Le message est clair, net, précis. Sans délicatesse ni langue de bois, sur fond de bateau ballotté par les vagues, le gouvernement australien s’adresse aux candidats à l’immigration illégale : « PAS QUESTION.
VOUS NE SEREZ PAS CHEZ VOUS EN AUSTRALIE.
Le gouvernement australien a mis en place les mesures de protection de ses frontières les plus sévères de tous les temps.
– Si vous montez sur un bateau sans visa, vous n’arriverez pas jusqu’en Australie.
– Toute embarcation qui cherche à gagner illégalement l’Australie sera interceptée et reconduite hors des eaux territoriales.
– Ces règles s’appliquent à tout le monde : familles, enfants accompagnés ou non, travailleurs qualifiés.
– Peu importe qui vous êtes et d’où vous venez, vous ne serez pas chez vous en Australie.
PENSEZ-Y A DEUX FOIS AVANT DE GASPILLER VOTRE ARGENT, LES PASSEURS SONT DES MENTEURS. »
23 millions de dollars l’an dernier
Il existe aussi une version vidéo, mettant en scène le lieutenant général Angus Campbell, qui n’a VRAIMENT pas l’air de rigoler en tenue de camouflage.
Cette campagne en plusieurs volets – « No way » mais aussi « Pas de visa à bord », « Nouvelles règles » et « Ne jetez pas votre argent à la mer » – n’est pas nouvelle. Elle resurgit ces jours-ci parce que son coût pour le contribuable australien vient d’être rendu public : 23 millions de dollars l’an dernier (16 millions d’euros). C’était le budget prévu pour quatre ans.
L’Australie diffuse des spots audio et vidéo, réserve des pages de pub dans des journaux à domicile mais aussi dans plusieurs pays d’émigration (Afghanistan, Pakistan, Iran, Soudan et Sri Lanka notamment), dans les langues nationales.
Jointe par Rue89, Elaine Pearson, directrice de Human Rights Watch en Australie, juge cette campagne de communication « offensive » et « de mauvais goût ».
« Elle montre jusqu’où le gouvernement australien est prêt à aller pour marquer des points dans l’opinion publique, et à quel point il est déconnecté des persécutions et de l’horreur bien réelles auxquelles la plupart des demandeurs d’asile tentent d’échapper à travers le monde. »
L’agence publicitaire TBWA/TAL, qui a conçu la campagne, est une filiale du groupe américain TBWA. L’entreprise revendique une approche « disruptive » de la communication, reprenant une théorie très à la mode dans le monde du marketing. En résumé, proposer un produit inattendu, en rupture avec les habitudes et les conventions.
Des centres de rétention « offshore »
Cette ambition cadre parfaitement avec celle du gouvernement australien, qui a abandonné toute politesse en même temps que toute considération à l’égard de ses demandeurs d’asile, au profit d’un langage « direct » et de méthodes musclées.
Depuis 2001 et « l’affaire Tampa », du nom d’un bateau norvégien chargé de 438 réfugiés et repoussé par la marine, l’Australie a durci sa politique migratoire. Régulièrement accusée de violer le droit international, elle répond que son action vise à démanteler les réseaux de passeurs et protéger la vie des migrants.
En parallèle de la communication choc, l’opération « Frontières souveraines », conduite par l’armée australienne depuis un an et classée secret-défense, a bien d’autres implications.
Contraindre les bateaux à faire demi-tour pour les empêcher d’accoster, dans des conditions qui n’ont pas à être rendues publiques et prête le flanc aux accusations de violences ;
enfermer les migrants dans des centres de rétention « offshore » sur les îles éloignées de Nauru et de Manus (Papouasie-Nouvelle-Guinée).
refuser l’asile à tous ceux qui arrivent illégalement par bateau.
renvoyer des Syriens dans leur pays d’origine, quitte à partager des informations avec le régime de Bachar el-Assad.
« Un enjeu dans le débat politique »
La focalisation sur les « boat people », estime Elaine Pearson, « joue sur la paranoïa et la peur de l’invasion étrangère ».
« Beaucoup viennent aussi par avion. Plutôt que d’agir sur les idées reçues, le gouvernement et les médias “mainstream” ont largement alimenté cette paranoïa en donnant une image négative des demandeurs d’asile. L’Australie est pourtant une île tellement isolée qu’elle n’a pas dû absorber un grand nombre de clandestins, contrairement à beaucoup d’autres pays.
L’immigration est devenu un enjeu dans le débat politique australien ces dix dernières années. Le Premier ministre Tony Abbott doit en partie son élection à sa promesse “d’arrêter les bateaux”. »
A contrario, l’Australie vient d’annoncer qu’elle facilitera l’immigration légale de Chinois fortunés qui pourraient investir dans le pays. Le pays continue à accueillir les immigrés « légaux » : Britanniques, Néo-Zélandais, mais aussi Chinois, Indiens et Vietnamiens sont de plus en plus nombreux à venir s’y installer, temporairement ou à long terme.
14/10/2014, Camille Polloni
Source : Rue89