Ces envois de fonds que les Anglo-Saxons appellent des «remittances» jouent un rôle considérable. Ces sommes sont trois fois plus importantes que le total de l'aide publique au développement dans le monde.
Les émigrés des pays en développement représentent aujourd'hui à eux tous quelque 181 millions de personnes et s'ils se réunissaient ils constitueraient à eux tous la sixième nation la plus importante par la population, derrière la Chine, l'Inde, les Etats-Unis, l'Indonésie et le Brésil. Or ils se montrent de plus en plus généreux avec leurs pays d'origine. Selon le nouveau décompte annuel que publie la Banque mondiale, ils devraient avoir envoyé au total quelque 435 milliards de dollars à leurs pays d'origine, en augmentation de 5% sur 2013.
Ces envois de fonds que les Anglo-Saxons appellent des «remittances» jouent un rôle considérable. Selon la Banque mondiale, ces sommes sont trois fois plus importantes que le total de l'aide publique au développement dans le monde. De même, si l'on excepte la Chine, les «remittances» des émigrés dépassent sensiblement l'ensemble des investissements étrangers dans les pays développement.
L'Inde qui compte quelque 13 millions de ses compatriotes travaillant à l'étranger est le premier bénéficiaire de ces remises de fonds, qui lui auront permis de recevoir quelque 71 milliards de dollars cette année. La Chine qui a également des diasporas de Chinois à l'étranger dans la plupart des pays du monde devrait avoir perçu 64 milliards de dollars en 2014. Les Philippines (28 milliards de dollars), le Mexique (24 milliards), le Nigeria (21 milliards) et l'Egypte (18 milliards) sont aussi parmi les plus gros récepteurs de fonds émis par leurs émigrés.
Il y a une autre façon de mesurer l'importance des «remittances» dans les économies nationales, c'est de les rapporter au PIB, à la richesse annuelle, des pays en développement. Selon la Banque mondiale, ces remises de fonds des migrants représentent 42% du PIB du Tajikistan, 32% pour la République Kirghize, 29% pour le Népal et 25% pour la Moldavie.
Grande diversité géographique des émigrés
Les fonds que les diasporas adressent à leurs pays d'origine sont en général beaucoup plus stables que les flux financiers internationaux privés ou publics. Pourtant ces populations sont parfois très dépendantes de la conjoncture des pays où elles se sont fixées. Ainsi l'étude de la Banque mondiale a-t-elle établie une stricte corrélation entre les «remittances» des Mexicains et la bonne santé du secteur de la construction aux Etats-Unis, dont ils forment une partie significative de la main d'œuvre. De même la flambée du chômage en Espagne a contribué à tarir les envois de fonds en Amérique latine. «L'Inde et les Philippines tirent profit de la grande diversité géographique de leur émigrés, ce qui leur permet de se protéger des chocs régionaux», souligne Kaushik Basu, le chef économiste de la Banque mondiale .
Si les «remittances» jouent un rôle international de plus en plus prononcé dans le financement des pays en développement, ces mouvements de fonds se heurtent à toute un série de difficultés non négligeables. La première touche aux coûts des transmissions. La Banque mondiale a calculé qu'il en coûtait en moyenne 7,9% des sommes envoyées au troisième trimestre 2014, ce qui constituait néanmoins un progrès par rapport aux 8,9% de l'année précédente. Les fluctuations des taux de changes, les réglementations anti-blanchiment de l'argent, ou tout simplement les contrôles des changes, comme en Argentine et au Venezuela, sont autant d'obstacle qui conduisent parfois les «remitttances» à prendre les voies de la clandestinité.
Mobilisation des diasporas lors des catastrophes naturelles
Les diasporas tendent également à se mobiliser lors des catastrophes naturelles qui frappent leurs pays d'origine. Leurs envois d'argent ont ainsi bondi de 19% en 2010 et de 27% en 2011 à la suite des inondations qui ont dévasté le Pakistan en août 2010. Les Philippines, l'une des plus grandes destinations de «remittances», ont ainsi bénéficié d'une hausse brutale de 8,7% en réponse au super typhon de 2013.
Dans sa note sur les bienfaits des financements issus des diasporas, la Banque mondiale accorde une place spéciale «aux migrations forcées». Elles sont de deux sortes. Celles qui sont liées à des conflits, comme en Syrie ou en Ukraine, n'ont jamais été aussi massives depuis la seconde guerre mondiale et concernent actuellement 52 millions de personnes, selon le Haut commissariat aux réfugiés. Quant aux populations obligées de fuir des désastres naturels, elles portent sur 22 millions de gens. Or contrairement aux années 1980 où les émigrés forcés trouvaient refuge en majorité dans les pays développés, aujourd'hui 86% s'établissent dans des économies en développement, l'Iran et le Pakistan étant les premiers réceptacles. Mais là les conséquences économiques sont d'une autre nature et elles affectent principalement les pays hôtes.
Dilip Ratha, lui-même d'origine indienne, et économiste principal à la Banque mondiale en charge des phénomènes de migration, tire la sonnette d'alarme: «Vu l'ampleur des populations en déplacement forcé, il est clair qu'il faut multiplier les efforts pour rendre l'émigration plus sûre et moins coûteuse, en explorant d'autres options politiques économiquement viables». L'Europe en sait quelque chose aujourd'hui!
08/10/2014
Jean-Pierre Robin
Source : lefigaro.fr