Lors d’une journée d’étude sur les relations maroco-africaines, vendredi 3 octobre à Rabat, Fatima Ait Ben Lmadani, sociologue chercheuse à l’Institut d'Etudes Africaines a livré les premiers résultats de son enquête sur les Sénégalais au Maroc. Elle a expliqué à Yabiladi qu’il aurait fallu que le Maroc étudie les conditions de vie des migrants au Maroc avant de lancer sa nouvelle politique migratoire.
Yabiladi : Qui sont les Sénégalais qui vivent aujourd’hui au Maroc ?
Fatima Ait Ben Lmadani : Les premiers Sénégalais sont arrivés au Maroc pendant les années 60-70 pour la Ziara de la Zouia Tijania de Fès. Parfois, pour financer leur voyage, ils devenaient commerçants. Certains se sont installés ; d’autres à la même époque se sont installés seulement pour faire du commerce. Aujourd’hui, le profil principal des Sénégalais au Maroc a changé, ce sont les étudiants. Beaucoup ont été diplômés et se sont insérés dans le marché du travail, en particulier dans les centres d’appels.
Dans votre étude à paraître, vous soulignez l’existence de deux autres catégories de Sénégalais beaucoup moins connues : les sportifs et les domestiques.
Nous avons été effectivement surpris de voir, appartenant à un phénomène plus récent encore, beaucoup de sportifs, hommes et femmes, venus au Maroc dans le cadre d’un contrat interclubs de baseball ou de football ou dans l’espoir d’intégrer l’un d’eux. Ils espèrent souvent en faire un tremplin pour intégrer ensuite un club européen ou de l’un des pays du Golfe. Des domestiques, exclusivement des femmes, cette fois, sont également recrutées au Sénégal par des Marocains qui vivent là-bas. D’autres le deviennent, faute d’avoir réussi à se faire une place ailleurs. Certaines nous ont raconté qu’elles étaient sans cesse harcelées lorsqu’elles veulaient faire un petit commerce informel dans la rue.
Pourquoi estimez-vous que la nouvelle politique migratoire marocaine n’est pas adaptée à la situation actuelle des Sénégalais au Maroc ?
Sur les 5700 demandes de régularisations acceptées par le Maroc, on sait qu’une grande partie a été formulée par des Sénégalais, or en vertu de l’accord entre le Maroc et le Sénégal de 1963, les Sénégalais disposent d’un droit d’installation au Maroc. [Il se concrétise aujourd’hui par le fait que les ressortissants de chaque pays bénéficient dans l’autre d’un visa de touriste automatique de 3 mois ; et la non-opposabilité du marché du travail marocain au recrutement d’un Sénégalais. En d’autres termes, les Sénégalais n’ont pas besoin de faire viser leur contrat de travail par le ministère de l’Intérieur, contrairement à tous les autres étrangers.] Il serait mieux d’appliquer cette convention qui existe déjà plutôt que de les faire participer à un processus de régularisation qui de toute façon ne sera que ponctuel.
Au-delà du cas des Sénégalais, pourquoi êtes-vous critique à l’égard de l’ensemble de la nouvelle politique migratoire marocaine ?
Elle ne peut qu’être mal adaptée parce que le Maroc s’est lancé en quelques mois dans une politique en trois volets – immigration, asile et traite [aucune des trois n’a encore donné lieu à la publication d’un texte de loi, ndlr] - dont chacun est extrêmement lourd et dense, alors qu’aucune étude ne permet de savoir quelle est la réalité de la situation des migrants au Maroc. Il veut les intégrer, mais il ne s’est pas demandé de quelle façon ils étaient déjà intégrés dans la société marocaine et à quelles difficultés ils étaient confrontés.
10% seulement des migrants subsahariens vont en Europe, tous les autres se déplacent au sein de l’Afrique, à proximité du pays qu’ils ont quitté, mais malgré ce chiffre donné par l’OCDE, l’Europe a développé le fantasme d’invasion par les immigrés. Aujourd’hui, je vois le Maroc qui reproduit ce même schéma, or je ne pense pas que l’on puisse développer une bonne politique publique sur un fantasme.
05.10.2014 ,Julie Chaudier
Source : Yabiladi