'Est, il a pu profiter des frontières poreuses de la Libye et d'une Cour européenne des droits de l'homme qui proscrit le renvoi vers leur pays de ces migrants arrivés par bateau.

Les associations estiment à 1.500 le nombre de migrants présents à Calais, en hausse de 50% par rapport à l'année dernière. Ce nouvel afflux a entraîné de violents affrontements avec la police et alimenté les tensions diplomatiques entre la France et la Grande-Bretagne.

Les migrants ont tenté la semaine dernière de prendre d'assaut un ferry en partance pour l'autre rive de la Manche et la maire de Calais, Natacha Bouchart, a sommé Londres de soutenir les coûts de protection policière de la frontière.

"CYNISME SO BRITISH"

En réponse, la Grande-Bretagne a proposé dimanche d'envoyer à Calais 20 kilomètres de barrières hautes de trois mètres utilisées lors du récent sommet de l'Otan au Pays de Galles.

La proposition est une nouvelle preuve du "cynisme so Bristish", pour l'association France Terre d'Asile.

"C'est facile de dire que ce n'est pas votre problème", estime Philippe Mignonet, adjoint au maire de Calais. "Mais cela ne sert à rien de dire que c'est un problème français. C'est aussi un problème de l'Angleterre, qui vient de l'Angleterre."

La question des migrants n'est pas nouvelle dans la région.

Alors ministre de l'Intérieur, Nicolas Sarkozy avait fermé en 2002 le centre de la Croix-Rouge de Sangatte, non loin de Calais, pour éviter un effet "d'appel d'air".

Le problème s'est simplement déplacé à Calais. La France a exploré de nombreuses pistes, en ouvrant par exemple des refuges ou en renvoyant les migrants chez eux. Mais à chaque destruction d'un camp, ils sont revenus, toujours plus nombreux.

Les bénévoles soulignent que les nouveaux migrants sont souvent originaires d'Afrique de l'Est, surtout d'Erythrée et du Soudan, sont plus pauvres et ont moins de relations au Royaume-Uni que leurs prédécesseurs afghans et pakistanais.

Le projet d'un centre d'accueil de jour prévu par la mairie pour fournir de la nourriture et des soins médicaux devrait répondre aux besoins humanitaires les plus fondamentaux. Mais cela ne détournera pas les migrants de leur but, selon Philippe Wannesson, un bénévole du blog "Passeurs d'hospitalité".

"Ce qui a changé, c'est que ceux qui arrivent depuis septembre ou octobre dernier ont dépensé toutes leurs économies dans la traversée, maintenant ils n'ont plus rien", dit-il, soulignant qu'ils prennent aussi plus de risques.

FUTURS PASSEURS

Sans argent pour payer les passeurs à la frontière, les migrants se rassemblent pour passer en force en submergeant les forces de police, comme lors de la récente tentative du ferry.

Les groupes ont pris l'habitude d'encercler des camions en partance pour la Grande-Bretagne et de les arrêter suffisamment longtemps pour ouvrir les portes des remorques, bien que ces opérations aient provoqué des affrontements violents.

Le Front national a recueilli 13,8% des votes à Calais aux élections municipales de mars dernier et le parti de Marine Le Pen souligne que son soutien grimpe dans la ville.

Dans le camp d'Adhanom Ghabrai, où des centaines d'Erythréens vivent dans des tentes autour d'un terrain de football, la plupart des migrants disent avoir choisi la Grande-Bretagne pour des raisons économiques et linguistiques.

Mais Philippe Mignonet estime que nombre d'entre eux sont influencés par les passeurs qui les convainquent de choisir cette destination parce que le coût du voyage est plus élevé.

Malgré l'installation de détecteurs de haute technologie à la frontière, parmi lesquels des capteurs de battements de coeur et de CO2 pour détecter les passagers clandestins, et les inspections menées avec des chiens, entre 10 et 15 migrants parviennent chaque jour à passer la frontière.

Une fois arrivés à destination, la plupart n'ont d'autre choix que de commencer à travailler pour rembourser les énormes dettes accumulées par leur famille pour les envoyer en Europe.

"C'est pourquoi beaucoup de ces migrants deviennent eux-mêmes passeurs par la suite, parce qu'ils connaissent par coeur le système et qu'ils sont bien placés pour le perpétuer", souligne Philippe Mignonet. "Un migrant d'aujourd'hui est un passeur de demain."

09 sept. 2014,  Nicholas Vinocur

Source : Reuters

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