Les élections suédoises ont débordé des frontières pour s'inviter en Norvège voisine où vivent des dizaines de milliers de Suédois, souvent très jeunes, et témoins de l'échec de leur pays à leur offrir un travail.
Si la santé de l'économie suédoise, l'une des rares à être encore notée AAA, fait pâlir d'envie les autres États européens, le taux de chômage des 15-24 ans oscille depuis des années entre 20 et 25%, entre trois et quatre fois celui de la population totale.
"En Suède, à l'embauche, on nous demande de l'expérience. Mais comment fait-on pour acquérir cette expérience si personne ne nous met jamais le pied à l'étrier?" Comme entre 80.000 et 100.000 compatriotes, Angelica Bergh est venue chercher meilleure fortune en Norvège.
À 25 ans seulement, elle s'apprête à devenir chef adjointe des opérations d'une chaîne de cafés à Oslo, deux ans seulement après y avoir débuté comme simple serveuse.
"C'est ce qui est cool ici, on peut rapidement prendre du galon", souligne cette native de Linköping, une ville à 175 km au sud-ouest de Stockholm.
Connaissant le quasi-plein emploi, la Norvège est, quant à elle, en quête de main d'oeuvre. Proximité géographique, culturelle et linguistique aidant, les jeunes Suédois viennent y travailler en tant que filles au pair, serveuses, infirmières, ouvriers, dentistes ou ingénieurs.
Les entreprises voient en eux des salariés assidus et relativement bon marché quand les jeunes Norvégiens, ayant grandi dans le confort de la manne pétrolière, sont réputés exigeants et dédaigneux à l'égard des emplois peu qualifiés.
"Entre embaucher un Norvégien frais émoulu d'école de commerce qui demandera 500.000 couronnes (environ 61.000 euros) par an ou un Suédois ayant 10 ans d'expérience qui se contentera de 400.000 couronnes, le choix de l'employeur est vite fait", souligne Nino Vojvodic, fondateur d'une agence de placement.
Depuis sa création il y a 10 ans, l'agence Hamilton People a doublé de taille tous les ans et placé au total quelque 4.000 personnes en Norvège, dont les trois quarts originaires de Suède, assure M. Vojvodic, lui-même suédois.
"Ici, c'est facile de trouver un emploi, les journées de travail sont plus courtes et le salaire en moyenne 40% plus élevé", dit-il.
Subventions à l'exil
La municipalité de Söderhamn, une ville suédoise de 12.000 habitants, a même un temps subventionné le départ de ses jeunes chômeurs de l'autre côté de la frontière. Après qu'environ 150 candidats à l'exil eurent franchi le pas, le dispositif a pris fin en début d'année.
"Tous nos jeunes étaient déjà allés en Norvège", sourit Carola Persson, une responsable de l'Agence pour l'emploi.
Oslo est ainsi devenue un passage quasi obligé pour les responsables politiques avant les législatives du 14 septembre. Jimmie Åkesson, le patron du parti anti-immigration des Démocrates de Suède, est notamment venu y expliquer que les étrangers prenaient les emplois des Suédois.
"Quand la Suède accorde deux fois plus de permis de séjour aux étrangers qu'elle ne crée d'emplois, on en arrive là", a-t-il affirmé.
Mais, pour Malin Sahlén, une économiste qui a écrit un livre sur la question, les raisons du chômage élevé des jeunes se trouvent ailleurs.
D'abord, dans la rareté des emplois non qualifiés dans l'économie suédoise: "14% des emplois en Europe sont peu rémunérés, un chiffre qui tombe à 3% en Suède", explique-t-elle. Ensuite, parce que la forte protection des salariés en CDI fait que les employeurs préfèrent recourir aux CDD, provoquant mécaniquement des périodes de chômage.
Âgé de 38 ans, dont les 16 derniers en Norvège, Johan Högsten était resté sur le carreau dans son pays d'origine. "Je n'ai pas fait d'études. Du coup, je n'ai jamais décroché un ticket d'entrée sur le marché de l'emploi", explique cet homme, aujourd'hui technicien de grue.
Sa compagne, Erica Staal, une nurse, vient également du Nord de la Suède.
"Comme tout le reste, l'hôpital où je travaillais a dû fermer à cause des politiciens", témoigne-t-elle. "J'ai même fait une formation de mécanicienne de motoneiges mais ça n'a débouché sur rien. J'ai deux enfants à nourrir, alors je suis venue en Norvège".
11 sept 2014, Pierre-Henry DESHAYES
Source : AFP