Il y a un an, le 3 octobre 2013, 366 personnes sont mortes au large de l’île italienne de Lampedusa en essayant d’atteindre le territoire européen depuis l’Afrique. La tragédie a provoqué un véritable choc en Europe. Mais le choc n’a visiblement pas été salutaire. En effet, entre janvier et septembre 2014, 3 000 autres personnes ont péri en Méditerranée dans les circonstances semblables.
Le premier choc passé, pratiquement rien n’a été fait depuis un an dans le domaine de la politique européenne d’immigration. Les institutions européennes n’ont pris aucune initiative particulière pour tenter d’enrayer le phénomène. Selon Jean-François Dubost, responsable du programme « Personnes déracinées » pour la section française d’Amnesty International, « il n’y a qu’un seul changement suite aux naufrages de Lampedusa ». Toutefois, celui-ci « n’est pas imputable à l’Union européenne, mais à l’Italie seule ». Il s’agit « de la mise en place de l’opération de sauvetage en mer Mare Nostrum, qui a permis de sauver la vie de 140 000 personnes depuis à peu près un an ».
« Rien n’a changé »
Mais, souligne Jean-François Dubost, « sur le reste de la politique migratoire européenne, sur le contrôle aux frontières, rien n’a changé ». En réalité, « nous sommes toujours orientés sur une vision très répressive et dissuasive des migrations ». Certes, une telle orientation peut créer un sentiment, souvent illusoire, de maîtriser la situation sur le terrain, mais « le problème, c’est que cette politique-là coûte parfois la vie à des personnes, provoque des violations des droits des personnes qui sont présentes, migrantes et réfugiées, aux frontières de l’Union européenne ».
Une situation qui suscite pas mal d’interrogations. Si les Etats membres restent en majorité passifs, pourquoi la Commission européenne n’agit-elle pas ? L’Europe se rend très bien compte de la situation, mais on sait à Bruxelles que l’opinion publique n’est pas prête à accueillir de nouvelles vagues d’immigrés, et que les Etats membres sont prêts tout au plus à accepter des immigrés soigneusement sélectionnés, de préférence hautement qualifiés.
Le dilemme du commissaire
Lors de son audition devant le Parlement européen, le 30 septembre dernier, le nouveau commissaire européen aux Affaires intérieures et à l’Immigration, Dimitris Avramopoulos, a très bien exprimé cette contradiction entre nobles intentions et pragmatisme : « La catastrophe humanitaire qui continue à nos frontières, a-t-il déploré, contraste douloureusement avec les valeurs que nous partageons tous sur le plan moral, culturel et politique ». Mais les valeurs, ce n’est pas tout. Il y a aussi la réalité : « Dans le même temps, nous affrontons un mécontentement de plus en plus grand de nos concitoyens ». Donc, même s’il est « clair que ‘l’Europe forteresse’ ne constitue certainement pas de réponse à ces défis », il faut être prudent quand on cherche des réponses différentes. Et le commissaire de conclure : « Nous devons introduire une politique intégrée et ciblée, visant à attirer les talents et la main d’œuvre dont chaque pays membre a besoin ».
Et pourtant, il existe un document européen appelé « Le règlement de Dublin » qui définit assez clairement le comportement à adopter face aux migrants, même ceux qui ne sont pas nécessairement dotés de « talents » particuliers. Hélas, on dénonce souvent les effets pervers de ce document. En effet, il fait reposer tout le poids de l’accueil des immigrés sur les épaules des pays frontaliers du sud de l’Europe, ce qui permet à tous les autres d’éviter de faire des efforts en la matière. Ceci dit, beaucoup de migrants savent trouver un accès direct à certains pays considérés comme particulièrement attrayants. Par exemple, l’Allemagne, qui commence à avoir de sérieux problèmes d’accueil des immigrés.
De bonnes pistes, mais pas suivies
Certes, le règlement de Dublin prévoit quelques bonnes pistes, mais elles ne sont pas suivies. Jean-François Dubost, d’Amnesty International, estime « qu’il y a des critères dans ce règlement qui permettent de faire en sorte que des réfugiés demandeurs d’asile ne restent pas dans le premier Etat qu’ils atteignent, mais qu’ils en rejoignent un autre, où ils ont des liens familiaux, des attaches culturelles, une communauté, des possibilités linguistiques plus évidentes ». Le problème, c’est que « ces critères de répartition, qui sont positifs, ne sont pas appliqués ou sont interprétés de façon très restrictive par les Etats, notamment ceux du Nord qui ne sont pas tellement confrontés aux arrivées sur leurs côtes, s’ils en ont ».
Une autre piste évoquée par Jean-François Dubost, « c’est qu’on peut très bien imaginer un système où l’Italie, par exemple, reconnaît des personnes réfugiées, et les autres Etats décident de relocaliser ces réfugiés depuis l’Italie vers leurs propres territoires ». Le responsable du programme « Personnes déracinées » d’Amnesty International souligne donc que « les solutions existent », mais « ce qui manque aujourd’hui, c’est une volonté de sauver des vies ». Il n’a pas de réponse à ce dilemme. Plutôt une question : « Est-ce que cette volonté existe ? ».
Le dernier grand naufrage en date, survenu en Méditerranée le 12 septembre, a causé la mort de 500 personnes, soit bien plus que celui d’il y a un an.
2/10/2014, Piotr Moszynski
Source : RFI