mardi 5 novembre 2024 09:15

picto infoCette revue de presse ne prétend pas à l'exhaustivité et ne reflète que des commentaires ou analyses parus dans la presse marocaine, internationale et autres publications, qui n'engagent en rien le CCME.

Le port de Calais en état de siège face aux migrants

Le «Far West». Une situation «hors de contrôle». Une «zone de non-droit». À Calais, le port et la ville sont «en état de siège», désespèrent autorités et riverains face à la dégradation de la situation, avec l'explosion du nombre de clandestins et l'intensification de leur détermination à rejoindre l'«eldorado» anglais. Malgré le récent accord franco-britannique prévoyant une coopération des deux gouvernements pour mieux gérer la pression migratoire transmanche, une agressivité nouvelle et des pratiques jamais vues jusque-là se déploient sur le terrain, où se multiplient incidents et débordements.

En cause notamment, ces phénomènes d'intrusion massive où 300 à 400 migrants prennent d'assaut le port ou la rocade autoroutière qui le dessert. Le mercredi généralement, comme le 17 septembre dernier, jour où le trafic de camions est le plus important, créant des ralentissements opportuns pour monter à leur bord.

Dès l'aube, des ombres encapuchonnées se détachent sur les talus qui ceinturent la rocade A16-A26 surplombant le port. Dans le soleil montant, elles s'allongent et se démultiplient jusqu'à laisser apparaître de vraies colonies d'hommes aux aguets, qui serpentent et s'éparpillent dans un faux désordre. Chaque poste est choisi. Au moindre signal, ils fondent sur l'asphalte, s'accrochent aux portes des poids lourds, se glissent sous les essieux, parfois même dans les cabines. «Incroyable ce qu'ils sont vifs et habiles!, s'étonne un CRS en poste sur la rocade. En moins de deux secondes ils ont embarqué.» Le chauffeur tchèque qui passe sur la route inférieure vient de s'arrêter pour les faire descendre de son chargement. À l'ouverture des portes, trois jeunots s'extirpent des palettes, sans heurts cette fois, tandis que deux autres en profitent pour se glisser dans la cabine. Philosophe, le chauffeur répond à leur sourire. «Sans rancune», semblent-ils se dire, comme après une défaite au jeu. À cet endroit, où sont concentrées les stations-service pour poids lourds, le manège est incessant. Un camion à la pompe c'est un assaut d'une vingtaine de clandestins. Comme à chaque fois la police surgit, comme à chaque fois la volée d'étourneaux se disperse… avant de revenir.

À quelques pas de là, postés dans les herbes folles des dunes, ce sont deux migrants isolés qui tentent d'escalader la clôture barbelée du port. L'autre jour ils étaient 250 à la franchir, certains se sont même jetés à l'eau près des ferries.

Des scènes de panique pour les routiers mais aussi les familles et les touristes, malgré le renfort policier de 60 hommes 24 heures sur 24. Un millier d'interpellations ont lieu chaque semaine, confie le préfet du Pas-de-Calais, Denis Robin. Mais malgré les contrôles systématiques de camions au détecteur de CO2 et de battements cardiaques, «il en passe chaque semaine», dit un responsable de la brigade cynophile de la police aux frontières (PAF).

Des tensions entre les différentes nationalités

Autorités et forces de l'ordre sont tous d'accord sur l'origine de ce nouveau phénomène: la révolution «culturelle» apportée par la communauté de migrants venus de l'Afrique de l'Est. «Leur arrivée au printemps dernier a beaucoup changé les choses, explique le préfet. La discrétion qui était de mise (chez les Afghans, Irakiens, Syriens, Albanais, Ukrainiens, etc., NDLR) n'est pas du tout leur stratégie à eux, qui agissent en masse». Et tentent le tout pour le tout, en prenant les risques les plus fous. «Érythréens, Soudanais et Somaliens n'ont peur de rien», confirme Jean-Marc Puissesseau, président de la Chambre de commerce et d'industrie de la Côte d'Opale. Exploitant du port, il est au cœur des événements depuis des mois (lire ci-contre).

Des pratiques qui ne sont pas du goût des autres nationalités avec qui les tensions sont vives, ni des passeurs, à qui nuit la méthode, puisqu'elle amenuise leur business et engendre plus de dispositifs policiers et de contrôles.

Calais est tellement à cran que des riverains eux-mêmes ont jeté, la semaine dernière, des cocktails Molotov sur les tentes des migrants. Les milliers de transporteurs qui transitent chaque jour par le port brandissent quant à eux la menace d'un blocus (lire ci-dessous), voire d'un boycott au bénéfice d'autres ports d'embarquement. Officiellement, la présence des clandestins a doublé de 50 % en quelques mois pour arriver à quelque 1 500 aujourd'hui. «1200 à Calais, 300 dans ses environs qui s'étendent jusqu'à 40 km en amont», estime la préfecture. Les bénévoles, eux, disent distribuer 800 à 900 repas chaque jour. Mais c'est un autre son de cloche du côté police: «Ils sont plutôt 3000», rectifient CRS et hommes de la PAF.

«Des filières structurées»

Les opérations de démantèlement des deux gros camps du centre-ville, fin mai et début juillet, n'ont fait que déplacer le problème. Les squats dans les biens privés et publics du centre-ville se sont multipliés, des tentes se sont plantées dans le sable du «cordon dunaire», près du port, et deux énormes camps se sont reconstitués en périphérie: la «jungle» qui compte plus de 500 migrants, dans l'usine en activité Huntsman Tioxide, au pied de la rocade, et le camp «Vandamme», un site de recyclage de métaux désaffecté où ils seraient 150, selon le préfet.

Ces réinstallations dans les deux gros camps sont «clairement l'œuvre des “no borders”, ces altermondialistes prônant la vie “sans frontières”», déplorent les autorités qui les estiment à une trentaine. Ils organisent la vie des camps jusque dans leurs loisirs. Comme, depuis peu, ces matchs de foot dans les stades de la ville qui ont déclenché les foudres du maire (UMP) de Calais, Natacha Bouchart.

Les passeurs, eux, sont ici des spectres. Des marionnettistes à distance qui officient par téléphone depuis l'Angleterre, avec «des relais locaux ici à Calais», et «un représentant par langue».«Le migrant qui arrive seul, ça n'existe pas, dit Denis Robin, le préfet. Il vient toujours via des filières très structurées.» Des migrants qui ont déjà «payé beaucoup» pour arriver jusque-là, et qui pour traverser la Manche doivent encore régler en moyenne 2000 €, dit-on.

Certains, plus nantis, séjournent à l'hôtel. Les Albanais surtout. Dans des baskets de marque, pendus à leur téléphone portable jusque tard le soir, ils opèrent un drôle de manège dans le hall de cet établissement du centre. La gérante les connaît bien. «On en a tout le temps, dit-elle, 8 à 10 par semaine, de une à sept nuits», à 70 euros la nuitée. «Ils payent sans problème ceux-là, dit-elle. Moi qui travaillais à Tourcoing avec la racaille… avec eux ça se passe bien. Sauf quand ils font entrer en douce 5 à 6 autres personnes dans leur chambre pour passer la nuit». Aucune chance de les retrouver dans le centre d'accueil de jour de 400 places prévu par le ministre de l'Intérieur Bernard Cazeneuve… Un projet qui déroute les Calaisiens, en attente de «vraies solutions politiques».

Le phénomène s'étend à d'autres villes

Selon certains responsables publics et des transporteurs qui empruntent différents ports français d'embarquement vers la Grande-Bretagne, le phénomène des migrants s'étendrait à d'autres villes que Calais. Le patron d'une société de Bordeaux évoque ainsi des ports de Bretagne et de Normandie. «On en voit de plus en plus dans l'Ouest, c'est un phénomène qu'on n'observait pas avant», dit-il.

À Dunkerque, selon des sources policières et portuaires, «on détecte aujourd'hui deux fois plus de migrants qu'il y a un mois».

La capitainerie de Cherbourg confirme la présence de clandestins, dans de bien moindres proportions, toutefois, qu'à Calais. «C'est un mouvement épisodique et qui se déplace, les migrants sillonnent plusieurs ports pour les tester, pour voir comment ça réagit, dit un responsable en reprenant l'explication que la police aux frontières (PAF) lui a donnée. Cette année, quelques-uns ont tenté de monter sur les ferries, nous avons même dû secourir l'un d'entre eux qui était tombé à l'eau.»

Au Havre, deux épisodes sont survenus cette année. «Un bateau a été loué au port pour faire traverser des Ukrainiens, qui ont finalement été appréhendés en Angleterre, et un navire russe, acheté en Hollande pour passer les migrants du Havre en Angleterre, a été abandonné chez nous après avoir été repéré», comptabilise un responsable du port.

Interrogée par Le Figaro, la Direction générale de la police nationale (DGPN) n'a pas souhaité commenter ce phénomène ni l'éclairer de chiffres.

1 octobre 2014

Source : Le Figaro

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