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Immigration et "identité heureuse" par l’aménagement du territoire

Avec son plaidoyer pour une "identité heureuse", Alain Juppé estime que valoriser les origines des immigrés, viendrait remettre profondément en cause le modèle français de l’assimilation. Alain Juppé nous invite en fait à repenser les modalités de l’immigration en France. Pour être un succès, celle-ci doit relever avant tout des politiques d'aménagement du territoire.

Dans "Les 12 travaux de l’opposition", Alain Juppé offre un plaidoyer pour une identité heureuse qui, en valorisant les origines des immigrés, viendrait remettre profondément en cause le modèle français de l’assimilation. En jetant un pavé dans la mare, l’ancien Premier ministre de Jacques Chirac nous invite en réalité à repenser les modalités de l’immigration en France qui aujourd’hui suscite craintes et débats passionnés. Pour être un succès, celle-ci doit relever des politiques d'aménagement du territoire.

Les insuffisances d’une politique d’immigration

Selon l’INSEE, en 2013, le nombre d’immigrés en France était légèrement inférieur à 12 millions de personnes, soit moins de 20 % de la population. Parmi eux, près de 3 millions proviennent de l’UE, autant du Maghreb et de l’Afrique noire. Ce sont ces six millions de personnes, moins de 10 % de la population de notre pays, qui sont désignés dans les débats sur l’immigration et les politiques qui les accompagnent. On est donc loin de ce que d’aucuns présentent comme une réelle menace pour notre culture. Pour autant, l’immigration telle qu’elle est organisée et conçue est problématique à bien des égards.

Le premier constat est que la population immigrée est très inégalement répartie sur le territoire, se concentrant principalement en île de France, autour de Lille, Grenoble, Marseille et Nice dans ces cités dortoirs que désertent peu à peu les services publics et l’emploi. Mais la majorité des régions et départements n’est que faiblement affectée par l’installation d’une population immigrée et donc aux problèmes qui leur sont attribués (chômage, délinquance, Islam radical).

Pour autant, comme le souligne Alain Juppé, l’immigration peut être une chance pour notre pays comme elle l’a été jusqu’à présent pour d’autres, à condition que ses modalités soient repensées en profondeur.

L’aménagement du territoire comme clé d’une immigration réussie

Nicolas Sarkozy avait tenté de mettre en place une politique d’immigration choisie s’inspirant de ce que font l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore le Canada. Le Conseil Constitutionnel a censuré le projet parce que ses modalités engendraient de fait des discriminations incompatibles avec nos valeurs républicaines et créait des situations d’inégalité devant la loi.

Le principe, pourtant, ne semble pas poser de problème majeur. Pour qu’il soit accepté par le Conseil Constitutionnel, il conviendrait qu’un tel dispositif s’inscrive dans le cadre d’une politique bien plus large que les seules politiques d’immigration et de sécurité, mais relève de l’aménagement du territoire largement entendu.

Il conviendrait que l’INSEE publie régulièrement des chiffres exhaustifs relatifs aux emplois qui en France ne sont structurellement pas pourvus (restauration, bâtiment, médical et paramédical, informatique, etc.). Sur le fondement de ces chiffres, des besoins de main-d’œuvre très précis pourraient être déterminés, accordant un titre de séjour aux candidats offrant ces qualifications dont ne dispose pas la France. En Europe, l’Allemagne le fait déjà depuis 1997 en recrutant des informaticiens indiens.

Certains pourraient s’émouvoir du risque d’abus d’un tel système. Afin de s’en prémunir, ce permis de séjour devrait être associé à un contrat de travail en particulier : en cas de perte de cet emploi, l’immigré devrait quitter le territoire et recommencer une demande de visa pour un autre motif depuis son pays d’origine. En revanche, s’il est éligible à des prestations sociales, il est impératif que celles-ci lui permettent de retrouver un emploi stable. Autrement, un retour vers le pays d’origine devrait être envisagé à l’expiration de ses droits sociaux.

Pour les immigrés en situation régulière déjà présents sur le territoire, c’est la politique d’aménagement du territoire qui devrait prendre le relais. C’est ce principe qui devrait être remis en cause. Lors d’un débat télévisé en 2011, le candidat François Hollande s’était exprimé sur la problématique de l’exode rural et de l’excès de logements dans nombre de régions.

Il insistait sur le fait que, dans ces régions, l’immigration peut jouer un rôle majeur d’aménagement du territoire. Concrètement, un immigré sans emploi se verrait attribuer un logement vacant dans une région sous-peuplée. Une allocation de déménagement devrait être versée pour faciliter le changement de résidence. En cas de refus, le versement de prestations sociales se verrait suspendu.

Intégration, identité heureuse et baisse de la délinquance

Une telle politique d’aménagement du territoire par le truchement de l’immigration permettrait de revitaliser économiquement ces régions désertées. Tout d’abord, les logements actuellement vacants seraient occupés et ne dépériraient pas. En outre, avec ou sans emploi, un immigré perçoit un revenu et consomme, créant indirectement de l’emploi. On peut alors même envisager à moyen terme que cette population immigrée, souvent dotée d’une culture entrepreneuriale qui nous manque, crée ou reprenne des PME et contribue ainsi à l’emploi local.

Un second mérite serait le désengorgement et la disparition programmée des cités dortoirs à problèmes, à mesure que leurs habitants seraient relogés ailleurs. En s’établissant hors de ces cités et de manière sporadique dans telle ou telle commune, nos immigrés donneraient une réelle signification à cette mixité sociale que nous appelons tous de nos vœux.

Au lieu d’avoir des quartiers ou des villes avec plus de 40 % d’immigrés, il y en aurait un peu partout moins de 10 % au final qui pourraient s’intégrer bien plus facilement que lorsqu’ils sont entassés dans des banlieues éloignées du reste du monde. La clé de la réussite de l’intégration est de ne pas reconstituer d’une manière ou d’une autre le modèle des grands ensembles qui est la réelle source de nos problèmes (pauvreté, délinquance, radicalisation).

En démantelant les grands ensembles, à moyen terme, la démolition de ces bâtiments souvent vétustes peut être programmée sans que la question du relogement soit un problème. Pourront alors voir le jour des projets de nouvelles constructions qui permettront de bâtir chaque année les 100 000 logements que nous promettent nos gouvernements successifs depuis une dizaine d’années. Ceci permettrait enfin à certaines communes actuellement stigmatisées parce qu’elles sont sujettes à problèmes, de regagner en dignité et en attractivité.

En somme, l’identité heureuse de la France passe par l’immigration si celle-ci n’est pas la propriété exclusive des politiques de sécurité, mais relève des politiques d’aménagement du territoire.

16/09/2014,  Vassili JOANNIDES  

Source : lesechos.fr

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