"C'est le problème des papiers qui bloque, autrement si tu veux t'en sortir en France, tu peux. Là-bas, c'est différent : même si tu veux, tu trouves pas de travail". Interview d'une migrante.
Je suis arrivée de Côte d'Ivoire le 7 septembre 2004, à 28 ans.
Là-bas, je faisais des petits boulots, un peu de commerce. Je vendais des tickets de loterie.
Je suis partie à peu près pendant les événements ; j'ai perdu mes parents, et ma grande sœur qui est ici m'a demandé de venir parce que j'étais assez seule.
Arrivée par Air France (rire) avec le visa de quelqu'un d'autre. Après, la personne l'a récupéré. Ça fait bientôt dix ans.
Mes premières impressions : à l'aéroport il y avait trois policiers sur moi, deux hommes et une femme. Ils m'ont posé des questions, mais la dame policier elle insistait et moi je répétais : « Je suis venue comme commerçante pour venir passer des congés ». Elle a tout vérifié, appelé mon hôtel. Elle a essayé de me mener la vie dure. Il faut toujours s'accrocher mais Dieu a voulu que je reste. J'ai su répondre, j'ai pas été paniquée. La dame était en face de moi ; après elle a tout regardé : les comptes en banque, tout ! Elle a tout vérifié. J'ai dit : « Merci, mais madame, un seul mot: y a des gens qui font des trucs plus mauvais que moi et je suis pas venue pour faire du mal à quelqu'un ». Alors elle m'a souri.
Je suis pas rentrée dans son jeu, moi je souriais aussi. C'est une manière d'influencer les gens, d'essayer de te faire paniquer. Je savais ce qu'elle faisait. Au dedans de moi, mon cœur battait.
Le monsieur qui m'avait aidée est venu me récupérer à l'aéroport. J'ai failli en oublier ma petite valise ; je ne voulais plus rentrer dans l'aéroport.
Ma sœur est venue me chercher. Je suis arrivée chez elle et on a été se promener. J'ai visité Paris un peu. Génial ! Les immeubles, tous les monuments... J'ai dit : « Ah, le pays s'est bien construit. J'aurai au moins quelque chose à raconter à mes enfants. »
J'ai trouvé un travail en Normandie : dame de compagnie dans un petit village. De ma fenêtre, je voyais des champs et des vaches. Chaque matin je me réveillais, j'ouvrais la fenêtre pour admirer les vaches. Chez moi, j'avais pas l'habitude de les voir de près. Chez nous, c'est les gens du nord qui font les vaches (Ça la fait rire, mais rire...)
Je savais pas qu'il y avait des champs en France, je croyais qu'il y avait des bureaux et des immeubles seulement. (Là, c'est à mon tour de rire.)
J'ai fait un an là-bas et après je suis rentrée sur Paris, chez ma sœur. J'ai continué les petits boulots.
Je suis au collectif de sans papiers depuis 2012. Avant, j'ai été voir une association dans le 15ème arrondissement. Une dame m'a fait payer avant de déposer mon dossier, plus de 600 euros et que le préfet va me répondre... J'ai attendu deux ans et pas de réponse - une femme blanche qui se sert de mon désespoir pour m'escroquer… Après, j'ai été voir deux juristes ; je ne rentrais pas dans les critères... Un bon matin j'ai pris tout mon dossier et je suis partie à la préfecture. Ils m'ont donné une convocation. Je me suis présentée et ils m'ont donné un récépissé de trois mois puis j'ai reçu un courrier qui disait qu'ils ne vont pas le renouveler.
Alors en 2012, j'allais à un anniversaire et dans le métro, Backary était avec un de ses amis. Ils nous a vues et il s'est intéressé à ma cousine. Ils ont commencé à sympathiser. J'ai appelé ma cousine qui m'a dit : « Tu sais celui qu'on a rencontré dans le métro, il peut t'aider ». Elle lui a donné mon numéro, il m'a appelée et on s'est donné rendez-vous. Il a appelé Abdoulaye et Baradji (des membres du collectif de sans papiers), ils m'ont expliqué comment ça se passe, qu'il faut que je m'inscrive, tout ça. On m'a fait ma carte et ils m'ont aidée.
Moi j'ai pas de mari au pays mais des enfants : 13 et 10 ans. Ils vont à l'école. Ils me manquent beaucoup. Le dernier, à chaque fois il me demande : « Quand est-ce que tu viens ? ». J'arrive à leur envoyer de l'argent.
Au collectif je viens le samedi et quand il y a les manifestations, aussi. J'ai pas un rôle particulier. Je veux bien qu'on me confie une tâche.
Au collectif, j'ai trouvé de la solidarité, de la charité. On est en famille, ils sont gentils.
Les Français, ils ne sont pas trop aimables, pas accueillants.
Ceux qui sont gentils ce sont les vieilles personnes, je sais pas pourquoi. Les jeunes qui devraient avoir l’esprit ouvert, ils ont une barrière ; peut-être qu'il y a quelque chose qui leur manque. J'ai une seule amie française un peu jeune ; j'avais gardé ses enfants et après on a gardé des bonnes relations. Elle est comme une amie ; on mange ensemble. De temps en temps elle me confie sa grand-mère qui a 110 ans.
Mes projets ? Dès que j'ai les papiers j'essaie de faire une petite formation. Toute petite, j'ai rêvé de travailler dans le corps médical. Je vais voir si je peux essayer. Chez moi, j'avais passé l'examen d'aide-soignante mais j'ai pas été retenue. J'ai dit : « Je vais faire un effort pour le repasser », mais la réalité... Moi ça me fait mal parce que je ne peux pas le faire sans les papiers.
En attendant, je fais un peu de tout, des petits boulots.
J'ai appris beaucoup de choses ; l'aventure c'est pas du tout négatif, ça m'a mûrie, fait comprendre la vie. Ici c'est dur mais la vie est faite de combats. C'est le problème des papiers qui bloque, autrement si tu veux t'en sortir en France, tu peux. En Côte d'Ivoire, c'est différent : même si tu veux, tu trouves pas de travail. Ici tu trouves des petites bricoles pour subvenir à tes besoins.
Si c'était à refaire, je le referais.
01 OCTOBRE 2014
Source : mediapart.fr