mardi 5 novembre 2024 07:26

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Lampedusa : cimetière d'embarcations et d'hommes sans identités

L'endroit est interdit au public mais nombreux sont ceux qui bravent l'interdiction et s'y rendent, soit par curiosité soit par conviction afin de rendre un hommage posthume à leurs semblables, des êtres humains, dans la majorité encore jeunes, venus de terres lointaines en quête de conditions de vie meilleures et qui, par malheur, ne sont jamais arrivés à destination.

Appelé "cimetière des embarcations", cet endroit, seule trace visible de passage de migrants, est très connu des habitants de l'île de Lampedusa, tristement célèbre par le nombre des candidats à l'immigration morts sur ses côtes. Les garde-côtes italiens y entreposent, avant leur destruction, les restes d'embarcations et différents objets appartenant aux immigrés.

De ce "cimetière" est né le "musée de l'immigration de Lampedusa", un endroit de mémoire où sont exposés des morceaux de bois d'embarcation, des vêtements, des chaussures, des cassettes audio, des pages de livres sacrés, des feuilles contenant des poésies et des récits de voyages, des journaux intimes écrits dans différentes langues, des ustensiles de cuisine et des lettres témoignant de la fragilité des êtres humains, de leur espoirs et de leur désespoirs. L'On ne peut s'efforcer à retenir ses larmes quand on lit sur des bouts de papier : "Je suis parti, prenez soin de ma mère", "celui qui trouve ce numéro, qu'il me téléphone je l'épouserai" ou encore "Nulle âme ne sait ce que lui réserve l'avenir, et nulle âme ne sait en quel endroit elle devra mourir" (verset coranique).

Ces objets ramassés au "cimetière des embarcations" et sur les plages de l'île font désormais partie intégrante de l'histoire de Lampedusa comme d'ailleurs nombre de leurs propriétaires enterrés dans le carré réservé aux étrangers, avec un numéro pour seule identité, ou disparus à jamais.

"La mer représente la mort. Elle fait son travail : elle cache les cadavres", disait Emanuele Crialese, réalisateur du film Terra ferma qui a remporté un prix spécial au Festival du Film de Venise 2011, pour avoir abordé avec pertinence la question de l'immigration.

A la veille de la commémoration du triste anniversaire du tragique naufrage, survenu le 3 octobre dernier au large de Lampedusa, l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) vient nous rappeler, il y a juste quelques jours, que 3.000 personnes ont péri lors de traversées fatales en Méditerranée en 2014. Le nombre réel serait, bien entendu, beaucoup plus élevé, d'autant qu'on estime que pour un corps identifié, il faut compter deux disparus.

On ne saura jamais exactement combien de migrants ont tenté de rejoindre une porte sur l'Europe et qui ne sont jamais arrivés à destination, compte tenu du grand nombre d'embarcations qui coulent et du nombre de migrants jetés par-dessus bord pour une raison ou une autre.

Chaque jour apporte son lot de tragédies humaines au large de la Méditerranée: des Humains engloutis par les vagues, des corps repêchés et des survivants traumatisés. Ces drames se suivent, mais ne se ressemblent pas de par leur ampleur.

Il y a un an, jour pour jour, le monde entier était sous le choc de voir ces images insoutenables qui tournaient en boucle sur les chaînes de télévision: celles de centaines de cadavres de femmes, d'hommes et d'enfants recouverts de bâches à même le sol, repêchés suite au naufrage de leur embarcation au large de cette île.

En l'espace de quelques heures, le quai du port de cette île, plus proche de l'Afrique que de la Sicile, s'est transformé en morgue à ciel ouvert. Le bilan de la catastrophe était très lourd : 368 morts d'un seul coup. "C'est un jour triste et de pleurs", déplorait le Pape, dénonçant "l'indifférence à l'égard de ceux qui fuient l'esclavage et la faim pour trouver la liberté mais qui, au final, trouvent la mort.
Des morts lors de cette tragédie, en majorité des éthiopiens et Erythréens, leurs compagnons rescapés en parleront abondamment ce vendredi 3 octobre 2014 et prieront pour le repos de leurs âmes. Les proches parents des victimes vont faire de même et encore davantage en réclamant l'identification des cadavres de leurs époux, épouses, fils, filles ou autres membres de la famille morts lors de ce drame.

Au même moment où des prières seront élevées à Lampedusa, des chefs religieux de différentes confessions célébreront dans d'autres villes notamment à Rome des cérémonies pour le repos de l'âme des victimes. Les représentants des institutions du pays tiennent eux aussi à rendre hommage aux victimes de cette tragédie qui avait fortement secoué les consciences.

"J'espère qu'on tirera les leçons qui s'imposent. Les prières, à elles seules, demeurent insuffisante pour résoudre une aussi épineuse question", a commenté un spécialiste des questions migratoires.

"Que dira-t-on, un jour, aux enfants de ces migrants qui, dans 20 ou 30 ans voudraient comprendre qui étaient leurs pères, leurs grands-pères et leurs oncles morts aux portes de l'Europe. Ces enfants seront, probablement, un jour, italiens, français espagnols allemands et voudront reconnaitre l'odyssée de leurs ancêtres", a-t-il ajouté.

En Italie, le souvenir est encore vif de l'exode qui a vidé des régions entières du pays, notamment au début du XXe siècle.

A ce propos, ce spécialiste a fait observer que "les Italiens savent que rares sont ceux qui ont quitté le pays au nom de l'aventurisme pur. Ils ont émigré par nécessité brutale, généralement pour fuir la guerre ou la pauvreté économique, prêts à risquer leur propre vie en partant vers l'inconnu, un peu comme les nouveaux arrivants" sur les côtes de la péninsule.

Pour en savoir davantage sur l'ampleur de ce phénomène qui a marqué l'histoire moderne de l'Italie, il suffit de visiter un autre musée de l'immigration, très loin de Lampedusa, en l'occurrence celui dédiée entièrement à "l'immigration italienne".

3 oct 2014, Mohammed Badaoui

Source : MAP

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